Alors que le volume des biens circulant au Québec augmente, le transport s’accroît et la facture climatique s’alourdit. États, entreprises, consommateurs : qui peut agir pour orienter la mobilité marchande vers des pratiques durables ? La question intéresse tant les professionnels de HEC Montréal que ceux qui étaient présents au Sommet Movin’On.

L’optimisation du transport de marchandises était l’un des grands thèmes du Sommet mondial Movin’On sur la mobilité durable qui s’est tenu à Montréal du 4 au 6 juin dernier. Et ce n’est pas un hasard : au Québec, la mobilité des biens est responsable de 40 % des gaz à effet de serre (GES) émis par le secteur des transports, lui-même premier émetteur de GES dans la province. Avec un taux de croissance de 1,5 % par an, les émissions du transport marchand devraient dépasser celles du transport des passagers d’ici 2030, selon le Groupe de travail sur les chaînes logistiques de transport des marchandises (CLTM/CPQ).

Derrière la tendance : l’ouverture au marché mondial, l’augmentation de la population et aussi… ses habitudes de consommation. Près de 65 % des adultes québécois ont effectué au moins un achat en ligne en 2018, selon une enquête du Centre facilitant la recherche et l’innovation dans les organisations (CEFRIO).

Un engouement qui a un coût environnemental. « Avec la croissance du commerce en ligne, il y a de plus en plus de livraisons à domicile, ce qui entraîne une augmentation du trafic et de la pollution en général », explique Jacques Roy, professeur titulaire au Département de gestion des opérations et de la logistique à HEC Montréal.


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L’effet Amazon

En principe, faire ses achats sur Internet n’est pas un mauvais calcul en matière d’environnement. Les services de livraisons groupées souvent mis en place par les entreprises évitent les allers-retours solitaires des consommateurs au centre commercial. Là où le bât blesse, selon plusieurs gestionnaires présents à Movin’On, c’est dans l’empressement des clients à se faire livrer rapidement.

C’est l’effet Amazon. Selon le rapport du CEFRIO, « il crée chez le consommateur des attentes élevées, car celui-ci compare son expérience d’achat dans les commerces en ligne québécois avec celle offerte par le géant mondial ». Or, une demande de livraison dans les 24 heures pousse les entreprises à la préparation de transports qui n’entrent pas dans une planification optimisée. C’est ce qu’on appelle le parcours des « derniers kilomètres », qui alourdit fortement le poids carbone du commerce en ligne.

« Ce modèle va à l’encontre du principe de consolidation1 des envois qui permet à une entreprise de causer le moins de pollution atmosphérique possible, mais aussi de faire des économies », estime Jacques Roy, qui mentionne que les commerçants couvrent les frais d’expédition en jouant sur la marge de profit qu’ils réalisent en imposant un montant minimal par commande.


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Suivre la demande… ou pas

Face au constat, faut-il miser sur l’optimisation logistique des services ou tâcher d’endiguer la dynamique de vente ? Les professionnels qui ont pris part à Movin’On sont divisés sur la question.

Pour Rich Kroes, directeur principal de la durabilité mondiale à Oracle, la demande croissante en services de livraison doit être satisfaite. « La solution n’est pas d’arrêter Amazon du jour au lendemain. Ce n’est pas de faire moins, mais de faire mieux : par un service plus élastique, plus performant, plus efficace », soutient-il.

Une approche que nuance Yann de Feraudy, directeur général adjoint des opérations et des technologies de l’information pour le Groupe Rocher. « Nous devons faire attention aux messages que nous envoyons aux consommateurs, plutôt que d’essayer de résoudre des problèmes que nous créons », dit-il en faisant allusion aux options de livraison express offertes par les entreprises. Il croit par ailleurs que la loi du marché ne bride pas la liberté des entreprises de faire des choix éthiques. L’attachement à ses principes serait même, pour une organisation, une façon de se démarquer de la concurrence. « Veut-on être les plus rapides ou incorporer la notion de durabilité à notre modèle d’affaires ? Il faut jouer globalement, entre les deux », juge-t-il.

Créer une culture favorable

Pour Charlotte Cloutier, professeure agrégée au Département de management à HEC, le développement durable du transport marchand doit nécessairement passer par une conscientisation de la clientèle. « Elle doit trouver une autre façon de consommer, et cela implique qu’elle soit mobilisée par la cause [environnementale] », explique-t-elle.

Mais comment sensibiliser le consommateur à changer des habitudes qu’il associe à sa qualité de vie ?

« Les mouvements sociaux et les groupes de pression ont un rôle à jouer, note l’enseignante. Quand ce sont les gouvernements qui interviennent pour conscientiser les citoyens, ceux-ci peuvent mal réagir face à ce qu’ils perçoivent comme [de l’infantilisation], voire comme une atteinte aux libertés », avance-t-elle.

L’État peut cependant mettre en place des solutions de rechange au commerce en ligne, en encourageant, par exemple, la création de petits marchés locaux dans les zones de désert alimentaire. « On peut créer des [contre-occasions] afin que les consommateurs n’embarquent pas systématiquement dans un modèle », dit Charlotte Cloutier.

Une approche similaire à celle prônée à Movin’On par Derek Mackay, secrétaire au Cabinet du gouvernement écossais pour les Finances, l’Économie et le Travail équitable. « Le rôle du gouvernement devrait être de créer la culture et l’environnement favorables au changement des pratiques, plutôt que d’imposer aux citoyens un code de conduite », affirmait-il alors.

 « Si les consommateurs […] font connaître leurs préférences, les entreprises vont réagir », ajoute Charlotte Cloutier. Elle croit qu’avec une pression sociale suffisante et une menace de régulation du secteur par l’État – plutôt que l’application de mesures coercitives –, les organisations ajusteront leurs pratiques.

« Les entreprises sont capables de faire des choses assez spontanément », conclut-elle. Tout est question d’environnement.


Note

1 Il s’agit de l’envoi de plusieurs commandes sous une expédition (lot consolidé) vers un endroit précis où elles sont triées et acheminées aux clients finaux.