Article publié dans l'édition Automne 2010 de Gestion

« Depuis quelque temps, Langine, l’une de vos subordonnées, se plaint d’être fatiguée, s’absente durant de longues périodes et ne fournit plus le rendement demandé. Engagée comme gestionnaire de premier niveau, responsable d’autres employés et ayant à traiter avec la clientèle, elle vous avait pourtant donné satisfaction au début. Maintenant, à l’évidence, elle est proche du burn-out. Que s’est-il passé? »

Le cas de cette gestionnaire de premier niveau épuisée n’est pas imaginaire ou fortuit. Il est typique de ce que vivent de nombreux individus qui occupent un poste similaire. Dans ce cas comme dans bien d’autres, l’examen de la situation a montré que les problèmes qui surviennent sont attribuables aux tensions de rôles auxquelles ces personnes font face.


LIRE AUSSI : « Relations interpersonnelles difficiles au travail : les comprendre pour mieux y faire face »


Dans l’exercice de son travail, une personne doit répondre à diverses attentes qui lui sont formulées plus ou moins explicitement : celles de l’organisation, de son supérieur immédiat, de la direction, de ses collègues, des clients et d’autres acteurs et, enfin, ses propres attentes. La tension de rôles correspond au sentiment qu’éprouve un individu qui se trouve dans une situation où il lui est difficile, voire impossible, de répondre à toutes ces attentes de façon satisfaisante tant à ses yeux qu’aux yeux des personnes qui les formulent (Katz et Kahn, 1978).

Il est bien connu que ces tensions sont des facteurs de stress susceptibles d’entraîner, d’un côté, de l’insatisfaction, de la fatigue, des absences fréquentes ou prolongées du travail et, à terme, des problèmes de santé, et, d’un autre côté, une baisse marquée du rendement et le roulement du personnel. En bref, il s’agit de conséquences négatives coûteuses tant pour l’employé que pour son organisation (Brun et al., 2009; Truchot, 2004).

Les tensions de rôles sont inhérentes à tout poste. Cependant, certains postes amènent leurs titulaires à éprouver plus intensément de telles tensions. C’est le cas de la fonction de directeur adjoint d’un établissement d’enseignement secondaire, un cadre de premier niveau qui a du personnel sous sa responsabilité et qui doit interagir avec la clientèle.

Une recherche que nous avons menée (voir l’encadré 1) montre que quatre caractéristiques de la fonction de directeur adjoint rendent leurs titulaires susceptibles de faire face à des tensions de rôles élevées, que nous décrirons plus loin : l’absence de description formelle de cette fonction, la position frontalière qu’elle occupe, les changements dans les rôles demandés au titulaire de ce poste et l’absence de participation du directeur adjoint aux processus de décision formels.

La façon dont un individu fait face à des tensions de rôles au travail est sans doute décisive quant aux conséquences qui peuvent s’ensuivre. Toutefois, le supérieur immédiat peut-il contribuer à prévenir ou à minimiser ces tensions de rôles et, ainsi, à en réduire les effets nuisibles? C’est à cette question que le présent article veut répondre.

La première partie éclaire la réalité qui se cache sous l’expression «tensions de rôles» et en présente les différents types. La deuxième partie montre comment les caractéristiques énumérées ci-dessus sont propres à susciter des tensions, le cas du directeur adjoint d’une école secondaire fournissant une illustration de leurs manifestations. Enfin, la troisième partie suggère des pistes d’intervention qui s’adressent principalement au supérieur immédiat de ce cadre de premier niveau.

Définition des tensions de rôles

Une personne éprouve une tension de rôles lorsqu’elle a l’impression de se trouver dans une situation où il lui est pratiquement impossible de répondre à toutes les attentes de façon satisfaisante tant à ses yeux qu’aux yeux des personnes qui formulent ces attentes (Katz et Kahn, 1978).

Un employé ressent cette tension lorsqu’il est placé devant l’une ou l’autre des situations problématiques suivantes :

  • Il se sent pressé ou surchargé tant sur le plan professionnel que sur le plan mental ou émotionnel (surcharge quantitative ou qualitative).
  • Il a l’impression que les attentes formulées à son égard sont conflictuelles (conflits entre les rôles).
  • Il constate une insuffisance de ressources personnelles ou autres pour faire face à ces attentes (incapacité de remplir les rôles).
  • Il estime que les attentes sont floues ou que des attentes qui devraient être formulées ne le sont pas (ambiguïté des rôles).

