Offrir des primes à la présence. Fournir des repas gratuits. Rembourser les frais de déplacement. Faire tirer des prix. Certaines organisations rivalisent d’ingéniosité pour inciter leurs employés à revenir au bureau. Une bonne idée?

Si certaines entreprises imposent un retour au travail sans prendre de gants blancs, d’autres optent pour la méthode douce. C’est le cas de la firme londonienne Perkbox qui récompense les employés qui se présentent au bureau. Les travailleurs y reçoivent des points qu’ils peuvent échanger contre un abonnement Netflix ou un dîner, selon un article de la BBC publié en septembre 2023. De l’autre côté de l’Atlantique, le groupe américain CoStar est allé plus loinen faisant tirer des lots de luxe comme une Tesla, une croisière à la Barbade ou des chèques avec plusieurs zéros pour inciter ses salariés à travailler au bureau.

Toujours au sud de la frontière, 87% des PDG sont prêts à récompenser les employés qui optent pour du travail en présentiel par de nouvelles affectations, des promotions ou des augmentations, selon les résultats de l’enquête Perspective des chefs de la direction de KPMG 2023.

Ces initiatives, à première vue alléchantes, portent-elles réellement leurs fruits?

Un effet éphémère

«En fait, ce genre d’incitatif va motiver les salariés, mais à très court terme. Les gens vont être contents sur le coup, mais ça devient rapidement un acquis», note Michel Cossette, professeur agrégé au Département de gestion des ressources humaines de HEC Montréal. Pire, les travailleurs risquent de se sentir injustement traités s’ils perdent leur prime parce que l’employeur y met fin, par exemple.  

Plutôt que de chercher à attiser une motivation extrinsèque par des récompenses, le professeur de gestion des ressources humaines avance qu’il vaut mieux encourager la motivation intrinsèque. Un avis partagé par Paméla Bérubé, CRHA, vice-présidente et cofondatrice de la firme Go RH. «Si les travailleurs reviennent au bureau, mais qu’il n’y a pas d’interrelations, de communications, que tout le monde reste rivé à son écran, énumère-t-elle, cela ne risque pas de leur donner envie de se déplacer.»  

Prime ou pas, les employés auront tôt fait de calculer les coûts — et les bénéfices — d’un retour au bureau, ajoute Michel Cossette. «Quand il y a des résistances, l’organisation doit se demander pourquoi : est-ce que ce sont des questions de transport, d’équilibre travail-vie-famille? Est-ce que les gens viennent au bureau pour faire la même chose que virtuellement de la maison?» En remontant à la source, les organisations auront plus de chances de viser juste avec des actions adaptées aux réalités de leurs équipes.

Les raisons du travail en présentiel

Pour poser les bons gestes, il faut réfléchir aux raisons qui poussent les organisations à demander aux salariés de réintégrer les bureaux. Est-ce pour collaborer, innover, créer des liens? «Les gestionnaires doivent se questionner, insiste Michel Cossette. On veut faire revenir les gens au bureau, mais pourquoi, au juste? Pour faire vivre la culture d’entreprise? Si on a un bon climat de travail, que les gens s’entendent bien, qu’on a de bonnes discussions, du plaisir ensemble, ça devient un incitatif. C’est un besoin fondamental chez l’humain.»

Pour Éric Brunelle, professeur titulaire au Département de management de HEC Montréal, tout ce qui favorise la socialisation, le développement des compétences ou la connexion peut devenir un facteur de motivation pour les travailleurs, en apportant du même coup des bénéfices aux organisations. «Par exemple, certaines entreprises offrent le café gratuitement à leurs salariés et centralisent l’espace pour s’en servir un. Cela favorise les rencontres et les discussions informelles.»

Dans la même veine, plutôt que d’offrir un repas gratuit tous les jours à son équipe, l’employeur pourrait choisir un jour dans la semaine et profiter de l’occasion pour en faire un événement festif où les gens auront l’occasion de se retrouver. Selon Éric Brunelle, organiser des activités de groupe, des conférences ou des formations permet de créer des liens. «Le bureau, ce n’est pas qu’un endroit où gagner notre vie, c’est aussi un lieu qui nous permet de vivre une expérience humaine.» Autrement dit, il faut donner du sens au travail en présentiel. 

De la même manière, Paméla Bérubé suggère d’organiser le retour au travail. «Ce doit être attirant pour les travailleurs. En fonction des besoins de l’organisation, on pourrait impliquer les gens dans des projets spéciaux, offrir l’occasion de collaborer, de se réunir, de travailler en équipe.» L’exercice consiste alors à créer un environnement, des tâches, un contexte qui donneront envie aux équipes de se déplacer, plutôt que de sortir la carotte… ou le bâton.

Si on en arrive à devoir récompenser la présence au bureau, c’est peut-être aussi que les règles du jeu ne sont pas claires, pense Éric Brunelle. «Pour que le télétravail fonctionne bien à long terme, il faut définir les conditions qui donnent le droit d’en profiter, cibler le contexte dans lequel il est envisageable et déterminer les façons d’évaluer la performance des employés qui s’en prévalent. Sans quoi, on risque de créer un sentiment d’iniquité, ce qui est un important facteur de démotivation», résume-t-il. D’où l’importance, selon lui, de mettre en place une politique en bonne et due forme.