Article publié dans l'édition Été 2020 de Gestion

Les montagnes russes émotionnelles font partie du monde des affaires. Qu’il s’agisse de gérer un conflit, de négocier ou de décider, comment les gestionnaires mobilisent-ils leur intelligence émotionnelle ? Trois études internationales mettent en lumière le rôle que jouent les émotions dans la direction ou dans la motivation d’une équipe.

Entrepreneurs Britanniques : la mobilisation grâce à la régulation des émotions

Diriger une entreprise suscite parfois des émotions intenses. Pour comprendre la façon dont certains chefs d’entreprise parviennent à motiver leurs troupes en contexte de turbulences et de questionnements stratégiques, des chercheurs ont étudié1 leurs modes spécifiques de régulation des émotions.


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Ce processus de régulation fait référence aux actions et aux comportements qui ont pour but de maintenir ou de modifier les états émotionnels des gestionnaires et des parties prenantes, que ce soit pour leur bien-être ou pour l’atteinte d’un objectif. Les entrepreneurs interrogés dans le cadre de cette étude ont en commun la volonté de mobiliser leurs équipes (membres du personnel et investisseurs) afin de saisir les occasions commerciales qui se présentent sur le marché.

En situation d’urgence, les gestionnaires ont ainsi tendance à réguler leurs émotions en modifiant leur perception d’une situation (réévaluation), en bloquant une émotion négative ou en anticipant les difficultés susceptibles d’exacerber cette émotion.

Après avoir interrogé six fondateurs d’entreprises sur une période de sept ans, les chercheurs ont réussi à distinguer deux types de régulation émotionnelle qui favorisent ultimement l’utilisation optimale des ressources internes et externes au bénéfice de l’entreprise : la régulation émotionnelle de soi et la régulation émotionnelle des autres parties prenantes. La régulation émotionnelle de soi peut tout d’abord être reliée aux notions de temps et de récompense.

Dans une perspective temporelle, un gestionnaire peut par exemple surmonter les problèmes quotidiens de son entreprise en évaluant la situation à plus long terme ou analyser ses résultats actuels en se concentrant sur ce qui pourrait être fait à l’avenir. Lorsqu’elle concerne plutôt les récompenses, la régulation émotionnelle de soi permet aux gestionnaires d’envisager tous les avantages liés à leur statut d’entrepreneur : plaisir, satisfaction, etc.

En ce qui a trait à la régulation émotionnelle des autres, cette recherche britannique révèle une variété d’agissements privilégiés par les collaborateurs et par les partenaires susceptibles d’accorder de la légitimité aux dirigeants : vérifier les informations avant de les transmettre afin d’éviter toute anxiété inutile, taire de mauvaises nouvelles dans l’immédiat (dans l’éventualité où une solution pourrait se présenter plus tard), ne confier aucune tâche inutile aux investisseurs.

Ce type de régulation émotionnelle repose sur trois grandes catégories d’actions : maintenir un dialogue ouvert à propos des occasions d’affaires (en faisant par exemple connaître aux employés les résultats de l’entreprise pour faire preuve de transparence), contrôler les émotions exprimées (en se comportant de façon calme avec son équipe malgré la pression ressentie), montrer de la considération et offrir du soutien (notamment en étant flexible pour permettre aux employés de mieux concilier leur vie familiale et leur vie professionnelle). Autant de façons de puiser dans ses émotions pour prendre de meilleures décisions et pour motiver ses troupes.

Cadres Turcs : les émotions qui influencent la prise de décision

Les ressentis émotionnels des gestionnaires peuvent interférer avec certains processus cognitifs comme la prise de décisions. C’est ce que tend à démontrer une étude2 réalisée auprès de cadres turcs et de leurs employés inscrits à un programme de MBA pour cadres et gestionnaires (EMBA). Cette étude examine le rôle des émotions lors de négociations devant mener à des accords idiosyncrasiques (qu’on nomme idiosyncratic deals ou I-deals en anglais).

Négociés individuellement entre un employé et un gestionnaire, ces accords visent à répondre aux besoins spécifiques de chaque employé en matière de travail : développement des compétences, flexibilité de l’horaire, télétravail, avantages financiers, etc. Dans ce contexte, la recherche révèle un lien direct entre les émotions positives du gestionnaire et l’obtention d’avantages pour l’employé candidat à l’EMBA.