Le tableau 1 reprend ces quatre situations problématiques ou types de tensions de rôles et explicite les modalités selon lesquelles chacune de ces situations se manifeste.

Qu’est ce qui provoque des tensions de rôles ? L’exemple des directeurs adjoints d’école secondaire

Voyons comment les quatre caractéristiques nommées précédemment sont susceptibles d’entraîner ou d’augmenter des tensions de rôles chez les employés qui occupent certains postes ou certaines fonctions. Afin d’illustrer nos propos, nous utiliserons l’exemple du directeur adjoint d’une école secondaire du Québec, poste que nous avons étudié1.

Notons que l’une ou l’autre de ces caractéristiques marquent de façon semblable des fonctions organisationnelles de cadres dans d’autres milieux que le milieu scolaire. Ce serait le cas des chefs d’unité ou des coordonnateurs clinico-administratifs de département dans les établissements hospitaliers ou des agents de maîtrise en milieu industriel.

Une absence de description formelle de la fonction ou du poste

Certains employés, comme le titulaire d’un poste de directeur adjoint dans une école secondaire du Québec, exercent une fonction qui, en pratique, n’est pas balisée par une description formelle approuvée par leur organisation ou encore par des normes professionnelles.

Par exemple, pour le poste de directeur adjoint, les textes officiels ne comportent que deux précisions : l’adjoint assiste le directeur et il assume toutes les responsabilités que ce dernier lui confie. Le supérieur immédiat décide donc des quatre aspects des responsabilités de son adjoint2 : la nature de ses responsabilités, l’étendue de son contrôle, la variété de ses tâches et l’autonomie qu’il aura.

La nature des responsabilités. Généralement, dans les établissements scolaires, la plupart des responsabilités assumées par le directeur adjoint s’exercent auprès du personnel et des élèves. Vis-à-vis du personnel, sa principale tâche consiste à faire de la supervision dans une perspective de soutien tout en introduisant un certain contrôle.

Cependant, dans bien des cas, le directeur n’hésite pas à demander à son adjoint de jouer un rôle d’encadrement plus large et plus varié, qui englobe l’organisation des tâches, le dépannage, le contrôle des résultats, l’appréciation de la prestation de services et l’application des conditions de travail. Non seulement ces tâches augmentent la quantité de travail, mais elles provoquent souvent chez l’adjoint un conflit entre un rôle de soutien et un rôle d’autorité.

Le directeur adjoint est aussi amené à intervenir quotidiennement auprès des élèves ou dans des situations qui concernent ces derniers. Comme certains employés sous sa responsabilité ne réussissent pas à apporter une réponse satisfaisante à des problèmes donnés, il entre en contact avec les élèves.

Cette intervention de deuxième ligne survient régulièrement pour des cas complexes ou très particuliers. Il se peut aussi que l’adjoint doive remplacer un membre du personnel pour d’autres motifs, par exemple lorsque celui-ci n’a pas la compétence dont il devrait normalement faire montre. Ici, ce n’est pas tant le nombre d’interventions à réaliser que leur exigence sur les plans cognitif et émotif qui est en cause. On parle alors d’un risque de surcharge qualitative (voir le tableau 1).

L’étendue du contrôle. L’étendue du contrôle en ce qui a trait au nombre de personnes à superviser correspond souvent à ce que l’on qualifie de surcharge quantitative. Au secondaire, le nombre d’enseignants que supervise un directeur adjoint dépend du nombre d’élèves.

Toutefois, le nombre d’enseignants ne tient pas compte d’autres aspects qui augmentent la charge de travail du directeur adjoint, comme la proportion de postes à temps partiel, la précarité des postes et le roulement du personnel.

Ces phénomènes s’observent surtout chez le personnel enseignant affecté aux groupes d’élèves des premières années du secondaire, qui se compose essentiellement d’enseignants débutants ou ayant un statut précaire. Ces derniers sont souvent moins stables, quittent la profession en plus grand nombre ou cherchent à obtenir une affectation dans les classes plus avancées.

