Difficultés à faire valoir ses idées, à obtenir une promotion, à entretenir un réseau de contacts : être trop timide peut nuire à sa carrière. Or, il est possible de sortir de sa coquille.

C’est aujourd’hui difficile, voire impossible à imaginer, mais Gaëtan Namouric a longtemps été très timide. Quand ce Français d’origine a débarqué au Québec, à l’âge de 26 ans, il avait du mal à prendre son téléphone pour réserver une chambre d’hôtel ou à demander l’heure à quelqu’un sur la rue. «Encore aujourd’hui, aborder des gens que je ne connais pas, ce n’est vraiment pas ce que je préfère. Disons que je n’aime pas beaucoup les 5 à 7, même si cela ne paraît pas.»

Or, Gaëtan Namouric a choisi un travail où les interactions – et les présentations – sont légion, d’abord dans le domaine de la publicité, puis en fondant sa propre firme de consultation, Perrier Jablonski. «Au début, je n’étais pas bon pour parler en public, se souvient-il. J’avais les mains moites, des auréoles sous les bras.» Son truc pour passer par-dessus? Se pratiquer souvent. «C’est un peu comme pour le sport, il faut prendre l’habitude. Au bout d’un moment, tu vas découvrir que ce n’est pas si souffrant. Peut-être même que tu auras du plaisir éventuellement. Mais il ne faut pas se mettre de pression. Il faut juste le faire.»

Un pas après l’autre

Un point de vue qui rejoint celui de Nicolas Chevrier, psychologue du travail aux Services psychologiques Séquoia. Même s’il est tentant d’éviter les situations qui nous stressent, il faut plutôt s’y exposer. Un conseil qui vaut pour toutes situations anxieuses. «Si j’ai peur de prendre le métro, que je me sens mal en y arrivant et que je décide de ne pas y aller, mon cerveau va enregistrer que j’avais raison d’avoir peur. La prochaine fois, il va réagir encore plus fort.» À l’inverse, après 5, 6, 7 ou 8 fois dans le métro, le cerveau va réaliser que rien de grave ne s’est passé et arrêtera progressivement de déclencher des signaux d’alarme.

C’est pourquoi Nicolas Chevrier conseille aux timides de se fixer de petits objectifs, réalistes, pour surmonter leurs peurs. «Pour certaines personnes, cela peut tout simplement être de saluer les autres dans l’ascenseur, alors que pour d’autres, ce sera de se rendre dans un 5 à 7. Le niveau de chacun peut être différent.» Les psychologues peuvent aider à évaluer par quels gestes commencer. Ils peuvent aussi aider à défaire certaines croyances – qu’il faut toujours avoir quelque chose d’intéressant à dire pour prendre la parole, par exemple.

S’inscrire au social fitness

Le psychologue américain Philip Zimbardo parle même du concept de social fitness, souligne Nicolas Chevrier. «Comme pour la forme physique, c’est important de s’entraîner, de faire un effort pour croiser les autres, aller dans les soupers, échanger. Et, avec la pandémie, cet entraînement social a vraiment été difficile. Ainsi, certaines personnes n’ayant pas de problèmes dans leurs relations ont commencé à ressentir un peu d’anxiété après ces moments d’isolement.» Un phénomène qui se perpétue avec le télétravail, note-t-il.

Être en forme socialement permet d’entrer plus facilement en relation avec les autres en fonction de ses besoins, précise le psychologue. À l’inverse, les personnes trop timides seraient plus à risque de vivre l’épuisement professionnel. «Cela va souvent avec une moins bonne affirmation de soi, une difficulté à poser ses limites, ce qui peut engendrer un stress qu’on ne peut neutraliser», observe Nicolas Chevrier. Cela peut même entraîner des écarts salariaux, puisque ces personnes ont moins tendance à demander une augmentation.

Toutefois, certains sont de nature plus introvertie et c’est très bien ainsi. Si la personne est fonctionnelle, n’a pas de mal à entrer en relation avec les autres, ce n'est pas un problème. «C’est parfois même un avantage, puisque ce sont des gens ayant une bonne capacité d’écoute, qui sont attentifs à leur environnement», analyse le psychologue.

S’exercer à prendre la parole en public

Pour les personnes plus timides, parler en public peut être difficile. Or, il est possible de s’améliorer. «Il faut collectionner les occasions de ne pas être bons, par exemple en faisant une présentation à un client qu’on sait perdu d’avance. C’est une bonne façon de s’entraîner, sans se mettre la pression. Ce faisant, on va non seulement se pratiquer, mais aussi réaliser que les scénarios qu’on s’était imaginés ne se sont pas produits», explique Gaëtan Namouric, dont les réflexions se retrouvent dans son livre Ce que vous avez à dire n’intéresse personne, qui aborde la prise de parole.

Pour sa part, Jennifer Gabriele, associée au développement des leaders et des équipes chez Humance, suggère de se donner de petites missions. «Il faut marcher avant de courir. Donc, on commence par intervenir dans des groupes de plus petite taille, où on connaît les gens.» Compter sur des alliés, en se connectant avec certains collègues, peut aussi aider à se sentir en sécurité. «Si on est plus timide, c’est une bonne idée de préparer le terrain et d’aller chercher quelques appuis en faveur de notre intervention.» De la même manière, pour éviter les mauvaises surprises, elle propose de se visualiser, d’imaginer la salle et de réfléchir aux réactions possibles de l'auditoire.

Autre conseil : noter par écrit les points à aborder pour ne pas perdre le fil sous l’effet du stress. «Il ne s’agit pas d’écrire un texte, mais plutôt d’inscrire les grandes orientations, les idées qu’on aimerait partager», précise Jennifer Gabriele. C’est aussi possible de se pratiquer la veille, renchérit Nicolas Chevrier. En effet, avoir le sentiment d’être en contrôle augmente sa confiance. De plus, il vaut mieux se concentrer sur son contenu, sans se laisser distraire par son trac ou surinterpréter la réaction de la salle, croit-il.

Rester soi-même

De façon pragmatique, Gaëtan Namouric conseille également de laisser au vestiaire son habit jamais porté, et d’opter pour des vêtements dans lesquels on est à l’aise. Même chose pour la nourriture : manger un aliment qu’on n’a pas l’habitude avant une présentation pourrait nous donner mal au ventre. «Il faut éviter tous les irritants. Sinon, tu te magasines des imprévus inutiles. Il faut trouver l’équilibre entre le connu et l’inconnu, le planifié et l’improvisation.»

Et surtout, n’oubliez pas que si on vous a invité à parler, c’est pour une bonne raison, rappelle Jennifer Gabriele. «Pour diminuer le stress qui va souvent de pair avec son sentiment d’imposteur, il faut se dire que si on est là, c’est parce qu’on est compétent, qu’on a une pertinence, qu’on est reconnu comme expert», affirme-t-elle. Et c’est la même chose en plus petit groupe : il ne faut pas se dévaluer et se rappeler que, si on est présent, c’est qu’on est compétent.

Même si cela demande des efforts, surmonter sa gêne vaut la peine. «Je pense que mon travail, en m’obligeant à passer par-dessus ma timidité, a fait de moi une meilleure personne», constate Gaëtan Namouric. «Aujourd’hui, parler en public me procure un plaisir infini, difficile à décrire, écrit-il dans son livre. Comme un aveugle qui recouvre la vue, j’ai l’appétit de celui qui a manqué.»