Rejet, isolement, remarques désobligeantes, harcèlement : bon nombre d’employés souffrant de problèmes de santé mentale sont aussi victimes de préjugés. Or, les entreprises ont la responsabilité de garantir la sécurité psychologique de chacun. Nos explications, conseils et outils.

Une personne sur cinq présentera un trouble de santé mentale au cours de sa vie, selon les estimations. Il y a donc de fortes chances qu’un collègue de travail, ou peut-être même vous, en souffrira un jour. Malgré ces chiffres éloquents, la maladie mentale demeure un sujet tabou.

«Il y a de plus en plus d’ouverture et d’efforts de la part des organisations pour déceler les problèmes de maladie mentale et mettre fin à la stigmatisation. Mais on n’est pas encore rendu au stade d’en parler aussi librement que les questions de santé physique. C’est moins bien accepté socialement, surtout parce que ça reste incompris», constate Mouna Knani, professeure agrégée au Département de gestion des ressources humaines de HEC Montréal. 

Sensibiliser les employés pour réduire la stigmatisation

Bon nombre d’employés, par crainte de paraître faible aux yeux de leurs gestionnaires et de leurs collègues, hésitent à révéler être atteints d’un trouble mental ou à demander de l’aide. D’autant que ces préjugés peuvent entraîner des comportements de stigmatisation qui risquent d’aggraver leurs problèmes d’anxiété, de dépression, de détresse ou autres.

«On parle souvent de santé mentale au travail, mais on oublie la notion de sécurité psychologique. La sécurité psychologique, c’est ce qui amène l’employé à s’exprimer au travail, sans crainte de représailles. À pouvoir parler de ses problèmes de santé mentale sans peur d’être jugé, stigmatisé et exclu du groupe», explique Mouna Knani.

La pandémie de Covid-19 a exacerbé les problèmes de santé mentale au sein de la population, tous groupes d’âge confondus. Mais elle aura aussi eu l’avantage de mettre ces enjeux spécifiques plus en lumière, note Marie-Claude Pelletier, qui œuvre depuis plus de 20 ans auprès d’organisations pour promouvoir le bien-être au travail.

«La pandémie a permis de mettre sur la table les questions de santé mentale. Et plus une entreprise s’intéressera à la situation et à son impact sur les employés, plus elle sera en mesure de s’engager à résoudre les problèmes et la stigmatisation», estime celle qui a lancé en 2017 Global-Watch.com, une plateforme internationale collaborative de bonnes pratiques en matière de santé et de qualité de vie au travail.

Pour mieux comprendre et gérer les problèmes de santé mentale et de stigmatisation en milieu de travail, il importe donc d’en parler et d’être davantage sensibilisé, renchérit Ghislaine Labelle, psychologue organisationnelle et conseillère en ressources humaines agréée (CRHA).

«C’est en donnant le plus d’informations possibles, afin entre autres de combattre les mythes et stéréotypes, qu’on peut en arriver à changer les attitudes et les comportements négatifs envers les personnes qui souffrent d’une maladie mentale», précise la psychologue, également fondatrice du Groupe Conseil SCO qui conseille les entreprises dans leurs efforts pour préserver le bien-être psychologique de leurs ressources humaines.

Outiller les gestionnaires pour instaurer la bienveillance

La lutte contre la stigmatisation des troubles de santé mentale s’amorce au sommet. «La solution passe par la mise en place d’une culture de bienveillance. Si la haute direction n’adopte pas les politiques organisationnelles qui l’engagent à assurer le mieux-être des employés, tout en offrant les ressources nécessaires pour y parvenir, ce sera un coup d’épée dans l’eau», illustre Marie-Claude Pelletier.

Elle ajoute que plusieurs entreprises ont adopté des politiques de tolérance zéro à l’égard de la stigmatisation. Pour soutenir ces initiatives, la norme québécoise «Entreprise en santé», à la mise en place de laquelle Marie-Claude Pelletier a collaboré, propose aux employeurs une démarche préventive visant à maintenir des milieux de travail favorables au mieux-être de leurs employés.

Mais encore faut-il que les gestionnaires, qui sont première ligne, aient les compétences et les ressources nécessaires pour reconnaître de tels enjeux et y remédier.

Discuter ouvertement et encourager le savoir-être

«Les gestionnaires doivent être formés pour faire face à de telles situations. C’est un travail d’équipe qui fait aussi appel à la participation et à la sensibilisation de l’ensemble des employés. Chacun doit être tenu responsable de comportements inappropriés», fait valoir Ghislaine Labelle, en précisant que ces enjeux ne doivent pas être laissés seulement entre les mains des équipes de ressources humaines.

Des séances d’information et de formation, des groupes de discussion et des conférences animées par des experts sont quelques exemples d’outils visant à mieux faire connaître les questions de santé mentale et à enrayer la stigmatisation. Ces initiatives «ont l’avantage de favoriser les discussions ouvertes», indique Mouna Knani.

Les changements de mentalité ne se font pas pour autant du jour au lendemain, prévient Marie-Claude Pelletier. «Ce sont des comportements qui relèvent davantage du savoir-être et non du savoir-faire. La bonne nouvelle, c’est que les entreprises recrutent de plus en plus d’employés non seulement en fonction de leurs connaissances et de leurs compétences professionnelles, mais aussi en tenant compte de leurs soft skills », constate-t-elle.

Les entreprises ont d’autant plus intérêt à favoriser le mieux-être des employés que les problèmes de santé mentale entraînent des coûts financiers et des pertes importantes de productivité. Sans compter le risque de perdre des employés qui seraient enclin à cogner à la porte d’une autre entreprise qui a fait du mieux-être au travail une priorité. En ces temps de pénurie de main-d’œuvre, il s’avère beaucoup plus sage de prévenir que guérir.