Article publié dans l'édition Automne 2010 de Gestion

Il n’y a pas si longtemps, on associait les problèmes de santé mentale essentiellement à des conditions personnelles des employés : la génétique, l’histoire familiale, de mauvaises habitudes de vie, des problèmes personnels, etc.

Pour minimiser les effets néfastes sur la performance que ces problèmes pouvaient engendrer, on a beaucoup compté sur les programmes d’aide aux employés. Ce n’est que récemment qu’on a pris conscience du fait que la santé mentale peut aussi être fonction du sens que donnent les employés à leur travail.


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Celui-ci résulte de l’organisation même du travail, soit dans l’agencement des activités (le travail lui-même) et dans les conditions dans lesquelles le travail s’effectue (le contexte, incluant les relations entre les personnes) (Ketchum et Trist, 1992; Sauter et al., 1993).

Cet article vise à montrer qu’il est nécessaire de donner un sens au travail afin de promouvoir la santé mentale et le bien- être psychologique des employés et de prévenir la maladie mentale ou la détresse psychologique. Il propose aussi des moyens de faire en sorte que le travail ait un sens aux yeux des employés.

En effet, le sens du travail semble avoir une incidence déterminante sur la santé mentale : une personne qui trouve un sens dans son travail serait plus susceptible d’être en meilleure santé qu’une personne qui n’en trouve pas; elle serait également plus encline à s’engager sur le plan affectif dans son travail (Morin, 2008).

Aussi, le fait de mieux comprendre les facteurs qui exercent une influence sur le sens du travail aidera les gestionnaires à organiser le travail de façon à le rendre conforme aux caractéristiques d’un travail qui a un sens. Bien sûr, cela ne garantit pas que tous les employés trouveront un sens à leur travail, car il existe des différences individuelles qui entrent également en jeu, différences individuelles que nous décrirons.

Un travail qui a un sens : définition

Un travail a un sens lorsqu’il existe une cohérence entre la personne et le travail qu’elle accomplit, lorsqu’elle se sent en harmonie avec ce qu’elle fait tous les jours (Isaksen, 2000; Morin, 1996). Cet effet de cohérence incite la personne à considérer que son travail a un but, un dessein, de la valeur, de l’importance (May et al., 2004).

Dès 1991, le psychiatre Baumeister a déterminé quatre besoins associés au sens que les personnes donnent à leur vie : le besoin d’avoir une raison d’être ou de vivre; le besoin d’avoir un certain contrôle sur leur destin et sur l’efficacité de leurs projets; le besoin d’avoir le sentiment d’être une personne correcte, dont la conduite est moralement justifiable; enfin, le besoin d’être traitées avec dignité. Selon ce médecin, la satisfaction de ces besoins engendre le sentiment d’avoir une vie qui a un sens; s’ils ne sont pas satisfaits, cela peut les conduire à la dépression.

En psychologie, on reconnaît que le sens est nécessaire à l’hygiène mentale de l’être humain : les gens ont tendance à chercher une raison d’être, un but dans la vie, des valeurs ou des idéaux qui les inspirent, sans lesquels ils connaîtraient une condition de détresse que Frankl (1967) qualifie de «spirituelle».

Selon ce dernier, le sens remplit trois fonctions : il oriente les attitudes et les conduites de l’individu; il aide la personne à traverser les épreuves de la vie et à surmonter les problèmes; il permet de mieux comprendre les événements qui forgent l’histoire de sa vie.

Tout comme le sens qu’on donne à sa vie, le sens qu’on donne à son travail engendre un sentiment de sécurité psychologique et de sérénité qui aide une personne à surmonter les difficultés inévitables dans son travail et à mieux gérer son stress. Ainsi, le sens pourrait avoir un effet bénéfique sur son état psychologique et sur sa disposition à s’engager dans l’organisation.

