Au cours des derniers mois, chaque annonce faite par une organisation qui décide de ramener ses employés au travail en personne à temps plein m’a laissée perplexe. J’ai l’impression d’avoir manqué plusieurs épisodes d’une série télé populaire et de ne pas en comprendre le dénouement.

Ce grand laboratoire collectif de la pandémie a pourtant démontré que les équipes comme les individus demeurent productifs malgré la distance. La majorité des personnes qui ont expérimenté le télétravail expriment par ailleurs encore le désir de travailler de la maison aussi souvent qu’elles le souhaitent. Dans un contexte de pénurie de main-d’œuvre qui demeure, cette décision de favoriser exclusivement le présentiel a de quoi en intriguer plus d’un.

Pour le moment, ces annonces sont encore peu fréquentes, la majorité des organisations ayant opté pour un modèle hybride. Cependant, il y a un risque que ces demandes se multiplient en cours d’année si nous ne voyons le mode hybride que sous le prisme de la flexibilité.

Ce mode permet de créer des moments propices entre collègues et collaborateurs pour faciliter les échanges et entretenir un climat de travail sain. En effet, une des préoccupations légitimes des organisations autour du télétravail est l’incidence que celui-ci peut avoir sur la mobilisation et le maintien d’une culture organisationnelle forte.

En quelque sorte, le mode hybride rend aussi possible une flexibilité que cherchent les travailleurs, tout en permettant de gérer les risques liés à l’inconnu, soit les répercussions à long terme d’un mode de travail différent de celui que nous avons toujours connu. Des recherches réalisées au Québec donnent déjà quelques éclairages sur les conséquences du télétravail : elles indiquent clairement que les employés les plus mobilisés et les plus satisfaits au travail – ou encore ceux qui expriment un fort sentiment d’appartenance et qui se sentent davantage soutenus par leur employeur et par leurs collègues – sont ceux qui travaillent une journée ou moins par semaine... au bureau!

Certes, la pandémie a exacerbé l’importance de la conciliation travail-vie personnelle, mais elle nous a surtout donné l’occasion de réinventer le travail. Le mode hybride n’est pas qu’une politique de flexibilité; il s’agit plutôt d’une chance de revoir l’organisation du travail. En clarifiant quelles sont les activités ou les tâches qui ont une valeur ajoutée lorsqu’elles sont réalisées en personne, il est possible d’élaborer un mode de travail hybride qui soit propice au bien-être des individus. Dans cet esprit, l’approche visant à établir un nombre de jours de présence requis par semaine au bureau devient caduque.

Ce mode d’organisation offre un avantage additionnel : celui de donner un sens aux moments où les gens se retrouvent ensemble. Cette philosophie pourrait permettre au mode hybride de traverser le temps; ainsi, d’être plus performant, plus adaptable et moins vulnérable à une remise en question dès que le taux de mobilisation dans une équipe fluctuerait, ne serait-ce qu’un peu.

Choisir de poursuivre le changement

La tentation peut être forte de revenir à ce que nous avons toujours connu avant la pandémie et qui, par ailleurs, donnait souvent de bons résultats. Il est difficile de remettre en question la croyance que, pour être authentiques et harmonieuses, les relations doivent être créées et nourries en personne. Or, n’est-ce pas ainsi occulter tout ce que la technologie et les réseaux sociaux ont apporté depuis quelques années? Comme moi, vous avez certainement noué des amitiés ou des relations d’affaires par le truchement des réseaux sociaux. Vos enfants, tel le mien, ont probablement de bons amis avec qui ils jouent en ligne et qu’ils n’ont pourtant jamais rencontrés en personne.

Cela étant dit, cette nouvelle organisation du travail doit être soutenue en continu, et il faut être sérieux quant à sa mise en place. Il importe aussi de suivre sa performance. Plusieurs personnes soulèvent d’ailleurs la question de la formation de la relève interne et celle de l’apprentissage comme des motifs pour favoriser le présentiel. Les organisations qui ont instauré une véritable culture d’apprentissage incorporent à leurs processus et à leurs activités courantes des occasions de développement de même que des moments de rétroaction; or, ceux-ci peuvent très bien se réaliser à distance comme en personne.

Finalement, dans la réflexion qui doit se poursuivre sur les modes hybrides, il faut ajouter la question de la responsabilité environnementale des organisations. Bien qu’il ne soit pas clair aujourd’hui pour moi si les modes hybrides peuvent contribuer à une sobriété numérique – un sujet qui fait l’objet d’un dossier dans ce numéro de Gestion –, cela semble toutefois évident que d’embrasser une organisation du travail qui requiert moins de déplacements ainsi que des espaces de bureaux réduits est à la fois un objectif qu’il faut viser et un important critère de décision.

À mon avis, 2024 sera l’année décisive pour savoir si ce legs extraordinaire de la pandémie sera réellement pérenne. J’espère que nous saisirons l’occasion qui nous est offerte de véritablement repenser l’organisation du travail et que nous ne basculerons pas vers le passé, et ce, autant pour le succès des organisations que pour le bien-être des employés et celui de la planète.

Article publié dans l’édition Printemps 2024 de Gestion