En outre, comme il arrive aussi fréquemment que les adjoints débutants soient responsables des élèves les plus jeunes, ils ressentent souvent davantage la surcharge que les directeurs adjoints expérimentés.

La variété des tâches. Assumer une variété d’activités comporte sans doute l’avantage de rendre une fonction plus intéressante que si elle était limitée à quelques tâches, épargnant à la personne un travail routinier et démotivant.

Mais cela ne va pas sans inconvénients. D’une part, dans une situation où il existe déjà une surcharge quantitative, comme dans le cas des directeurs adjoints des écoles secondaires, une grande variété de tâches augmentent la possibilité que les activités soient souvent interrompues.

À la longue, cela pèse et amène un questionnement continuel sur ce qui est le plus important (surcharge qualitative et ambiguïté des rôles). D’autre part, plus les activités sont variées, plus cela augmente la probabilité que la personne doive faire face à des attentes auxquelles elle ne pourra répondre adéquatement parce qu’elle n’a pas toutes les compétences requises. Pensons, par exemple, au cas du directeur adjoint qui doit s’occuper d’un élève en détresse avant qu’un professionnel spécialisé disponible ne puisse prendre la relève.

L’autonomie. Une faible autonomie limite les possibilités d’action d’un employé et tend à placer celui-ci dans une situation d’incapacité de remplir les rôles. En revanche, une trop grande autonomie est considérée par bien des directeurs adjoints comme un poids supplémentaire et une limite face aux attentes du personnel et de la clientèle : ils ne peuvent s’appuyer sur l’autorité du directeur pour justifier leurs décisions et leurs actions.

En fait, on constate que, lorsque l’autonomie du directeur adjoint est grande, il a tendance à céder aux pressions exercées par les membres du personnel même si leurs attentes ne sont pas forcément compatibles avec celles du directeur, ce qui amène une situation de conflit entre émetteurs (voir le tableau 1).

Par ailleurs, une certaine ambiguïté quant à l’autonomie accordée ne suscite pas toujours des tensions chez le directeur adjoint. Pourquoi? Parce que cela lui confère une marge d’interprétation dont il peut profiter. Dans certains cas, il peut prétendre ne pas posséder l’autorité pour décider ou agir, alors que, dans d’autres cas, il prendra sur lui d’intervenir.

Une position frontalière

Une position est dite «frontalière» quand elle est située au point de rencontre entre deux ou plusieurs groupes susceptibles d’entretenir des attentes divergentes envers le titulaire d’un poste. On parle alors de conflits potentiels entre les attentes des émetteurs.

On trouve au moins deux cas de figure chez le directeur adjoint, qui le mettent souvent dans une situation difficile : premièrement, les attentes des élèves dont il a la responsabilité et de leurs parents divergent fortement de celles du personnel enseignant; deuxièmement, les attentes du personnel enseignant s’accordent mal avec celles de son supérieur immédiat et des dirigeants.

Des changements dans les rôles

Les multiples changements qui se produisent au travail suscitent de nombreuses modifications dans les rôles des gestionnaires de premier niveau. Les directeurs adjoints n’ont alors pas nécessairement la compétence pour répondre de façon adéquate (incapacité de remplir les rôles) aux nouvelles attentes, dont certaines sont parfois plus ou moins compatibles avec les rôles acquis (conflit entre l’individu et ses rôles).

De plus, l’alourdissement et la complexification de la tâche contribuent aussi à une surcharge qualitative et rend difficile la détermination des nouvelles priorités (ambiguïté des rôles)3.

Dans un contexte de changement où les instances supérieures nourrissent, souvent implicitement, de nouvelles attentes vis-à-vis des gestionnaires de premier niveau, il arrive qu’il soit très difficile de répondre à la fois aux nouvelles attentes des supérieurs, aux attentes antérieures et actuelles de ces derniers de même qu’aux attentes du personnel. Cette pression exercée de part et d’autre accentue l’inconfort de la position frontalière, le directeur adjoint se sentant souvent «entre l’arbre et l’écorce».