Comme l’explique Kasl (1992), il est possible de s’adapter à une situation de travail qui nous apparaît absurde, c’est-à-dire qui n’a pas de sens à nos yeux, mais cette adaptation se fait au détriment de quelque chose : l’ajustement des aspirations, la modification des valeurs rattachées au travail, le détournement de l’attention vers les relations professionnelles, l’accroissement de la valeur attribuée au salaire, la désaffection à l’égard du travail et de l’employeur, l’affaiblissement de l’estime de soi, etc.

En somme, le sens du travail (ses caractéristiques et son contenu) et le sens au travail (le contexte et les relations) sont primordiaux étant donné qu’ils permettent non seulement la promotion de la santé mentale et du bien-être psychologique, mais aussi la prévention de la maladie mentale ou de la détresse psychologique.

La santé mentale, résultat d’une organisation du travail qui a un sens

L’impact de l’organisation du travail sur la santé des per- sonnes et sur leur performance au travail varie selon le sens que lui attribuent les employés (Morin, 2008). Le schéma 1 illustre les relations entre, d’un côté, l’organisation du travail, le sens donné au travail, la santé mentale et le bien-être psychologique, la maladie mentale ou la détresse psychologique et, de l’autre, les indicateurs de la qualité ou de la performance de la gestion des ressources humaines (par exemple, l’absentéisme, les départs de l’entreprise, les plaintes des clients) valorisés par les employeurs.

Nos recherches (Morin, 2008) comme celles de Pratt et Ashforth (2003) indiquent que le sens peut être obtenu des qualités intrinsèques du travail lui-même (le contenu), ou du milieu dans lequel il s’accomplit (le contexte); il faudrait donc faire une distinction entre le sens du travail et le sens au travail.

Par exemple, il est possible de faire un travail qui a un sens dans un milieu dépourvu de sens, ou de faire un travail qui n’a pas de sens dans un milieu qui en a un, ou mieux, de faire un travail qui a un sens dans un milieu qui en a un aussi!

Si un employé perçoit positivement son travail (les activités quotidiennes concrètes), les conditions dans lesquelles il accomplit son travail (un environnement favorable à la santé et à la sécurité, un environnement physique fonctionnel et agréable, des équipements adéquats, une organisation et des processus de travail efficaces, etc.) et les relations auxquelles donne lieu son travail (une bonne communication, un climat de travail harmonieux, la reconnaissance et le soutien de son supérieur, de ses collègues, de la clientèle, etc.), alors il aura tendance à trouver un sens dans son travail et à son travail, et par conséquent à se sentir bien physiquement et mentalement.

Il sera enclin à se présenter à l’heure à son travail, à s’engager affectivement dans ses activités, à se montrer vigilant, voire créatif, dans l’exercice de ses fonctions, à coopérer avec les autres pour atteindre les objectifs fixés et à donner le rendement attendu.

En revanche, si un employé perçoit négativement son travail, il aura tendance à trouver que celui-ci n’a pas de sens, ou que le milieu dans lequel il travaille n’a pas de sens; il aura tendance à avoir des symptômes de stress, voire de détresse, ainsi que des problèmes de santé.

Afin de maintenir sa présence au travail et un niveau de performance acceptable, il devra faire appel à des stratégies défensives. Si l’on peut observer sa présence au travail, la qualité de celle-ci et de son engagement est déficiente. En effet, il fera preuve de présentéisme, c’est-à-dire qu’il sera dans un état tel qu’il aura du mal à donner le meilleur de lui-même et son engagement sera celui de la continuité, ou bien parce qu’il manque de possibilités d’emploi, ou bien parce qu’un départ volontaire impliquerait des coûts qu’il ne peut pas se permettre.

