Augmentation des livraisons à domicile, nouveaux modes de transport urbain… Pour faire face aux défis de la mobilité des personnes et des biens, les entreprises sont appelées à mettre leurs efforts en commun. Quels sont les avantages et les risques d’une telle approche ?

Si vous êtes allé faire un tour au Sommet Movin’On de la mobilité durable au début du mois de juin, vous avez forcément entendu parler de transport « multimodal ». Ce terme désigne les trajets – de personnes ou de marchandises – qui impliquent plusieurs modes de transport successifs entre un point de départ et une destination.

Un exemple ? Rouler en bixi jusqu’à une station de métro afin de se rendre à l’arrêt du bus qui nous amènera ensuite en périphérie de la ville.

Ou encore : débarquer un conteneur de marchandises du bateau, en transporter le contenu à l’entrepôt par camion et livrer une commande au consommateur final par l’entremise d’un transport léger.

Motivé par des raisons pratiques, environnementales ou d’optimisation logistique, le recours grandissant à la multimodalité a pour effet d’augmenter le nombre d’intervenants de la chaîne d’approvisionnement. Et par là même, la nécessité qu’ils collaborent pour répondre efficacement à la demande.


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Ne pas être laissé derrière

Dans le secteur du transport de personnes, la tendance se traduit par l’arrivée des applications de mobilité intégrée. La Ville de Montréal a notamment validé, début février, un partenariat avec l’Autorité régionale de transport métropolitain (ARTM) et la Société de transport de Montréal (STM) autour du projet Céleste. Annoncée pour 2024, l’application mobile offrira aux usagers un abonnement unique à différents modes de transport tels que le métro et l’autobus, le train de banlieue, mais aussi le vélopartage, l’autopartage et le covoiturage. Elle sera par ailleurs en mesure d’établir le meilleur itinéraire pour ses utilisateurs, grâce à l’accès aux données ouvertes des fournisseurs de transport impliqués.

Si ce partage d’informations peut effrayer les exploitants, les risques sont calculés, selon Jacques Roy, professeur titulaire au Département de gestion des opérations et de la logistique à HEC Montréal. « Il existe un consensus assez large pour accéder à la multimodalité au moyen d’applications de façon transparente, explique-t-il. Ces innovations sont planifiées depuis longtemps et les [acteurs savent qu’ils] ont intérêt à participer à cette offre globale, qui comporte plus d’avantages que d’inconvénients », croit le professeur.

La grande majorité des intervenants au Sommet Movin’On ont cependant insisté sur la nécessité d’établir des règles de gouvernance claires pour encadrer la mutualisation des données au sein des plateformes intégrées. Mais encore faut-il s’accorder sur le superviseur…

Pour Thierry Mallet, président du Groupe Transdev, ces systèmes globaux doivent demeurer la propriété d’une entité publique « pour garantir le bon usage des données ».

« Le secteur public doit réglementer, mais doit-il être l’opérateur ? » soulève pour sa part Jacques Roy. « Pas nécessairement », dit-il avant de poursuivre : « Il n’est cependant pas interdit de le penser. Ce qui importe, c’est que le jeu de la concurrence puisse fonctionner correctement. »


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Le boom du commerce en ligne

Du côté du transport marchand, les besoins de mutualisation concernent surtout les opérations logistiques des exploitants. L’augmentation des achats en ligne – en hausse de 27 % au Québec par rapport à 2017, selon un rapport du CEFRIO – complexifie en effet les chaînes d’approvisionnement, qui gèrent de plus en plus de livraisons à domicile. Pour autant, la collaboration ne serait pas aisée entre les acteurs du secteur.

Selon Claudia Rebolledo, professeure titulaire au Département de gestion des opérations et de la logistique à HEC Montréal, le développement rapide du commerce électronique empêche les entreprises d’anticiper la demande et d’engager auprès d’autres une quantité claire de ressources. « Ce n’est pas que les entreprises ne veulent pas [collaborer], c’est qu’elles ne peuvent pas savoir à l’avance où envoyer leurs produits, ni en quelle quantité », précise-t-elle.

Mutualiser les opérations présente pourtant plusieurs avantages, selon l’enseignante. Cela permet notamment d’affréter les véhicules de livraison pour un maximum de commandes afin d’éviter le transport à vide, coûteux pour le portefeuille comme pour l’environnement. Mettre en commun les activités de stockage et de préparation des colis empêche également la multiplication des entrepôts et des ressources nécessaires au traitement des commandes.  

La méthode offrirait aussi davantage de flexibilité à une entreprise, dès lors qu’elle confie cette mutualisation à un tiers. « Cela lui évite de développer sa propre capacité logistique et lui permet d’utiliser de l’espace au fur et à mesure, en fonction de ses besoins », explique l’experte.


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Une médiation sans risques ?

Ces intermédiaires offrant des services de « logistique tierce partie » existent. Appelés 3PL (third-party logistics), ils comptent DHL, FedEx et UPS parmi leurs chefs de file, et permettent à leurs clients d’externaliser une partie ou l’ensemble de leur chaîne d’approvisionnement.

Une intervention qui pourrait toutefois peser sur la qualité du service, tout en le maintenant à un niveau acceptable, croit Claudia Rebolledo : « Il est toujours mieux de s’occuper soi-même de ses clients, mais avec la demande qui augmente, il devient impossible pour une entreprise de gérer elle-même ses livraisons. »

C’est aussi parce que leur expertise commence à faire ses preuves que les 3PL doivent rassurer leurs clients quant au traitement diligent de leurs données, et ainsi les convaincre des avantages de la mutualisation, estime la chercheuse. « Et sur ce point, faire appel à un tiers reste la meilleure façon d’opérer », conclut-elle.