Article publié dans l'édition Automne 2020 de Gestion

Les gestionnaires sont appelés à exercer un leadership positif afin de rendre leurs équipes plus efficaces. Ils fixent ainsi des objectifs stimulants, offrent une vision inspirante et délèguent des responsabilités. Mais ils doivent aussi prêter une attention particulière à leurs comportements négatifs, notamment la supervision abusive. Aperçu de ce phénomène qu’on passe parfois sous silence.

La supervision abusive peut se définir comme des comportements hostiles récurrents, affichés de façon verbale ou non verbale, à l’endroit d’un ou de plusieurs subalternes. Les comportements abusifs peuvent prendre plusieurs formes : un gestionnaire peut ainsi aller jusqu’à humilier un de ses employés devant les autres membres de son équipe, le ridiculiser pour son travail ou le blâmer injustement pour un échec.


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Un patron peut avoir des comportements abusifs tout en faisant preuve de leadership positif, par exemple en offrant du soutien ou en récompensant les gens lorsqu’ils réussissent quelque chose. La supervision abusive et le leadership positif ne sont pas mutuellement exclusifs : il peut arriver qu’un gestionnaire soit aimable une journée puis adopte des comportements négatifs envers la même personne le lendemain. Par ailleurs, la fréquence des comportements abusifs peut varier en fonction des subalternes : certains d’entre eux peuvent en être la cible plus fréquemment que d’autres.

Les gestionnaires qui adoptent des pratiques de supervision abusive ne le font pas nécessairement avec l’intention de causer du tort à leurs employés. En effet, un gestionnaire peut avoir recours à des comportements abusifs dans le but de remplir des objectifs organisationnels sans se soucier de porter atteinte à la dignité ou à l’intégrité psychologique de ses subalternes. Par exemple, un gestionnaire pourrait décider d’humilier quelqu’un pour l’inciter à donner un meilleur rendement ou pour faire comprendre à tout le monde que les retards injustifiés ne sont pas tolérés. Mais au fond, peu importe les intentions du gestionnaire : la supervision abusive a un caractère hostile qui peut faire en sorte qu’un milieu de travail devienne malsain et nocif.

Les effets délétères de la supervision abusive

Bien que certains gestionnaires puissent entretenir la croyance selon laquelle la supervision abusive est parfois utile pour motiver une équipe, les recherches ont permis de constater que les conséquences néfastes de cette approche sont à ce point lourdes qu’elles en neutralisent les avantages potentiels1. En effet, les comportements abusifs des gestionnaires sont généralement néfastes tant aux individus qu’aux équipes, et ce, même lorsque la fréquence de ces agissements est faible.

Plus précisément, la supervision abusive peut contribuer à réduire la performance, la satisfaction, l’engagement et la créativité des employés. Ceux-ci peuvent même en venir à se comporter de façon contre-productive (retards, vols, actes de sabotage, etc.), en réaction contre les abus commis. De plus, les comportements abusifs créent un climat de travail stressant que les employés peuvent avoir de la difficulté à supporter, ce qui peut mener à de la détresse psychologique et à de l’épuisement professionnel.

Par ailleurs, les conséquences négatives peuvent se répercuter sur les équipes elles-mêmes en réduisant notamment leur rendement collectif et leur capacité d’innovation. Les employés qui sont témoins des comportements abusifs de leurs supérieurs peuvent en être affectés sans les avoir eux-mêmes subis. Par empathie pour les victimes ou par simple crainte d’être soumis au même traitement, des collègues jusqu’alors épargnés par les superviseurs abusifs peuvent réagir tout aussi négativement à de tels comportements.

