Article publié dans l'édition Hiver 2020 de Gestion

La pleine conscience, aussi appelée présence attentive, suscite un engouement croissant en milieu organisationnel. Ses nombreux bienfaits font consensus.

Toutefois, cette approche comporte des limites et des défis. De grandes organisations comme Google, LinkedIn et General Mills font déjà figure de pionnières dans cette pratique en milieu de travail. Et dans les entreprises du Québec, on s’éveille aussi à la chose.


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Depuis quelques décennies, des approches contemporaines et séculières de la pleine conscience ont émergé, d’abord à l’intention du grand public puis, plus récemment, à celle des organisations. Dans son acception la plus courante, la pleine conscience serait l’attention portée à l’expérience vécue et éprouvée, sans filtre et sans jugement.

Bien que les définitions et les méthodes de mesure de la pleine conscience divergent parfois dans la littérature scientifique, deux dimensions sont toujours au cœur de ce concept : l’attention et l’acceptation.

L’attention est l’activité mentale dirigée délibérément vers ce qu’on vit à l’instant présent (sensations corporelles, émotions ou pensées). L’acceptation, quant à elle, consiste à accueillir avec bienveillance et avec curiosité ce qu’on perçoit sans souhaiter que l’expérience se déroule autrement.

Les bienfaits de la pleine conscience

Divers protocoles cliniques comme le Mindfulness-Based Stress Reduction Program (MBSR)1 et la Mindfulness-Based Cognitive Therapy (MBCT)2 ont permis de conclure que la pleine conscience contribue à diminuer le stress, l’anxiété et la dépression.

Plus précisément, la pleine conscience permet d’améliorer la régulation des émotions, ce qui réduit les réactions émotionnelles automatiques, parfois inadaptées3, et accroît la concentration, l’attention, l’empathie et la bienveillance4. Par ailleurs, la méditation basée sur la pleine conscience semblerait même avoir des effets positifs sur le système immunitaire5.

À la lumière de ces résultats concluants obtenus en milieu clinique, des programmes d’intervention ont été mis sur pied en milieu organisationnel. C’est le cas notamment de l’Acceptance and Commitment therapy6 et des versions adaptées du MBSR.

Ces programmes fondés sur la pleine conscience ont pour objectif d’améliorer la santé psychologique du personnel et tiennent compte des réalités du monde du travail. Par exemple, les séances sont écourtées et offertes durant les heures de travail. Certains contenus et exercices sont également axés sur des questions professionnelles.

De plus, on offre parfois ces programmes à un grand nombre d’employés, de gestionnaires et de professionnels, et ce, dans divers milieux organisationnels comme des entreprises privées et des organismes publics.

La pratique de la pleine conscience au travail permet d’accroître l’attention et de réduire le stress du personnel. Elle semble également favoriser le bien-être des gens en les aidants à acquérir certaines habitudes de vie saines, en plus de leur permettre d’améliorer leurs compétences verticales, notamment le non-jugement, l’acceptation, la bienveillance et la compassion.

Ces apprentissages renforcent ainsi leur capacité à faire face aux défis professionnels7 et organisationnels. Toutefois, il faut noter que les diverses adaptations apportées aux interventions conventionnelles basées sur la pleine conscience se heurtent à plusieurs limites méthodologiques lorsqu’il est question de répertorier les pratiques les plus bénéfiques en milieu organisationnel.

Pratiques de pleine conscience observées dans les organisations

Individuelles

Subjectif :

  • Ateliers d’introduction destinés à éduquer, à démystifier la pleine conscience et à stimuler l’intérêt pour cette pratique
  • Création de possibilités d’expérimentation et de découverte de la pleine conscience
  • Participation volontaire aux activités liées à la pleine conscience
  • Mise en valeur des bienfaits de la pleine conscience (articles, témoignages, communications internes)

Objectifs :

  • Ateliers spécialisés permettant de développer des compétences verticales
  • Coaching individualisé destiné à soutenir le développement des comportements souhaités
  • Programme de développement individuel destiné à renforcer les apprentissages
  • Séances de méditation hebdomadaires
Collectives

Intersubjectif :

  • Témoignages de membres de la direction quant aux effets de la pleine conscience sur leur bien-être et sur leur performance au travail
  • Rituels de gestion soutenant la pratique de la pleine conscience (minute de silence au début des réunions, fermeture des téléphones cellulaires avant les réunions pour favoriser l’attention)
  • Défis d’équipe autour de la pleine conscience et du bien-être
  • Introduction d’un nouveau vocabulaire organisationnel (présence, bienveillance, compassion)
  • Création de communautés contribuant à approfondir les connaissances et à maintenir l’intérêt des membres de l’organisation