Son attention sera amoindrie par le stress vécu au travail, ce qui sera une source de risques d’erreurs, d’oublis ou d’accidents. Sous l’effet du stress, l’employé peut avoir des problèmes d’attitudes ou adopter des comportements toxiques, entraînant des tensions et des conflits avec ses collègues de travail. Lorsque les stratégies défensives deviendront inefficaces, des symptômes d’épuisement apparaîtront, et sa performance au travail ira de mal en pis : absentéisme, désaffection, inattention, conflits, rendement minimal, comportements contre-productifs, etc.

Le sens du travail : une question de différences individuelles ?

Dans une même organisation, il est étonnant que des personnes ayant le même type d’emploi et travaillant dans les mêmes conditions rapportent des états psychologiques différents : certaines éprouvent de la détresse – elles représentent un pourcentage d’environ 20 % –, alors que d’autres disent qu’elles vont bien, et même qu’elles sont heureuses dans leur travail.

Comment cela s’explique-t-il? Parmi les 28 employés du secteur de la restauration qu’il a rencontrés en entrevue, Isaksen (2000) a trouvé que plusieurs donnaient un sens à leur travail en dépit des conditions difficiles dans lesquelles ils le faisaient.

Cela illustre bien que ce n’est pas l’organisation du travail en tant que telle qui cause problème, mais la perception qu’en ont les employés. Hans Selye écrivait d’ailleurs que ce n’est pas l’environnement qui stresse l’individu; c’est plutôt la manière dont il le perçoit.

Comme il semble que chaque personne perçoit à sa façon le travail qu’elle fait et les conditions dans lesquelles elle l’accomplit, certains chercheurs ont tenté de déterminer les caractéristiques individuelles qui peuvent expliquer ces différences. Parmi ces caractéristiques, certaines semblent être plus importantes que d’autres. Ce sont l’âge, le niveau de scolarité, le sexe et le type de personnalité.

Les enquêtes montrent que le niveau de scolarité et l’âge d’une personne expliquent des différences quant au sens qu’une personne donne à son travail. Ainsi, les employés qui sont moins instruits tendent à attribuer plus d’importance aux aspects extrinsèques du travail (Davidson et Caddell, 1994). Mor-Barak (1995) constate que les travailleurs âgés se distinguent des jeunes par l’importance qu’ils accordent à la possibilité que leur offre le travail d’enseigner aux autres, de les former et de leur transmettre leur expérience.

Selon Mahoney (1991), le sens ou la représentation du travail varie selon l’âge de la façon suivante : autour de la vingtaine, les gens attribuent de l’importance aux relations et à l’identité; autour de la trentaine, au salaire et aux responsabilités; autour de la quarantaine, à l’utilité du travail et à l’actualisation de soi.

Par ailleurs, MOW International Research Team (1987) signale que les femmes et les hommes conçoivent également le travail comme un moyen de s’exprimer et de se réaliser, mais que les femmes ont tendance à accorder plus d’importance à la qualité des relations au travail, alors que les hommes sont enclins à valoriser le salaire.

Pour leur part, Lesage et Rice-Lesage (1978) observent que le sens du travail peut aussi être fonction de la personnalité. Ainsi, l’employé «interne-confiant» prend plaisir à travailler : il recherche un emploi qui comporte des défis à relever et où il est possible de faire équipe avec des personnes intéressantes. Au contraire, l’employé «externe-méfiant» préfère avoir un travail routinier, qu’il maîtrisera rapidement et qui est évalué par des critères externes objectifs.

Pour ce type d’employé, un travail qui a un sens est un travail qui ne met pas en cause ses compétences et qui est récompensé justement. Enfin, Davidson et Caddell (1994) indiquent que les personnes qui reconnaissent plus de sens à leur travail tendent à avoir un revenu familial plus élevé et des croyances religieuses plus fortes (niveau d’engagement spirituel et adhésion à la justice sociale).

En résumé, il apparaît que le sens qu’on donne à son travail est éminemment subjectif, car il s’élabore à partir de l’expérience et des caractéristiques individuelles de l’employé ainsi que des émotions que lui fait vivre l’exécution de son travail. Pratt et Ashforth (2003) appellent ce processus «attribution de sens» (sensemaking).