Une absence de participation aux processus de décision formels

En principe, dans les établissements scolaires, le directeur adjoint ne participe pas aux processus de décision formels, sauf s’il est appelé à remplacer le directeur. Il n’est pas rare non plus que le directeur adjoint soit exclu des principaux organismes de consultation de la commission scolaire dont son établissement fait partie, et ce, même s’il aura à appliquer les décisions qui y sont prises.

Nonobstant cette situation particulière, dans nombre de grandes organisations, il arrive souvent que le gestionnaire de premier niveau participe peu aux processus de décision formels, notamment ceux qui se déroulent à un niveau hiérarchique plus élevé que celui de son supérieur immédiat.

En quoi cette situation a-t-elle une incidence sur les tensions de rôles4? Dans la mesure où le gestionnaire doit appliquer les décisions prises par d’autres, comme c’est le cas pour le directeur adjoint, il risque de se retrouver avec un nouveau mandat sans que les décideurs aient pris en considération la surcharge quantitative qui est déjà son lot.

Il arrive également que la décision véhicule des attentes contraires aux attentes actuelles (conflits entre les rôles). Enfin, étant donné que le gestionnaire ne détient pas toutes les informations relatives à la décision ou que celle-ci n’a pas pris en compte le contexte particulier dans lequel elle devra être appliquée, il peut faire face à une incapacité d’appliquer efficacement la décision (incapacité de remplir les rôles).

Comment prévenir les tensions de rôles et éviter certains écueils ?

Nous avons vu que des postes, en raison de leurs caractéristiques, sont susceptibles d’entraîner des tensions de rôles parfois très fortes qui risquent d’avoir des conséquences négatives. Au premier chef, il appartient aux titulaires de ces postes de mettre au point des stratégies qui leur permettront non seulement de minimiser ou de prévenir certaines de ces tensions, mais aussi d’y faire face.

Cependant, par leurs interventions, les supérieurs immédiats des titulaires de ces postes doivent contribuer à atténuer ou à prévenir ces tensions de rôles afin de favoriser le bien-être de leurs subordonnés et le bon fonctionnement de l’organisation.

Le schéma 1 résume trois pistes d’intervention que les supérieurs immédiats peuvent adopter. Plusieurs écueils à éviter sont aussi signalés. Ces moyens que les supérieurs hiérarchiques peuvent prendre demeurent simples et complémentaires, mais ils ne sont pas tributaires d’une démarche à une plus grande échelle qui porterait, entre autres, sur la sélection du type de cadres en cause et sur leur formation, notamment la formation continue, et qui s’inscrirait dans une perspective de changement organisationnel.

Comme le soulignent Brun et al. (2009 : 45), «à travers les pratiques de gestion et les pratiques de travail, nos comportements, paroles et décisions peuvent constituer des facteurs de risque ou de protection de la santé».

Attribuer soigneusement les responsabilités

Un premier écueil à éviter consiste à considérer l’attribution des responsabilités à un nouveau subordonné comme allant de soi et comme étant un processus automatique. Avant d’attribuer les responsabilités qu’il veut confier à ce nouveau collaborateur de premier niveau, le supérieur immédiat doit chercher à bien saisir ce que représentent, tant au quotidien que d’une façon générale, les différentes responsabilités et l’ensemble qu’elles forment.

Plus précisément, il doit s’intéresser aux attentes du personnel, des clients, des pairs, s’il y a lieu, ou de tous les autres acteurs avec lesquels le subordonné aura à traiter. L’analyse portera également sur les caractéristiques de ces acteurs qui influent directement sur la charge de travail (par exemple, le niveau de qualification, le statut ou encore l’expérience professionnelle du personnel).

S’ajoutent à ces éléments les exigences sur le plan qualitatif du travail demandé (complexité, cas d’exception, ressources à mobiliser, niveau d’intensité cognitive et émotive, etc.). Si d’autres individus exercent une fonction semblable, il y a lieu d’éviter la fausse équité dans la répartition des responsabilités en ne s’appuyant que sur une mesure quantitative.

Au cours de cette première étape, le supérieur immédiat ne doit pas tenir pour acquis qu’il connaît bien le travail parce qu’il a déjà exercé la fonction ou occupé un poste semblable dans cette organisation ou dans une autre. Bien des choses, souvent peu perceptibles pour une personne qui n’exerce pas la fonction, peuvent avoir changé.