Les causes de la supervision abusive

Trois perspectives principales permettent d’examiner et d’analyser les raisons qui peuvent mener un gestionnaire à adopter des pratiques de supervision abusive :

1 - L’apprentissage social

Certains patrons adoptent des comportements abusifs parce qu’ils en sont venus à croire que ces manières d’agir sont acceptables et bénéfiques. Cette croyance résulte de l’observation des comportements des autres, surtout lorsqu’il s’agit de personnes dont le statut social est plus élevé que le leur ou dont la crédibilité est bien établie. Les gestionnaires seront donc portés à reproduire ces comportements néfastes s’ils constatent que ceux-ci ont permis d’obtenir les résultats souhaités. Ainsi, un effet de cascade peut survenir dans une organisation lorsque des cadres de niveau hiérarchique supérieur affichent des comportements répréhensibles : les gestionnaires des niveaux inférieurs risquent de chercher à les imiter.

2 - La perception d’une menace

Des gestionnaires peuvent aussi avoir des comportements abusifs avec leurs subalternes lorsqu’ils ont l’impression – que celle-ci soit fondée ou non – que leur influence, leurs compétences, leur image ou leur statut sont remis en question, voire menacés. Un employé dont le travail est jugé insatisfaisant peut donc subir les effets néfastes de la supervision abusive de son supérieur si celui-ci estime que la réussite d’un projet est de ce fait compromise.

Certaines décisions ou actions de hauts dirigeants peuvent aussi être perçues comme des menaces par des gestionnaires de niveau intermédiaire ou inférieur. Par exemple, un gestionnaire peut en venir à adopter des comportements abusifs avec ses subalternes s’il a l’impression qu’un changement imposé par la haute direction limite sa marge de manœuvre ou son pouvoir décisionnel. Dans un tel cas, il s’agit de supervision abusive par ricochet : les victimes ne sont pas à l’origine de la menace sentie par le gestionnaire.

3 - L’autorégulation déficiente

Certains gestionnaires peuvent également commettre des abus lorsqu’ils ne sont pas en mesure de réguler leurs propres comportements. Un processus de régulation efficace leur permettrait de maîtriser leurs pensées, leurs émotions et leurs pulsions de façon à moduler leurs comportements en fonction des objectifs visés. Un gestionnaire qui traverse une période de stress ou de grande fatigue est davantage susceptible d’adopter des comportements abusifs puisqu’il éprouve de la difficulté à discerner les bonnes actions des moins bonnes. En conséquence, les risques de supervision abusive augmentent lorsqu’un gestionnaire est sous pression ou doit composer avec des subalternes qui exigent plus d’encadrement (en raison de retards à répétition, par exemple).

Les solutions potentielles

Compte tenu des effets essentiellement négatifs de la supervision abusive, on peut explorer certaines pistes de solution afin de réduire, voire d’éliminer les comportements nocifs qui lui sont associés. Une première étape consiste à sensibiliser les gestionnaires aux risques inhérents à de tels comportements, qui occasionnent plus de dommages que de bienfaits. Les gestionnaires en viennent ainsi à distinguer plus facilement ce qui est acceptable et ce qui est inacceptable au sein de leur organisation.

De plus, il est salutaire d’amener les gestionnaires à prendre conscience des comportements qu’ils adoptent à l’égard de leurs employés. Pour ce faire, on peut recourir à un processus de rétroaction à 360 degrés : les subalternes, les collègues et les supérieurs hiérarchiques peuvent ainsi communiquer de façon anonyme leurs observations sur le gestionnaire dont on évalue les manières d’agir.

Une autre solution consiste à offrir de la formation aux gestionnaires afin qu’ils puissent à la fois corriger tout comportement négatif et renforcer leurs compétences en matière de saine gestion d’équipe et d’interactions efficaces avec leurs employés. Cette formation peut également les aider à faire face à des situations stressantes ou exigeantes sur le plan émotionnel.


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Il est crucial que les gestionnaires de niveau hiérarchique supérieur donnent l’exemple en évitant d’adopter des comportements abusifs. La mise en œuvre d’une politique de prévention est une option à retenir. Bref, toutes ces mesures peuvent contribuer à transmettre un message clair : aucun comportement abusif ne sera toléré dans l’organisation.


Note

1 Tepper, B. J., Simon, L., et Park, H. M., « Abusive supervision », Annual Review of Organizational Psychology and Organizational Behavior, vol. 4, 2017, p. 123-152.