Comme le sens qu’on donne au travail est une affaire personnelle, certains pourraient croire qu’il ne sert à rien de chercher à savoir d’où vient ce sens. Toutefois, cela serait assurément préjudiciable étant donné que le sens qu’un employé accorde à son travail n’est pas exempt de l’influence sociale ni indépendant du contenu du travail et du contexte de travail.

Ainsi, le sens est le produit d’une multitude de facteurs, parmi lesquels se trouvent des éléments socioculturels associés à un contenu et à un contexte qui revêtent un sens. Voyons quelles sont ces caractéristiques de l’organisation du travail qui donnent un sens, un préalable au bien-être psychologique et à l’absence de détresse psychologique.

Qu’est-ce qu’un travail qui a un sens et comment le favoriser ?

Comme l’indique le modèle du schéma 1, le bien-être psychologique et la santé mentale tout comme l’absence de détresse dépendent de facteurs qui relèvent du sens qu’une personne donne à l’organisation du travail, soit le travail lui-même (son contenu, on parle alors du sens du travail) et les conditions dans lesquelles il s’effectue (le contexte, on parle alors du sens au travail).

Le sens du travail est fonction des caractéristiques du travail, comme la charge de travail, l’utilité sociale du travail, l’autonomie, les occasions d’apprentissage, les horaires de travail ou le rapport entre les efforts investis et les récompenses reçues.

Quant au sens au travail ou du contexte de travail, il dépend des caractéristiques du milieu, comme les pratiques de reconnaissance, la perception de la justice, la rectitude morale des pratiques, la qualité des relations avec les supérieurs, les collègues et la clientèle ou la perception du soutien organisationnel. Selon ce modèle, les effets de l’organisation du travail sur la santé des personnes et sur leur performance au travail varient selon le sens que lui attribuent les employés.

Mais quelles sont les caractéristiques clés d’un travail qui a un sens? Depuis 1993, nous menons des enquêtes dans différents milieux afin de déterminer ces caractéristiques. Le tableau 1 présente nos résultats. Il appert qu’un travail qui a un sens présente les six grandes caractéristiques suivantes : l’utilité sociale du travail, la rectitude morale du travail, les occasions d’apprentissage et de développement, l’autonomie, la qualité des relations et la reconnaissance.

Il est possible de déterminer des moyens pour aider les employés à donner un sens à leur travail et, ainsi, de promouvoir leur bien-être et leur santé psychologique ou encore de minimiser leurs maladies et leur détresse psychologique au travail.

Faire valoir l’utilité sociale du travail

Pour que le travail ait un sens, il est important que la personne qui le fait sache pourquoi elle le fait, à quoi il sert, à qui il profite. Par exemple, des personnes nous ont dit : «Mon travail a une direction; il mène à des résultats concrets»; «Mon travail me permet d’intervenir sur le véritable enjeu : la réinsertion sociale».

De plus, un travail prend un sens quand l’individu qui le fait a le sentiment qu’il apporte sa contribution à sa communauté. Par exemple, des gestionnaires nous ont dit : «Je fais quelque chose d’utile à la société»; «Je travaille pour une cause importante : j’aide des travailleurs accidentés à retourner à leur travail, et cela, ça compte beaucoup». C’est dire l’importance de pouvoir inscrire ses actions dans un projet collectif qui sert le bien commun.

Pour que le travail ait un sens, il importe de faire une activité qui a une finalité, qui sert à quelque chose, à quelqu’un, qui apporte une contribution aux autres ou à la société. Cela répond au besoin de donner un sens à son existence, de se sentir utile, de se réaliser comme personne ou de participer à une œuvre commune.

À cet égard, les gestionnaires ont un rôle important à jouer. Ils doivent avoir la compétence et l’intégrité pour clarifier les attentes, donner à leurs employés des orientations claires qui soient cohérentes avec la raison d’être de l’organisation qu’ils dirigent. En d’autres mots, il faut que les personnes aient un but, une raison de faire leur travail.

