Les bénéfices attendus de la collaboration sont nombreux et bien connus : transmission d’expertise et de connaissances, innovation, renforcement de l’esprit d’équipe et flexibilité accrue. Or, étonnamment, il semble qu’il soit possible de trop collaborer. Mais comment ?

Nous assistons depuis quelques années à une multiplication des occasions de collaborer au travail. Tout d’abord, des structures organisationnelles aplaties ou matricielles, où les équipes sont intégrées au cœur des processus décisionnels, sont de plus en plus courantes dans plusieurs secteurs d’activité. De plus, les outils technologiques (du courriel jusqu’aux plateformes sociales) ont grandement facilité la collaboration… pour le meilleur et pour le pire. Il n’y a pas si longtemps, adresser une requête à ses collègues et recevoir une réponse de leur part pouvait prendre un certain temps, alors qu’il faut maintenant quelques secondes à peine pour réclamer de l’aide à l’univers tout entier ! Longtemps considérée comme une pratique à valeur ajoutée en toute circonstance, la collaboration a maintenant ses détracteurs, qui en critiquent les aspects négatifs lorsqu’on en abuse. Car, oui, la collaboration est une médaille qui a son revers.

La prise en otage du temps

C’est en 2016 que trois professeurs et auteurs américains1 ont popularisé le concept de la collaboration excessive dans un article intitulé « Collaborative Overload », jetant ainsi un pavé dans la mare de la collaboration. Leur constat : au cours des deux dernières décennies, le temps consacré par les employés et par les gestionnaires à des activités de collaboration a littéralement explosé, accusant une hausse de plus de 50 %. Dans plusieurs organisations, selon les auteurs, il est fréquent que les gens passent près de 80 % de leurs temps en réunion ou à répondre à des demandes de la part de leurs collègues.

Accomplir leurs tâches individuelles ? Oui, mais après les heures normales de bureau. Bref, ils peuvent travailler, mais après le travail ! Qui n’a pas déjà eu le sentiment à la fois soulageant et exaspérant de pouvoir enfin se mettre à l’ouvrage une fois seul au bureau le soir, voire la fin de semaine à la maison ? La collaboration excessive nuit donc à plusieurs facteurs déterminants de la performance, notamment ceux ayant trait à l’attention, c’est-à-dire la concentration et le temps de réflexion. Les interruptions constantes sont elles aussi en cause.

De plus, le sentiment de ne jamais en faire assez pour répondre aux demandes des collègues expose le personnel – particulièrement les gens les plus généreux – à un risque sérieux d’épuisement professionnel. L’article cité plus haut révélait aussi que les employés essentiels à une équipe – ceux que leurs pairs considèrent comme d’excellentes sources d’information et à qui tout le monde veut demander conseil – peuvent se désengager au point d’envisager de quitter l’entreprise.


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Comment éviter la collaboration excessive ?

Les nombreuses causes du surcroît de collaboration sont elles-mêmes la résultante d’une interaction entre les caractéristiques personnelles des individus, la culture organisationnelle ainsi que des systèmes et des processus de gestion parfois déficients. La recette est d’une redoutable nocivité : embauchez ou nommez des gens qui veulent être reconnus en tant que joueurs d’équipe, ajoutez une culture organisationnelle où il est mal vu de dire non et disposez le tout sur une plateforme de collaboration en ligne où tout le monde peut adresser des requêtes aux autres. Résultat : vous venez de produire un cocktail molotov susceptible de détruire n’importe quel projet à tout moment ! L’encadré ci-dessous indique d’ailleurs certains facteurs de risque définis dans la littérature sur ce sujet, qui demeure très embryonnaire à ce jour.

Les causes potentielles de la collaboration excessive

Les formes de collaboration ne se valent pas toutes

Les auteurs de l’article « Collaborative Overload » y distinguent trois types de collaboration :

1- Informationnelle : transmission de connaissances, d’information et de compétences à ses collègues.

2- Sociale : recours à un réseau de contacts et d’influence pour aider les membres de son équipe.

3- Personnelle : don de son temps et de son énergie.

Si l’information et le réseau de contacts sont faciles d’accès, la collaboration personnelle qui mobilise temps et énergie risque de saper l’efficacité de l’employé. D’ailleurs, il semble qu’on s’attende à une plus grande collaboration personnelle de la part des femmes : bien des gens estimeraient en effet que le soutien aux autres et le don de soi constituent des qualités naturelles chez la gent féminine2.


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Il est toutefois possible de mettre en œuvre des stratégies afin de bien gérer la collaboration au sein d’une organisation.

7 stratégies pour prévenir la collaboration excessive

  1. Définir clairement les forces des membres de l’équipe et optimiser la collaboration en fonction intérêts et de l’expertise de chacun
  2. Encourager les employés à dire non lorsqu’il le faut
  3. Favoriser une plus grande discipline en matière d’innovations aux réunions (définition claire des objectifs, fréquence des réunions et choix des personnes convoquées)
  4. Imposer des normes de communication par courriel (inutilité fréquente de la copie et de la réponse à tous, notamment)
  5. Élaborer un indicateur du temps de travail en solo et en équipe et encourager les membres de l’équipe à réserver du temps de travail individuel dans leur agenda
  6. Créer une banque de temps mensuel fixe pour les réunions (obligation d’annuler sa participation à une réunion lorsque la banque est vide)
  7. Échanger en groupe sur la collaboration efficace et sur les risques de la collaboration excessive

Mais attention : il ne faut pas jeter le bébé avec l’eau du bain ! La performance anticipée, déterminée notamment par l’innovation, par l’agilité et par la créativité, s’appuie indiscutablement sur le travail d’équipe.

Or, pour qu’elle soit fructueuse, cette pratique organisationnelle suppose une gestion efficace, dynamique et lucide de la collaboration. Collaborer mieux et souvent, oui, mais pas excessivement ni tout le temps! Car dire oui à quelque chose, c’est aussi dire non à autre chose. Estimez-vous que votre équipe a atteint un degré de maturité satisfaisant en matière de collaboration ? Pour amorcer votre réflexion, remplissez notre questionnaire en cliquant sur le lien suivant.

Article publié dans l'édition Printemps 2019 de Gestion


 

Notes

1- Cross, R., Grant, A., et Rebele, R., « Collaborative Overload », Harvard Business Review, vol. 94, n° 1, janvier février 2016, p. 74-79.

2- Les travaux de Madeline Heilman, professeure de psychologie à l’Université de New York, sont particulièrement éclairants à ce sujet. Voir notamment : Heilman, M. E., et Parks-Stamm, E. J., « Gender Stereotypes in the Workplace – Obstacles to Women’s Career Progress », in Correll, S. J. (dir.), Social Psychology of Gender (Advances in Group Processes, vol. 24), Bradford (G.-B.), Emerald Group Publishing Ltd., 2007, p. 47-77 ; Heilman, M. E., et Okimoto. T. G., « Why Are Women Penalized for Success at Male Tasks? – The Implied Communality Deficit », Journal of Applied Psychology, vol. 92, n° 1, janvier 2007, p. 81-92 ; Lyness, K. S., et Heilman, M. E., « When Fit Is Fundamental – Performance Evaluations and Promotions of Upper-Level Female and Male Managers », Journal of Applied Psychology, vol. 91, n° 4, juillet 2006, p. 777-785.