En finir avec le « tout en auto », ou comment connecter la périphérie à la métropole en levant littéralement le pied de l’embrayage.

Le Québec. Un vaste territoire, et plus de quatre millions d’âmes dans la seule région métropolitaine de Montréal. La moitié des habitants de la province.

Cela signifie qu’un Québécois sur deux a accès à un réseau de transport collectif. Et cela signifie aussi que dès que l’on sort de cette zone innervée, on entre dans le monde du « tout en auto ».

Il faut dire qu’en dehors du Grand Montréal, les problèmes de congestion n’existent pratiquement pas. Ce serait d’ailleurs l’une des raisons pour lesquelles le Québec a si peu développé son réseau de transport, selon Jean-Philippe Meloche, professeur agrégé à l’École d’urbanisme et d’architecture de paysage de l’Université de Montréal. « On n’en voyait pas le besoin, explique-t-il. En dehors des zones à forte densité, les gens sont très dépendants de l’automobile, mais c’est aussi parce qu’elle est très fonctionnelle. »

À tel point qu’il est problématique de ne pas être motorisé dans les petites villes, soutient l’expert, qui souligne que les personnes qui habitent en région et qui n’ont pas de voiture pour des raisons financières ou physiques, peuvent être privées de services essentiels.

« Et puis, dans les villes où tout est conçu pour l’automobile, les habitudes de vie sont un peu déphasées par rapport à l’idée de mobilité durable », ajoute-t-il.

Renforcer les connexions…

Avec 43 % de gaz à effet de serre générés en 2015, le secteur des transports est le premier émetteur de GES au Québec. Une réalité qui, dans le contexte de l’urgence climatique, attise l’élaboration et la promotion de solutions de rechange aux modes de transport traditionnels.

Début juin, notamment, au Sommet Movin’On sur la mobilité durable, acteurs municipaux et chefs d’entreprise ont débattu des manières les plus écoresponsables de connecter les zones rurales et périurbaines aux métropoles.

Première piste de solution : développer la mobilité multimodale, c’est-à-dire faciliter l’accès des habitants de la périphérie aux villes en combinant plusieurs types de transport. Cela suppose de mieux connecter entre elles les lignes de transport collectif, voire d’y intégrer du transport à la demande – telles les stations de vélopartage – afin de servir l’usager au plus près de son lieu de vie.


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Au Québec, la filiale canadienne du Groupe Transdev y travaille. Essentiellement active dans la première couronne montréalaise, elle y exploite 650 véhicules auprès de diverses municipalités, commissions scolaires et autorités organisatrices de transport, dont Exo.

En collaboration avec le Réseau de transport métropolitain (RTM), elle cogite entre autres sur le rabattement des lignes périurbaines d’autobus sur le trajet du nouveau Réseau express métropolitain (REM), dont le lancement est prévu pour l’été 2021.

Pour Arthur Nicolet, directeur de la filiale, le principal défi du projet consiste à réussir la mise en place des « pôles multimodaux », soit des points de connexion entre le bus et le train. « C’est une opération très technique, il faut bien la réaliser, parce qu’on peut perdre jusqu’à 25 % du trafic lors de chaque correspondance », explique-t-il. La distance entre deux arrêts ainsi que le temps et le lieu d’attente peuvent facilement avoir raison de l’endurance des usagers, surtout pendant l’hiver québécois !

… ou revenir vers la ville ?

Autre piste : décourager l’usage des transports motorisés. Selon Jean-Philippe Meloche, « le meilleur mode de déplacement pour faire de la mobilité durable, c’est de ne pas utiliser de véhicules, même pas de transport en commun ».

L’idée, soutenue par bon nombre d’intervenants au Sommet Movin’On, n’est pas de supprimer les routes, mais de « créer de la densité ». C’est-à-dire restreindre le périmètre de circulation des habitants en les rapprochant de leur lieu de travail et de leurs loisirs. « Il s’agit de créer des milieux de vie où on travaille, où on s’amuse et où on demeure. Si l’on est capable de le faire, cela diminuera le recours au transport motorisé », croit Jean-Philippe Meloche.

Comment s’y prendre ? En encourageant les petites villes à valoriser leurs centres sur le plan de l’emploi et de la résidence… ou en tentant de ramener les habitants vers les grands pôles urbains, selon l’enseignant.


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Taxer les conducteurs

Les raisons de l’établissement en périphérie sont multiples : loyers abordables, qualité de l’air, cadre de vie… Et si l’on peut difficilement forcer le retour vers la ville, on peut récupérer l’argent que ces choix de vie coûtent à la collectivité, avance l’expert.

Le trafic aller-retour dû au fait d’habiter en région engendre en effet des coûts liés à l’utilisation des infrastructures de voirie, à la sécurité routière, à la pollution ainsi qu’à la congestion à l’entrée et à la sortie des grands centres urbains. « Si nous ne pouvons renvoyer ces coûts sur ceux qui les génèrent, le système d’occupation du territoire devient inefficace », juge le professeur, qui prône, à ce titre, l’imposition d’une tarification routière.

Le système pourrait en inciter certains à se rapprocher de la ville et de son transport collectif, voire de la mobilité active. D’autres, au contraire, choisiront de maintenir leur vie en périphérie en en assumant les coûts. « L’idée n’est pas d’interdire quoi que ce soit, mais de permettre aux usagers de faire des choix en connaissance de cause », conclut Jean-Philippe Meloche.