Veiller à la rectitude morale dans le travail

Le travail a un sens lorsqu’il est fait d’une façon responsable, non seulement dans son exécution, mais aussi dans les produits et les conséquences qu’il engendre. Voici des exemples de situations absurdes ou dénuées de sens : «Je travaillais dans un milieu qui n’avait aucun respect pour les personnes»; «Je devais faire des choses qui allaient contre mes valeurs»; «Des professionnels débordés nous crient après»; «Certains abusent de leur pouvoir et profitent du manque de courage des gestionnaires pour faire ce qu’ils veulent».

Le travail est une activité qui met en relation des personnes et des groupes de personnes, qui donne lieu à des conflits et qui entraîne des conséquences parfois imprévisibles.

Un travail a un sens lorsqu’il s’accomplit dans un contexte qui respecte les règles de bienséance et de devoir et lorsqu’il est inspiré par des valeurs. Il a un sens quand il est fait dans un milieu qui se soucie de la justice, de l’équité et de la dignité des personnes.

La rectitude morale est une caractéristique du travail qui est apparue dans nos enquêtes comme étant très importante, mais qu’on trouve rarement dans la documentation sur l’organisation du travail. Il est possible que les scandales qui ont agité les milieux d’affaires aient provoqué une prise de conscience quant à la rectitude morale des pratiques sociales et organisationnelles.

Les gestionnaires ont le devoir de se préoccuper du bien-être de leurs employés. Il faut du courage pour prendre des décisions stratégiques qui assureront la santé et la sécurité du personnel, la justice et l’équité. Des politiques et des pratiques de supervision peuvent être mises en place dans le but d’assurer que le travail et les pratiques organisationnelles prennent en considération la dignité des personnes.

Les efforts et les initiatives du personnel en ce sens devraient être valorisés et les employés devraient être encouragés à s’entraider lorsqu’ils font face à des difficultés. Diriger implique l’exercice d’un leadership moral, car le pouvoir que confèrent les compétences ou la position dans l’organisation ne doit jamais perdre de vue l’intérêt de tout le monde.

La valeur du leadership s’exprime dans la capacité du leader de préserver et de promouvoir les valeurs fondamentales. En d’autres termes, il faut prendre les moyens de développer la conscience morale dans les équipes de travail et valoriser le courage d’agir dans le sens du bien commun.

Offrir des occasions d’apprentissage et de développement

Les personnes que nous avons rencontrées lors de nos enquêtes ont aussi mentionné qu’un travail qui a un sens correspond à leurs champs d’intérêt et à leurs compétences. Elles tirent de la mobilisation et de l’exercice des compétences un sentiment d’identité et d’efficacité.

Certaines personnes nous ont dit : «Je fais un travail qui fait appel à mes capacités»; «Mon travail correspond à mes centres d’intérêt et à mes besoins»; «Ma compétence est nécessaire pour bien gérer les dossiers qui me sont confiés». L’utilisation de leur savoir-faire et la mise en œuvre de leurs habiletés entraînent la satis- faction d’accomplir le travail demandé.

Dans le même ordre d’idées, un travail qui a un sens fournit aux individus l’occasion d’apprendre et de se perfectionner dans leur travail. À ce propos, certains ont déclaré : «Mon travail me permet de m’accomplir, professionnellement et personnellement»; «Je choisis mes défis et je réussis à surmonter les obstacles qui se dressent sur ma route»; «Je réussis ce que j’entreprends»; «Je peux développer mes compétences à leur maximum»; «Je ne cesse jamais d’apprendre». Le travail qui a un sens est une source d’apprentissage.

