Au cours d’une carrière, il peut arriver de se sentir «bloqué», sans possibilité d’évoluer. Réelle ou imaginée, cette situation peut occasionner un profond mal-être chez l’employé. Quelles peuvent en être les causes, et surtout, comment sortir de l’impasse?

«Tu es dans une job et devant toi, c’est un tunnel : tu ne peux ni te retourner de bord ni sortir, tu es obligé de suivre. Et demain sera sensiblement pareil.» Voilà comment Alain Gosselin, fellow CRHA et professeur émérite à HEC Montréal, décrit le sentiment de stagnation que traversent beaucoup d’employés arrivés à leur mi-carrière.

Cette sensation s’exprime souvent par une baisse de la motivation, constate Nathalie Houlfort, professeure au Département de psychologie de l’UQAM, qui étudie les questions de motivation au travail : «On a moins envie d’aller travailler, on éprouve moins de plaisir à faire ce que l’on fait, ou on le fait davantage pour des raisons alimentaires», explique l’enseignante.

Pour autant, il est important que les travailleurs puissent distinguer cet état de périodes compliquées qu’ils peuvent traverser ou au cours desquelles ils travaillent sur des projets moins intéressants, souligne Jonathan Passaro, coach exécutif et d’équipe : «C’est lorsque le sentiment de stagnation s’installe dans la durée qu’il faut s’inquiéter. Au bout de 6 mois à 1 an, il est temps que la personne se demande ce qu’elle peut faire pour faire face au problème.»

Comprendre les causes

Pour prendre un mal à bras-le-corps, il peut être bon de savoir d’où il vient. Or, les causes de la stagnation professionnelle sont multiples et dépendent de la manière dont l’employé définit ses critères de réussite de carrière, remarque Nathalie Houlfort : «Il y a des critères objectifs tels que la position, le salaire, les bonus qu’on obtient. Et il y a les critères plus subjectifs : mon travail a-t-il du sens? À quel point mes compétences sont-elles mises à contribution?»

Des employés peuvent par exemple se retrouver bloqués parce qu’ils ont atteint le dernier échelon hiérarchique ou salarial de leur entreprise. Ou encore, parce qu’ils sont surspécialisés. Une situation qui peut survenir dans le cas de promotions rapides, selon Alain Gosselin : «Vous êtes TI, vous avez 23 ans et l’on vous donne une équipe parce que l’entreprise grandit rapidement. Vous risquez alors de vous développer dans un silo et d’y plafonner parce qu’on vous percevra comme un expert sans valeur en dehors de sa niche.»

A contrario, un employé peut se sentir coincé lorsque des limites sont atteintes en termes d’apprentissage, de contribution ou de partage de son savoir, soutient Nathalie Houlfort : «Typiquement, les gens ont l’impression d’avoir fait “le tour du jardin”.» Le sentiment de blocage peut également venir d’un décalage entre les attentes du travailleur par rapport à son poste et la réalité de celui-ci, estime Jonathan Passaro : «Cela arrive souvent dans les positions managériales qui peuvent éloigner du terrain des gens qui y trouvent leur intérêt.» Et s’y épanouissent.

Sortir du tunnel

Pour renverser la vapeur, le premier pas à faire est de regarder ce qui peut être modifié à l’intérieur du poste, croit Jonathan Passaro. «Notamment parce qu’il n’est pas garanti que les problèmes ne se répètent pas dans un autre contexte», soutient le professionnel, qui ajoute que le sentiment de stagnation s’accompagne souvent de l’idée, pour l’employé, qu’il doit tout changer, alors qu’il suffit parfois de «microajustements» pour rétablir l’équilibre : «Ça peut être aussi simple que de proposer un échange de tâches avec un collègue» dont les intérêts ou les compétences sont complémentaires aux siennes.

Beaucoup de marqueurs peuvent indiquer à un employé qu’il est bloqué, explique Alain Gosselin, alors qu’il ne l’est pas forcément. «Il peut ne pas voir les solutions, ne pas se positionner, ne pas élargir son réseau, et avoir en réalité beaucoup d’opportunités qu’il n’utilise pas», précise le professeur. Le déblocage se trouve, selon lui, dans une transition «à l’horizontal» qui nécessite que le travailleur puisse prendre des risques et se réinventer, notamment par le biais de la formation.

Encore faut-il savoir où aller. Le travailleur souhaite-t-il apprendre pour développer des connaissances? Pour changer de poste? Souhaite-t-il aller vers le mentorat? Des questions qui peuvent être abordées avec le soutien d’un conseiller organisationnel, rappelle Nathalie Houlfort.

Le gestionnaire, un allié

Les intervenants s’accordent sur le fait qu’une personne en situation de stagnation ne devrait pas hésiter à en parler à son gestionnaire. S’il est judicieux que l’employé contextualise la situation pour qu’elle n’apparaisse pas à son supérieur comme un reflet de sa gestion, «il est important que l’employé perçoive le gestionnaire comme un allié qui peut l’aider à trouver des solutions», souligne Nathalie Houlfort.

Ce soutien devrait d’ailleurs être anticipé par les chefs d’équipe, considère Alain Gosselin : «Lorsqu’on remarque des signes de démotivation chez une personne, c’est qu’il aurait fallu intervenir plus tôt.» Le professeur plaide pour que les gestionnaires entretiennent avec les membres de leur équipe des conversations régulières sur leur satisfaction au travail. Et si l’employé désire changer de poste, «l’aider à visiter d’autres secteurs de l’organisation, le recommander pour des programmes de formation. Accompagner la personne dans sa réflexion.»