Joseph Heath est un philosophe canadien né à Saskatoon en 1967. Il enseigne actuellement à l’Université de Toronto. Diplômé de l’Université McGill et de l’Université Northwestern, il a notamment étudié sous la direction du grand philosophe allemand Jürgen Habermas. Depuis plusieurs années, il développe une théorie de l’éthique des affaires basée sur la protection de l’efficacité du marché.

1- Sur quels principes l’éthique d’entreprise devrait-elle reposer aujourd’hui?

Le fondement de l’éthique des entreprises est tout simplement le marché lui-même, ou plutôt son bon fonctionnement. Nous avons choisi l’économie de marché parce que nous l’estimons efficace pour produire et distribuer des biens et des services. Une conduite qui nuit au marché, qui le met à risque ou qui cherche à profiter de ses dysfonctionnements n’est pas éthique. Le monde des affaires ressemble au poker. Vous ne pouvez pas y espérer le même niveau d’honnêteté que vous attendez des gens dans la vie quotidienne. Si vous demandez votre chemin à un passant, vous vous attendez à ce qu’il vous indique le meilleur itinéraire, mais si vous demandez à un vendeur d’automobiles quel est le plus bas prix auquel il accepterait de vous vendre une voiture, vous ne pouvez pas espérer le même type de vérité.

2- Est-ce à dire que tout est permis, à condition de respecter les lois et les règlements?

Justement, non. Par exemple, si tous les commerçants mentaient tout le temps en faisant seulement attention de ne pas être accusés de fraude, les marchés deviendraient très dysfonctionnels. Nous devons trouver une éthique appropriée au contexte du marché. Dans le cas du mensonge, profiter d’une asymétrie de l’information est peu éthique. Si vous vendez une ampoule en prétendant qu’elle va durer 20 ans, le consommateur ne peut pas le vérifier et n’a donc que peu de moyens de se défendre si c’est une fausseté. Le fait de profiter d’externalités négatives sans en payer un juste prix constitue un autre exemple de comportement peu éthique. C’est le cas de la responsabilité d’une entreprise par rapport aux changements climatiques. En l’absence d’une tarification suffisante sur le carbone, l’émetteur de gaz à effet de serre tire un profit exagéré de cette externalité négative en déplaçant le coût de ses activités aux générations futures.

3- Comment, alors, déterminer les questions morales sur lesquelles l’entreprise doit intervenir?

Une entreprise ne devrait pas se prononcer sur une question moralement controversée, comme la déconstruction de la binarité des genres ou l’avortement. Toutefois, elle a l’obligation morale d’agir en ce qui concerne les changements climatiques. Vous pouvez penser ce sujet de manière très neutre, par exemple pour identifier les externalités négatives ou montrer l’incidence de la dégradation du climat sur les conditions de production de biens et de services, sans invoquer des croyances morales ou religieuses. Cela dit, mon rôle en tant que philosophe n’est pas de dicter aux dirigeants d’entreprise comment se comporter, mais plutôt de les aider à répondre plus facilement à ces questionnements.

Article publié dans l’édition Hiver 2024 de Gestion


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