La performance économique des dernières années a favorisé une vision pessimiste de l’avenir. Cette vision ne pourrait-elle pas plutôt refléter un changement d’attitude par rapport au risque provoqué par la croissance à long terme des revenus?

Ce texte vise à montrer l’importante présence des forces favorables à la sécurité et au statu quo dans les bureaucraties et aussi avec l’expansion des gouvernements. Dans l’arbitrage sécurité-rendement, c’est le premier élément qui est davantage privilégié. En conclusion, il est approprié de reprendre le passage de Joseph Schumpeter sur le processus dynamique de la destruction créatrice, source nécessaire à la croissance.


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Les incitations bureaucratiques

L’économiste Charles Schultz fut assistant directeur et directeur du Bureau of the Budget du gouvernement fédéral américain de 1962 à 1967. Il a donc vécu de l’intérieur les problèmes de la répartition des ressources entre les différents programmes. Dans cet extrait, auquel j’ai référé tout au long de ma carrière, il dégage deux principales conséquences d’une absence d’indicateurs de performance dans les organisations : « La première est la prolifération de règlements qui spécifient rigidement la conduite « acceptable » pour les unités décisionnelles subordonnées. […] Dans l’impossibilité où se trouve le contrôleur d’évaluer ses subordonnés par leur contribution à l’output, c’est à un contrôle méticuleux des inputs qu’il recourt. La deuxième conséquence de l’absence d’indicateurs de performances est que les individus et les institutions ne sont souvent animés que du seul souci de minimiser les risques. Le succès d’ensemble d’une entreprise échappe à l’évaluation, mais les erreurs particulières s’identifient facilement et tombent ainsi facilement sous le coup des sanctions. »1. Dans les bureaucraties, les réglementations se multiplient tout en prenant différentes formes selon les périodes. Il devient important pour les membres de connaître le livre des règles et surtout de le suivre. Dans l’arbitrage sécurité-rendement, le premier élément est privilégié. Les bureaucraties sont conservatrices.


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L’État comme assureur global

Pour les pays développés, le XXe vingtième siècle fut caractérisé par l’implantation et la consolidation de l’État providence ou de l’État assureur. Le gouvernement offre une assurance très différente de celle du secteur privé. Le secteur privé doit capitaliser ses régimes tandis que le secteur public ne recourt pas à la capitalisation ou le fait peu. Il offre une assurance généreuse ou entachée de subventions. Les différentes composantes du système de revenu pour la retraite illustrent très bien ce phénomène. Les deux régimes publics, celui de la Sécurité de la vieillesse du fédéral et le Régime des rentes du Québec, ont des niveaux respectifs de capitalisation de 0 % et d’environ 15 %. Pour leur part, les régimes complémentaires de retraite ou d’employeur doivent conserver un niveau de capitalisation de 100 % comme c’est le cas, par définition, pour le régime enregistré d’épargne retraite. L’État n’est pas seulement assureur ou protecteur du statu quo par les assurances publiques, mais aussi dans une très grande partie de ses activités. C’est bien le cas pour les réglementations sociales où le principe de précaution sert de plus en plus d’appui. Il devient un « principe de paralysie » en donnant une pondération démesurée à l’erreur de type 1, celle qui privilégie l’inertie ou le pessimisme devant le changement. Une autre force rend les gouvernements protecteurs du statu quo : c’est la dynamique des processus politiques qui est favorable aux intérêts concentrés et bien établis. C’est le cas de l’Union des producteurs agricoles qui s’oppose énergiquement à toute remise en question des contingentements dans la production et le commerce des produits laitiers et de la volaille; cette présence est coûteuse pour les consommateurs et relativement davantage pour ceux à plus faibles revenus.

Conclusion

Les forces favorables à l’inertie sont vraiment importantes et s’opposent au processus de destruction créatrice mis en lumière par Joseph Schumpeter, source nécessaire à la croissance. Laissons-lui le mot de la fin avec un extrait de son livre Capitalisme, socialisme et démocratie, publié en 1942 : « L'ouverture de nouveaux marchés nationaux ou extérieurs et le développement des organisations productives, depuis l'atelier artisanal et la manufacture jusqu'aux entreprises amalgamées. […] constituent d'autres exemples du même processus de mutation industrielle - si l'on me passe cette expression biologique – qui révolutionne incessamment de l'intérieur la structure économique, en détruisant continuellement ses éléments vieillis et en créant continuellement des éléments neufs. Ce processus de Destruction créatrice constitue la donnée fondamentale du capitalisme : c'est en elle que consiste, en dernière analyse, le capitalisme et toute entreprise capitaliste doit, bon gré mal gré, s'y adapter. » (p. 93) Le processus de destruction créatrice est-il moins accepté aujourd’hui?


Note

1. Joint Economic Committee (1969). The Analysis and Evaluation of Public Expenditures: The PPB System. pp. 207-208.