À une deuxième étape, le supérieur immédiat devrait avoir des discussions avec son nouveau collaborateur afin de connaître ses attentes et de voir dans quelle mesure celui-ci est prêt sur le plan de ses ressources personnelles (dont son expérience) à exercer toutes les responsabilités qu’il veut lui confier et dont la plupart, bien entendu, correspondront à celles de son prédécesseur. Ce faisant, le supérieur sera en mesure de moduler l’attribution des responsabilités en prenant en compte les caractéristiques du nouveau venu et l’expérience qu’il possède. Par exemple, si le nouveau cadre est sans expérience, le supérieur peut lui indiquer les responsabilités qu’il doit immédiatement assumer et celles qui, avec le temps, s’ajouteront.

Par ailleurs, en énonçant au subordonné les responsabilités dont il est chargé, le supérieur s’efforcera de formuler claire- ment ses attentes, notamment pour ce qui est du rendement, des priorités et de la façon de procéder.

Dans les échanges avec le nouveau venu, il y aura aussi lieu de s’attarder aux difficultés que suppose l’exercice des responsabilités et de discuter des moyens d’y faire face. Il ne faudra pas oublier de mettre en lumière les aspects les plus importants dans le travail du subordonné et de désigner les priorités.

Certains supérieurs qui, lorsqu’ils ont commencé à occuper un poste semblable, n’ont pas fait l’objet de telles précautions trouveront peut-être celles-ci inutiles. «Je suis passé par là et j’ai appris par moi-même. Qu’il fasse de même, c’est ainsi qu’il montrera vraiment ce dont il est capable», diront-ils. Cette attitude n’est pas souhaitable et, dans bien des cas, elle mène à une impasse. D’autres supérieurs joueront la carte de la confiance. «Elle a été bien choisie et elle a été formée. Elle saura se montrer à la hauteur.»

Quant à l’autonomie à accorder à son nouveau collaborateur, le supérieur immédiat doit tenir compte de deux facteurs. Tout d’abord, c’est sa propre capacité à vivre la situation qu’il doit évaluer : jusqu’à quel point est-il prêt à accepter que son subordonné agisse de façon autonome et à propos de quelles matières? Ensuite, il doit se demander dans quelle mesure le subordonné possède la capacité d’agir d’une façon autonome.

En fonction des réponses données et du résultat des échanges qui ont eu lieu, le supérieur sera à même de laisser une pleine autonomie au subordonné en ce qui concerne telle matière; il s’attendra à ce que ce dernier le consulte ou s’enquière de ses réactions au regard de telle autre matière; enfin, il se réservera la décision en d’autres matières. De cette façon, bien des tensions seront évitées.

Cette démarche a l’avantage, pour le supérieur immédiat, d’augmenter sa capacité de superviser son subordonné et de lui apporter le soutien nécessaire, au besoin.

Soutenir l’employé en exerçant une supervision adaptée

Le supérieur immédiat doit éviter deux autres écueils relativement à la supervision : d’une part, exercer une supervision excessive et tatillonne auprès de son subordonné qui, en fait, prendrait l’allure d’un contrôle étroit et autoritaire; d’autre part, laisser son subordonné à lui-même en estimant qu’il s’est bien approprié les responsabilités qui lui ont été confiées et les attentes auxquelles il doit répondre, qu’il sait en ordonner l’importance et qu’il pourra se débrouiller sans l’intervention de son supérieur, à moins que des problèmes majeurs ne surviennent ou que des critiques ne s’expriment avec force.

Confier des responsabilités suppose que le supérieur immédiat a confiance dans le fait que celles-ci seront assumées adéquatement. Toutefois, cela ne le dispense pas pour autant d’assurer une supervision régulière et adaptée qui s’impose tout à fait normalement.

Ce suivi consiste à voir dans quelle mesure le subordonné s’acquitte de ses tâches conformément aux attentes que son supérieur lui a formulées, et à examiner s’il dispose de toutes les ressources pour ce faire. Il permet aussi de donner une rétroaction dosée tant sur les points qui vont que sur ceux qui ne vont pas.

Il est d’ailleurs très important de ne pas s’en tenir à fournir une rétroaction corrective, sinon cela pourra amener le subordonné à se préoccuper uniquement des aspects visés5.

