Les employés sont-ils libres de donner leur opinion ou de s’exprimer sur leurs difficultés au travail? Des moyens existent et peuvent être déployés pour assurer la sécurité psychologique en entreprise. Encore faut-il savoir à qui revient cette responsabilité.

Lorsqu’il est question du bien-être des individus, santé mentale et sécurité psychologique sont parfois confondues. Si la santé mentale, au sens qu’en donne l’Organisation mondiale de la Santé (OMS), est un état de bien-être complet «dans lequel une personne peut se réaliser, surmonter les tensions normales de la vie, accomplir un travail productif et contribuer à la vie de sa communauté», la sécurité psychologique est pour sa part plus spécifique. Dans un contexte de travail, elle peut se définir comme la «conviction partagée (par les membres d’une équipe) que l’équipe est sûre pour la prise de risques interpersonnels[1]», selon la chercheuse qui a popularisé le concept, Amy C. Edmondson, professeure de leadership et de gestion et titulaire de la chaire Novartis à la Harvard Business School. 

Le droit de se montrer vulnérable

Autrement dit, la sécurité psychologique est la possibilité de s’exprimer librement sur le lieu de travail. «Elle favorise un environnement au sein duquel l’individu va se sentir en sécurité, respecté et entendu et qui lui assure un filet de sécurité s’il désire parler d’un enjeu, notamment du harcèlement», résume Annabelle Ambroise, psychologue organisationnelle et conseillère en ressources humaines agréée (CRHA) auprès de la firme-conseil Humance.

Parler librement donc, mais aussi se tromper librement, en permettant au travailleur «de commettre des erreurs tout en sachant qu’il sera soutenu par les gestionnaires et par ses collègues», précise Mouna Knani, professeure adjointe au Département de gestion des ressources humaines à HEC Montréal.

En somme, un environnement où l’employé a le droit de se montrer vulnérable sans craindre de retombées négatives.

Si les travailleurs osent de plus en plus faire part de leurs limites et exprimer leur mal-être, ils rechignent encore lorsque vient le temps de souligner les difficultés du travail même, affirme Jean-Pierre Brun, professeur émérite au Département de management de la Faculté des sciences de l’administration de l’Université Laval. «La sécurité psychologique ne consiste pas juste à pouvoir parler de la vulnérabilité de l’individu, mais aussi de la vulnérabilité du travail. De pouvoir dire : “tel truc, ça ne va pas”», souligne l’enseignant qui soutient que le silence organisationnel peut être délétère au bien-être des employés d’une entreprise.

Aller au-delà de la gestion des risques

De manière générale, les employés attendent de leur employeur qu’il joue un rôle actif dans leur bonne santé mentale, à laquelle participe le climat de sécurité psychologique. «Un changement s’opère : certes, l’employé doit faire attention à lui-même, avoir des conditions de vie qui vont soutenir sa bonne santé mentale, mais cette responsabilité est beaucoup plus partagée avec les organisations», révèle Annabelle Ambroise.

À ce titre, Jean-Pierre Brun estime qu’un environnement sécuritaire ne devrait pas se limiter à la gestion du risque au travail, mais devrait contribuer au développement des employés. «Avant, le rapport au travail c’était “my job”, aujourd’hui, c’est “my life”. Les organisations ont beaucoup plus de choses à prendre en considération : elles doivent parler d’équité-diversité-inclusion et mettre en place des programmes d’équilibre des vies, entre autres.»

Les paniers de fruits ne suffisent pas

Plusieurs pratiques sont mises en œuvre en ce sens au sein des entreprises, estime Mouna Knani. «Sur la question de l’équilibre, comme avec la semaine de quatre jours. Mais aussi par la formation et la sensibilisation, notamment des gestionnaires de proximité, à l’importance d’instaurer un climat sécuritaire sur le plan physique et mental.»

Malgré tout, l’ensemble des intervenants mettent en garde sur les solutions de facilité vers lesquelles les organisations pourraient être tentées de se tourner. «Le défi, c’est de passer de la parole aux actes. Par exemple, de ne pas simplement dire “nous n’acceptons pas le harcèlement”, mais de mettre en place des actions concrètes», soutient Annabelle Ambroise.

Et cela doit aller au-delà des offres de paniers de fruits, de garderies d’entreprise ou de séances de yoga, souligne Jean-Pierre Brun. «Les organisations doivent avoir la volonté d’être en “prévention primaire” vis-à-vis des travailleurs : ils veulent de la reconnaissance au travail, participer aux décisions, avoir un travail qui est utile, pas juste à l’entreprise, mais à la société.»

L’affaire de tous

À la question de savoir qui est en première ligne dans l’instauration d’un climat de sécurité psychologique au travail, Jean-Pierre Brun insiste pour décharger la responsabilité managériale. «Il faut arrêter de dire qu’il faut développer l’empathie des managers, ils sont empathiques. Les équipes de direction le sont beaucoup moins», estime l’enseignant qui plaide pour que les organisations soutiennent les managers en s’assurant de leur donner du temps de réflexion et de ne pas surcharger les employés.

«La question de la sécurité psychologique, c’est l’affaire de tout le monde. C’est celle du gestionnaire envers l’employé, de l’employé envers le gestionnaire et des employés entre eux», affirme Mouna Knani, qui souligne sur ce point l’importance de l’écoute active entre collègues et de la réceptivité aux critiques. «Tout le monde doit être formé et informé sur l’importance d’instaurer un climat de travail sécuritaire sur le plan psychologique», conclut-elle.


Note

[1] Edmondson. A. Psychological Safety and Learning Behavior in Work Teams. Administrative Science Quarterly, Vol. 44, No. 2 (Jun., 1999), pp. 350-383. Johnson Graduate School of Management, Cornell University.