La période actuelle est incertaine sur le plan économique. Parallèlement, une pénurie de main-d’œuvre sévit dans plusieurs secteurs. Face à ces tendances contradictoires, est-ce le bon moment pour rechercher un nouvel emploi?

Les indices d’un ralentissement économique se multiplient. On pourrait s’attendre à ce que le marché de l’emploi s’en ressente, et pourtant, à bien des égards, on se retrouve dans une situation inédite. «Au sein d’une même entreprise, on peut assister à un mouvement de restructuration et simultanément à des demandes d’acquisition de talents», observe Suzanne Ménard, CRIA, vice-présidente, Épanouissement de carrière, Gestion des talents chez Gallagher.

Celle qui accompagne des gestionnaires en transition professionnelle qui viennent de perdre leur poste constate que ces derniers réussissent pour la plupart à obtenir des entrevues d’embauche. Un signe que le marché n’est pas au point mort, comme le laissaient présager certains signaux avant-coureurs de récession. «Il y a donc des occasions pour ceux qui souhaiteraient changer d’emploi, et plusieurs secteurs souffrent encore de pénurie», dit-elle. Elle cite en exemple les pans entiers de l’économie qui ont dû cesser leurs opérations durant la pandémie –restauration, tourisme, hôtellerie, aviation– et dont la main-d’œuvre a migré vers d’autres champs d’activité. Maintenant que cette période est derrière nous, ces domaines désertés par les travailleurs peinent à regarnir leurs rangs.

Série – Carrière

Évaluer son niveau de tolérance au risque

Les conditions demeurant malgré tout instables, on aurait toutefois tort de prendre des risques inconsidérés. Annie Boilard, CRHA, Distinction Fellow, présidente du Réseau Annie RH, rappelle que des croyances circulent par rapport à la pénurie de main-d’œuvre. «Il est inexact de dire que la demande est généralisée, ce n’est pas uniforme, cela dépend des régions, des secteurs d’activités et du type d’emploi», note-t-elle. Même s’il y a encore des besoins importants, surtout compte tenu du taux de remplacement encore inférieur au nombre de départs à la retraite, une proportion estimée à cinq départs pour quatre arrivées. Malgré tout, Mario Côté, CRHA, consultant, conférencier et formateur, souligne que l’on ne se trouve plus dans la situation de «bar ouvert» des dernières années. «Il faut donc faire preuve d’un minimum de prudence, et se demander quel est notre niveau de tolérance au risque. Serait-on en mesure, par exemple, d’absorber une éventuelle perte de revenus temporaire si nos projets ne se concrétisaient pas?», dit-il.

Changer pour les bonnes raisons

En tout état de cause, Annie Boilard insiste sur le fait que lorsqu’on change d’emploi, il est essentiel de le faire pour des raisons qui nous appartiennent et non pas en réaction à son environnement ou en fonction de la situation du marché. «Il faut s’appuyer sur des critères pertinents. Par exemple, est-ce que j’apprends encore dans cette entreprise, mon emploi me stimule-t-il toujours, suis-je en train de prendre de mauvaises habitudes, car mon emploi ne m’intéresse plus? Est-ce que cela tient à mes tâches, à mon patron, à mes collègues? Le cas échéant, il pourrait être possible d’en discuter avec son gestionnaire et de corriger la situation au lieu de partir», suggère-t-elle.

Elle note toutefois qu’un environnement de travail toxique ou une mésentente profonde avec son supérieur sont des exemples de cas non négociables qui devraient nous inciter à chercher un nouvel emploi sans tergiverser.

Jean-François Bertholet, CRHA, chargé de cours au Département de gestion des ressources humaines de HEC Montréal et consultant en développement organisationnel indique pour sa part qu’un départ ne devrait pas être uniquement motivé par des questions de salaire. «Quand on quitte une organisation, il y a malgré tout des coûts à considérer. Par exemple, on prend le risque de perdre le réseau que l’on y a construit et d’être obligé de rebâtir sa crédibilité au sein d’une autre entreprise», prévient-il.

C’est pourquoi il recommande d’asseoir sa décision sur des motifs qui en valent véritablement la peine. Peut-être que le poste convoité nous permettra d’utiliser davantage nos forces, qu’il offre plus de possibilités de progresser sur le plan professionnel, qu’il se situe dans un secteur d’emploi qui nous correspond mieux, en adéquation avec nos valeurs, etc. Autant de pistes à explorer pour alimenter la réflexion.