De plus, la supervision doit devenir une occasion d’observer comment le subordonné vit son travail, de vérifier sa compréhension des attentes qui lui sont transmises et de mettre en évidence celles qui semblent contradictoires ou floues, de parler du même coup des tensions auxquelles il fait face, de réviser ses attentes comme supérieur, de procéder aux ajustements qui s’imposent et d’établir conjointement avec le subordonné la manière dont il peut améliorer sa pratique.

Par le fait même, l’exercice de la supervision permet de clarifier et de renforcer les attentes du supérieur envers son subordonné ou, au besoin, de les recadrer en fonction des attentes des autres acteurs et, s’il y a lieu, de les modifier. Le cas du directeur adjoint illustre l’importance de cette dimension de la supervision.

Quand l’expression des attentes et la rétroaction viennent davantage du personnel dont il est responsable que de son supérieur immédiat, le gestionnaire a tendance à vouloir répondre aux attentes du personnel, ce qui se fait parfois au détriment des attentes exprimées par le supérieur immédiat.

En outre, l’exercice de la supervision peut devenir le point de départ d’un soutien de proximité : le supérieur joue alors le rôle de coach si le subordonné se prête explicitement ou implicitement à cet accompagnement. Il ne s’agit pas pour le supérieur immédiat de prendre à son compte les difficultés du subordonné.

Il doit plutôt amener le subordonné à exprimer les difficultés qu’il vit, à révéler les tiraillements qui proviennent d’attentes contradictoires ainsi que l’insuffisance de ressources. À partir de là, le supérieur immédiat pourra explorer avec son subordonné les solutions possibles.

Une telle supervision n’est pas facile à exercer. D’abord, elle contient inévitablement un volet contrôle et ne saurait être dissociée de l’évaluation de la performance du subordonné à laquelle il y aura lieu de procéder périodiquement. Ensuite, la supervision doit être adaptée aux caractéristiques du subordonné : l’un demandera une attention plus soutenue, alors que l’autre sera moins dépendant de son supérieur immédiat.

Enfin, elle repose sur une bonne communication, car on sait que les tensions ne sont pas étrangères aux difficultés de communication. À cet égard, un écueil important guette le supérieur immédiat : il ne doit pas faire naître chez le subordonné l’impression que le fait d’éprouver des difficultés ou de parler des problèmes qui surviennent au regard de ses responsabilités est un aveu de faiblesse et, en conséquence, qu’il vaut mieux ne pas soulever de telles questions.

En somme, l’exercice de la supervision ne doit pas être laissé au hasard. Les moments des rencontres tout comme un certain nombre de sujets qui seront abordés devraient être fixés à l’avance. Le supérieur et son subordonné ont avantage à s’entendre sur ces aspects.

Néanmoins, il ne faut pas rejeter une large part de spontanéité. En ce qui concerne le soutien de proximité, le supérieur doit demeurer visible et accessible et pouvoir apporter rapidement de l’aide lorsque son subordonné, surtout s’il est débutant, vit des moments plus difficiles ou fait face à des situations exceptionnelles.

Optimiser la participation ou l’engagement de l’employé

Le supérieur immédiat peut pallier dans une certaine mesure l’absence de participation de son subordonné aux processus de décision formels au moins de trois façons.

En premier lieu, lorsqu’il participe à une réunion où se prennent des décisions concernant directement ou indirectement son subordonné, le supérieur immédiat se réservera un temps d’échange avec celui-ci sur les sujets en cause.

Notamment, il prendra le temps de connaître le point de vue de son subordonné sur les différentes options qui s’offrent et sur les implications de chacune. Ici, le supérieur doit éviter de laisser croire à son collaborateur qu’il est d’accord avec sa position quand il ne l’est pas et qu’il entend en soutenir une autre.


LIRE AUSSI : « La santé mentale au travail : une question de gros bon sens »


En deuxième lieu, le supérieur immédiat informera son collaborateur des décisions prises, des raisons sur lesquelles elles s’appuient et des conditions ou des contraintes qui ont été considérées. Il discutera aussi avec son collaborateur de la façon dont ces décisions devront être mises en œuvre et des conditions qui faciliteront leur application. Ensemble, ils verront en quoi ces décisions modifient les attentes qui ont été communiquées au subordonné.