Parmi les facteurs susceptibles d’influencer les émotions des gestionnaires à propos de ce type de négociations dominent les comportements adoptés par les employés à l’issue des discussions. Puisque ces accords sont destinés à être bénéfiques à toute l’équipe, les gestionnaires se sentent mieux disposés envers les employés qui affichent de bons comportements relationnels (rapports sociaux harmonieux) après leur négociation individuelle.

En revanche, ils ont tendance à ressentir des émotions négatives à l’issue de ce processus quand les employés se « déconnectent » des autres (c’est-à-dire lorsqu’ils ne font pas bénéficier l’organisation et leurs collègues des avantages obtenus) une fois l’accord conclu. Ces résultats de recherche aident les gestionnaires à mieux comprendre l’incidence de leurs perceptions et de leurs émotions sur leurs modes de prise de décisions et à saisir toute l’importance d’attentes claires préalablement établies avec les bénéficiaires de ces accords.

Gestionnaire Chinois : les émotions et les conflits au travail

Les conflits au travail – plus que toute autre difficulté – suscitent de grandes émotions. Toutefois, quand nous devons composer avec un pair, avec un superviseur ou avec un subordonné, nous ne réagissons pas toujours de la même façon. Pour mieux comprendre ces types de réactions, des chercheurs d’Irlande et de Chine3 se sont penchés sur l’intelligence émotionnelle de gestionnaires chinois et sur l’influence de celle-ci en matière de gestion des conflits avec divers acteurs des entreprises concernées.

Plus précisément, quelle composante spécifique de l’intelligence émotionnelle mobilisent-ils? Qu’est-ce que leur style de gestion des conflits révèle à propos de leur intelligence émotionnelle? À partir de la recherche qu’ils ont effectuée, ils ont alors défini cinq styles de gestion des conflits : l’évitement, la domination, la collaboration, le compromis et l’intégration.

Utiliser ses émotions s’avère être un exercice subtil qui requiert une certaine capacité d’adaptation : la composante la plus importante de l’intelligence émotionnelle est l’utilisation – par les gestionnaires chinois dans le cas qui nous occupe – des émotions de manière adaptative, en particulier lorsque leurs pairs et leurs superviseurs sont impliqués dans les conflits. Plus précisément, cette étude a permis d’observer que les cadres débutants et les femmes gestionnaires sont plus susceptibles d’avoir recours au style dominant lorsque des subalternes sont mêlés au conflit.

Quant à eux, les hommes manifestent davantage leur côté dominant avec leurs pairs. Toutefois, ce style de gestion ne concerne pas les professionnels du secteur public, lesquels privilégient l’intégration, l’évitement et le compromis avec leurs pairs. Dans le secteur privé, par exemple, les gestionnaires chinois ne semblent pas devoir réguler leurs émotions lorsqu’ils adoptent le compromis avec leurs collègues à tous les niveaux. Extrêmement intelligents sur le plan émotionnel, ils sont en mesure d’évaluer leurs propres émotions et celles des autres pour régler les conflits avec leurs pairs et avec leurs superviseurs.


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Autre constat : les gestionnaires moins éduqués ont tendance à choisir l’évitement lorsqu’ils interagissent avec leurs pairs. Au même moment, ils ont aussi le réflexe de réguler leurs émotions et de les utiliser de manière adaptative.

L’âge des gestionnaires ne semble pas avoir d’effet sur le style de gestion adopté. Seuls les plus jeunes sont davantage enclins à choisir le style du compromis lorsqu’ils sont en conflit avec leurs supérieurs. Les dirigeants chinois estiment que l’utilisation efficace des émotions est cruciale ; ils optent généralement pour le style du compromis lorsque surviennent des conflits avec leurs pairs, avec leurs supérieurs et avec leurs subordonnés.


Notes

1 Huy, Q., et Zott, C., « Exploring the affective underpinnings of dynamic managerial capabilities – How managers’ emotion regulation behaviors mobilize resources for their firms », Strategic Management Journal, vol. 40, n° 1, janvier 2019, p. 28-54.

2 Rofcanin, Y., Kiefer, T., et Strauss, K., « What seals the I-deal ? Exploring the rôle of employees’ behaviours and managers’ emotions », Journal of Occupational and Organizational Psychology, vol. 90, n° 2, juin 2017, p. 203-224.

3 Chen, H. X., Xu, X., et Phillips, P., « Emotional intelligence and conflict management styles », International Journal of Organizational analysis, vol. 27, n° 3, juillet 2019, p. 458-470.