Interobjectif :

  • Boîte à outils en ligne donnant accès à diverses ressources
  • Locaux et infrastructures consacrés à la pratique d’activités favorisant la pleine conscience (yoga et méditation)
  • Soutien financier aux initiatives liées à la pleine conscience
  • Abonnements collectifs à des applications de méditation et de pleine conscience
  • Présence d’ambassadeurs de la pleine conscience habilités à soutenir les membres de l’organisation dans leur développement

La pleine conscience en entreprise

Avec la collaboration de plusieurs entreprises québécoises qui favorisent la mise en œuvre de la pleine conscience au sein de leurs équipes (iA Groupe financier, via rail, Sodexo, Aldo, le Cirque du soleil et le CIUSSS du Centre-sud-de- l’Île-de-Montréal), nous avons réalisé une étude exploratoire qui avait pour but de comprendre les déterminants de l’émergence et du développement de cette pratique dans les organisations.

L’analyse a été menée à partir du modèle intégral du penseur américain Ken Wilber8, qui nous a permis d’appréhender ici la pratique de la pleine conscience (voir le schéma ci-contre), qu'elle soit réalisée de façon individuelle ou collective. À partir de ce modèle, nous avons pu répertorier des pratiques spécifiques au sein des organisations (voir le tableau à la page précédente).

Malgré les différences notables observées dans les entreprises étudiées, nous avons été en mesure de cerner plusieurs éléments singuliers et communs qui favorisent l’émergence et le développement de la pleine conscience, ce qui permet donc de poser les fondations d’une nouvelle culture organisationnelle.

Dans les entreprises québécoises que nous avons étudiées, des pratiques de pleine conscience variées sont adoptées et mises en œuvre avec succès. La combinaison des différentes pratiques sur les plans individuel et collectif permet de favoriser l’émergence progressive d’une culture organisationnelle fondée sur la pleine conscience.


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Cependant, apprendre et intégrer les principes de la pleine conscience en milieu de travail constitue toujours un grand défi pour les entreprises. Au-delà de l’apprentissage d’une technique ou de l’acquisition de savoirs, la pleine conscience requiert du temps et de la pratique grâce à l’intégration mentale, sommative et émotionnelle de nouvelles habitudes afin de se défaire de certains automatismes.

Bien qu’un tel virage puisse s’avérer bénéfique, il est important de garder un regard critique et de veiller aux risques d’instrumentalisation de la pleine conscience au seul profit de la performance économique. De plus, les pratiques de gestion à l’origine de troubles comme le stress et l’anxiété doivent être mieux comprises afin de les faire évoluer pour soutenir le mieux-être et la performance des gens au sein des organisations.


Notes

1 Kabat-Zinn, J., « Mindfulness-based stress reduction (MBSR) », Constructivism in the Human sciences, vol. 8, n° 2, 2003, p. 73-107.

2 Segal, Z. V., Teasdale, J. D., Williams, J. M., et Gemar, M. C., « The mindfulness-based cognitive therapy adherence scale – Inter- rater reliability, adherence to protocol and treatment distinctiveness », Clinical psychology & psychotherapy, vol. 9, n° 2, mars-avril 2002, p. 131-138.

3 Hofmann, S. G., Asnaani, A., Vonk, I. J., Sawyer, A. T., et Fang, A., « The efficacy of cognitive behavioral therapy – A review of meta-analyses », Cognitive therapy and research, vol. 36, n° 5, octobre 2012, p. 427-440.

4 Goleman, D., et Davidson, R. J., Altered traits – science reveals How meditation Changes Your mind, Brain, and Body, New York, Avery Publishing, 2017, 336 pages.

5 Black, D. S., et Slavich, G. M., « Mindfulness meditation and the immune system: a systematic review of randomized controlled trials », Annals of the New York Academy of sciences, vol. 1373, n° 1, juin 2016, p. 13-24.

6 Hayes, S. C., Strosahl, K. D., et Wilson, K. G., Acceptance and Commitment therapy – the process and practice of mindful Change, New York, Guilford Press, 2016, 402 pages.

7 Grégoire, S., Lachance, L., et Richer, L., la présence attentive (mindfulness) – état des connaissances théoriques, empiriques et pratiques, Québec, Presses de l’Université du Québec, 2016,286 pages.

8 Wilber, K., Integral psychology – Consciousness, spirit, psychology, therapy, Boulder (CO), Shambhala Publications, 2000, 303 pages.