En troisième lieu, le supérieur immédiat fera participer autant que possible le subordonné aux décisions qui se prennent à leur échelon de l’organisation. Dans ce cas, il est important de fixer les modalités de cette participation, surtout lorsque le subordonné voit les choses différemment de son supérieur.

Conclusion

Comme nous l’avons vu dans cet article, en vue d’améliorer la qualité de vie au travail du personnel dont ils sont responsables, les cadres doivent analyser avec soin les caractéristiques d’une fonction ou d’un poste qui sont associées aux tensions de rôles. De même, ils doivent exploiter adéquatement les diverses pistes d’intervention qui permettront de minimiser ces tensions et, par conséquent, leurs effets néfastes tant pour l’employé que pour l’organisation.


Notes

1 Les exemples faisant référence aux directeurs adjoints d’écoles secondaires sont tirés principalement de la thèse de doctorat de royal (2008a) et d’une recherche de brassard et al. (2001).

2 En ce qui concerne l’analyse qualitative de la charge de travail, voir l’article de Livian et al. (2004) sur la gestion de la charge de travail.

3 À la suite des modifications législatives de 1998, brassard el al. (2001) ont examiné l’impact sur les gestionnaires scolaires des changements dans les rôles. Les participants ont affirmé qu’ils ressentaient un alourdissement et une complexification de leur fonction provoquant une surcharge.

4 Truchot (2004) considère que l’absence de participation aux processus de décision formels est un facteur lié à l’épuisement professionnel.

5 St-onge et al. (2005) indiquent que la rétroaction visant la reconnais- sance des «bonnes pratiques» serait plus efficace que celle orientée sur le contrôle qui vise le respect des normes minimales ou la cor- rection de façons de faire. Les approches centrées sur le contrôle inciteraient les individus à répondre aux attentes de façon minimale.

6 Voir Loubes (1997), grima (2004a, 2004b), perrot (2001).

Références

Brassard, a., corriveau, L., fortin, r., gélinas, a., savoie-Zajc, L., héon, L., de saedeleer, s. (2001), Les directions d’établissement et les changements en éducation, rapport du grides, université de montréal, faculté des sciences de l’éducation.

Breaugh, J.a., colihan, J.p. (1994), «measuring facets of job ambiguity: construct validity evidence», Journal of Applied Psychology, vol. 79, n° 2, p. 191-202.

Brun, J.-p., biron, c., st-hilaire, f. (2009), Guide pour une démarche stratégique de prévention des problèmes psychologiques au travail, université Laval, chaire en gestion de la santé et de la sécurité du travail – institut de recherche robert-sauvé en santé et en sécurité du travail.

Grima, f. (2004a), «faire face au conflit de rôle : analyse des stratégies d’ajustement des responsables de formation professionnelle continue», Revue de Gestion des Ressources Humaines, vol 52, p. 47-62.

Grima, f. (2004b), «Les conséquences de l’ambiguïté de rôle au travail : proposition d’un modèle explicatif synthétique», Revue de Gestion des Ressources Humaines, vol. 54, p. 56-71.

Katz, d., Kahn, r. (1978), The Social Psychology of Organization, John Wiley & sons.

Livian, Y.-f., baret, c., falcoz, c. (2004), «La gestion de la charge de travail dans les activités de services», Revue française de gestion, vol. 30, p. 87-103.

Loubes, a. (1997), Contribution à l’étude des tensions de rôle des agents de maîtrise en milieu industriel, thèse de doctorat en sciences de gestion, université de montpellier ii.

Perrot, s. (2001), L’entrée dans l’entreprise des jeunes diplômés, economica.

Royal, L. (2008a), Le phénomène des tensions de rôle chez le directeur adjoint d’école de l’ordre d’enseignement secondaire du Québec, thèse de doctorat en administration de l’éducation, université de montréal.

Royal, L. (2008b), Les tensions de rôle chez les directrices et les directeurs adjoints d’école, fQde.

St-onge, S., haines, V., aubin, I., rousseau, C., Lagassé, g. (2005), «pour une meilleure reconnaissance des contributions au travail», Gestion, vol. 30, n° 2, p. 89-101.

Truchot, d. (2004), Épuisement professionnel et burnout, dunod.