De prime abord, les apprentissages concernent l’acquisition d’un savoir technique. En fait, quand on examine le travail de plus près, on se rend compte qu’il offre aussi des occasions d’apprendre sur soi-même, d’explorer ses capacités et ses limites, de développer son potentiel. Par le travail, l’individu acquiert des compétences et le sentiment de s’accomplir, ce qui produit des effets stimulants sur sa santé et son moral.

Pour que cela soit possible, les gestionnaires doivent veiller à la qualité des décisions d’embauche et de promotion, à l’efficacité des programmes de formation et à la participation des employés aux décisions concernant l’organisation de leur travail. Bref, pour donner un sens au travail, les pratiques d’enrichissement du travail devraient être remises à l’ordre du jour.

Donner de l’autonomie aux employés

Un travail qui a un sens permet à la personne d’être autonome, d’agir selon sa propre initiative. Les employés expriment cette attente dans ces termes : «Je maîtrise ce que je fais et je me sens autonome dans mon travail»; «Je suis libre d’exprimer mes opinions»; «Je peux organiser mon travail comme je l’entends»; «Je dois suivre mes intuitions pour saisir les enjeux et faire preuve d’imagination pour trouver des solutions».

La recherche de l’autonomie est naturelle : elle constitue une motivation associée au développement de la personne. Il est normal de s’attendre à ce que les individus recherchent un travail qui les laisse libres d’exercer leur jugement et de prendre des initiatives pour améliorer leurs résultats; c’est d’ailleurs ce que disent les travailleurs lorsqu’on leur demande ce qu’ils veulent : exprimer leurs opinions, avoir une influence sur l’organisation du travail, prendre des initiatives pour améliorer leur travail.

L’autonomie acquise dans le travail confère un sentiment de responsabilité et donne un sens au travail. À l’opposé, l’absence d’autonomie au travail réduit l’individu à l’état d’agent, subordonné à l’autorité de quelqu’un; il est donc dépendant, devant renoncer à sa responsabilité individuelle. Sans responsabilisation, il n’y a plus d’obligation de rendre compte, ni d’engagement personnel, ce qui occasionne une perte du sens.

Plusieurs employés ont mentionné la notion de responsabilité dans la définition d’un travail qui a un sens : «Je participe aux décisions qui me concernent»; «Je constate les résultats de mes actions et je m’ajuste»; «J’assume des responsabilités; je dois rendre des comptes à mes supérieurs»; «Mon intervention change quelque chose dans le traitement d’un patient». De la même manière que l’absence d’autonomie favorise le non-sens du travail, le manque de responsabilité vécu dans le cadre de l’exécution d’un travail prive le travail de son sens.

Pour que le travail ait un sens, il doit offrir une marge d’autonomie à l’individu, lui permettre d’appliquer ses compétences et son jugement dans l’accomplissement de ses tâches, de faire preuve de créativité dans la résolution des problèmes et d’avoir voix au chapitre quant aux décisions qui le concernent.

Cela implique que les employés aient les compétences, les informations, les ressources et l’autorité pour faire leur travail. Afin d’assurer le développement de leur autonomie, il importe d’instaurer des pratiques de gestion qui promeuvent la confiance dans les organisations. Cela nécessite également la restauration de la dignité humaine dans les pratiques de gestion contemporaines.

Se préoccuper de la qualité des relations Interpersonnelles

Un travail qui a un sens s’accomplit avec la coopération des autres. En effet, plusieurs ont déclaré : «J’ai des contacts intéressants avec les autres»; «Je travaille en collaboration avec d’autres»; «On sollicite mes idées, on me consulte, je sens que je fais partie du groupe»; «Je travaille en équipe, je me sens complice de mes collègues».

C’est dire l’importance d’associer son action à celle des autres pour atteindre un objectif commun, raison d’être de l’organisation. Agir conjointement avec d’autres pour accomplir une tâche, participer ou contribuer à l’achèvement d’un projet, être de connivence pour remplir une mission difficile : tout cela constitue de véritables stimulants.

Un travail qui a un sens favorise l’esprit de service. Par exemple, des participants ont dit : «Dans mon équipe, on s’entraide quand l’un de nous a des difficultés»; «J’apporte un soutien à mes collègues lorsque je constate qu’ils ont besoin d’aide». Le travail est une activité qui met quotidiennement à l’épreuve les compétences et les motivations des personnes.

Le travail a un sens lorsque chacun peut compter sur les autres pour surmonter les obstacles et résoudre ses problèmes. Le don de soi, l’entraide, la confiance, l’écoute, la présence et la générosité sont autant de valeurs qui sont recherchées dans le travail, mais qui ne sont pas toujours encouragées dans les pratiques de gestion, dont les systèmes de récompenses. Il arrive même qu’on se méfie des individus qui adoptent de telles attitudes, les taxant d’idéalistes, de naïfs ou de manipulateurs.

Pour que le travail ait un sens, il doit être fait dans un milieu qui stimule l’établissement et le maintien de relations professionnelles positives : faire un travail qui permet d’avoir des contacts intéressants et de bonnes relations avec les autres, de créer une complicité avec ses collègues, d’exercer une influence dans son milieu.

Les gestionnaires doivent veiller à la qualité des relations dans leur service. Par leurs propres attitudes et comportements, ils donnent l’exemple. Ils doivent aussi avoir le courage de fixer les règles de bonne conduite au sein de leur équipe, encourageant chacun à respecter les autres et à tenir ses engagements.

Reconnaître les employés

Le travail qui a un sens permet la reconnaissance et l’appréciation des personnes. Des employés ont affirmé : «Je reçois l’appui et l’appréciation de mes supérieurs»; «Jobtiens des marques de reconnaissance de mes collègues»; «Mes clients me sont reconnaissants et fidèles»; «On me félicite pour mes bons coups et on m’appuie.

La reconnaissance et l’appréciation constituent les renforcements nécessaires pour encourager les comportements productifs et le développement de l’estime de soi. Ces renforcements prennent plusieurs formes : les marques d’appréciation et de considération que manifestent les supérieurs hiérarchiques, le soutien qu’ils donnent aux équipes dont ils ont la responsabilité, l’équité dans le traitement salarial et les avantages sociaux, l’efficacité des systèmes de récompenses, l’influence effective des personnes dans les processus décisionnels, l’estime que témoignent les collègues de travail, et ainsi de suite.

Conclusion

Faire la promotion de la santé au travail représente un défi de taille pour les employeurs, mais qui vaut la peine d’être relevé, car les bénéfices que tous en retireront sont élevés, tant sur le plan de la performance que sur les plans humain et social. Les employés travaillant dans un environnement de qualité présentent moins de problèmes de santé mentale ou physique, sont en général plus assidus à leur travail et affectivement engagés dans ce qu’ils font.


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Également, ils sont encouragés à prendre des responsabilités dans l’exercice de leurs fonctions, à se perfectionner pour mieux accomplir leur travail et à faire preuve de créativité lorsqu’ils font face à des situations inhabituelles, ajoutant ainsi de la valeur à ce qu’ils font. Or, cette valeur ajoutée est justement ce sur quoi repose la rentabilité même de l’organisation, d’où vraisemblablement la possibilité d’une meilleure performance financière pour l’organisation.


Notes

1 L’auteure tient à remercier l’Institut de recherche Robert-Sauvé en santé et en sécurité du travail (IRSST) pour son appui à la recherche qui a permis la production de cet article.

2 Voir Isaksen (2000), Morin (2008), Park et al. (2010), Steger et Dik (2009).

3 Voir Davidson et Caddell (1994), Mahoney (1991), Mor-Barak (1995), MOW International Research Team (1987).

4 Voir Morin (1997), Morin et Cherré (1999), Morin (2001), Denis (2002), Morin (2003a, 2003b).

5 Isaksen (2000) a trouvé des résultats analogues aux nôtres.

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