La semaine de travail de 4 jours séduit. Si elle permet de libérer du temps personnel, elle peut aussi – selon les formules – s’accompagner de journées de travail plus longues ou de pression à la performance. Comment trouver l’équilibre?

Après une expérience pilote très positive menée au Royaume-Uni de juin à décembre 2022, la semaine de 4 jours de travail est bien partie pour faire des émules. Sur les 61 entreprises participantes, 56 ont décidé de prolonger l’aventure, avec des avantages notables constatés au niveau du bien-être des employés et une stabilité du chiffre d’affaires.

Au Canada, l’idée séduit dans le contexte de pénurie de main-d'œuvre, l’approche pouvant fournir une aide précieuse au recrutement et à la rétention des employés.

Faut-il pour autant s’y précipiter?

Le défi de l’encadrement

Parce que le concept fait parler de lui à une époque où le télétravail et la flexibilité au travail se normalisent, la semaine de 4 jours peut être complexe à mettre en place. Particulièrement dans certains secteurs: «Dans le milieu des professionnels, la semaine de 5 jours n’est déjà pas nécessairement un concept clair. Alors celle de 4 jours est encore plus difficile à encadrer pour les gestionnaires», explique Mélanie Trottier, professeure au Département d'organisation et ressources humaines de l’UQAM.

Or, mal gérée, la formule pourrait générer de la fatigue et une pression accrue auprès des employés comme des managers. Particulièrement lorsque la formule choisie aboutit à un rallongement de l’horaire journalier de travail ou lorsque la charge de travail hebdomadaire habituelle se maintient à l’intérieur d’une semaine raccourcie.

Maintenir les bonnes pratiques de gestion

Pour que la semaine de 4 jours soit bien vécue par les équipes, les gestionnaires doivent veiller à maintenir leurs bonnes pratiques, affirme Mouna Knani, professeure agrégée  au Département de gestion des ressources humaines de HEC Montréal. Et cela commence par une communication adaptée : «Parce que le concept est polymorphe, il est essentiel de bien en expliquer les modalités aux employés», soutient l’enseignante, qui précise que le management devra s’accompagner d’objectifs clairs, mesurables, mais aussi raisonnables : «Si l’on veut augmenter la charge de travail, il faut le faire avec modération.»

Pour des raisons de bien-être et de santé, mais aussi parce que les équipes pourraient légitimement se demander où se trouve le gain de ce nouvel aménagement du temps de travail. L’entreprise doit donc veiller à gérer les attentes de ses employés, souligne Mélanie Trottier : «Le premier réflexe est souvent de revoir la rémunération, mais il n’y a pas que ça. Pour cadrer les attentes, il faut revoir toutes les activités RH en matière d'appréciation du rendement, d'évaluation du travail des employés et des équipes.»

Il s’agit aussi pour les gestionnaires de ne pas céder à la tentation du contrôle, et à encourager l’autonomie des employés dans la gestion de leur charge de travail, affirme Mouna Knani : «La semaine de 4 jours ne doit pas servir de prétexte pour mettre plus de pression sur les équipes ou tomber dans le chantage.» L’enseignante plaide par ailleurs pour que les organisations qui hésitent à sauter le pas testent l'expérience avec une équipe avant de la transposer au reste de l'entreprise : «Cela permet d’en connaître les impacts, qui ne sont pas toujours positifs.»

Parce qu’ils doivent montrer l’exemple, il est également essentiel que les managers appliquent à eux-mêmes ce qu’ils prônent pour leur équipe, souligne Mélanie Trottier : «Le rôle d’un gestionnaire, c'est en quelque sorte d'être un modèle. Et cela vaut pour la semaine de 4 jours : il ne faut pas, par exemple, envoyer des courriels lors de la cinquième journée.»

Préserver le sentiment de compétence

L’employé a lui aussi de la marge de manœuvre pour s’adapter à sa nouvelle structure de travail. En veillant à la satisfaction de trois besoins en particulier, croit Nathalie Houlfort, professeure au Département de psychologie de l’UQAM : l’autonomie, l’affiliation sociale et le sentiment de compétence. «Il est important de se sentir compétent malgré la pression accrue et la réduction de temps dont on dispose pour faire une tâche», rappelle l’enseignante, qui ajoute que les manières d’y parvenir varient d’une personne à l’autre : «Certaines vont, par exemple, développer plus d'habileté en matière de planification, de prévision et d’organisation.»

Les travailleurs apprécieront également recevoir une certaine latitude dans l’organisation de leur semaine de travail, afin de se sentir autonomes, et de pouvoir maintenir des collaborations intra et interéquipe, «pour éviter que la pression éventuelle ne vienne gruger leur sentiment d’affiliation sociale», soutient la professeure.

Alors, tous sur la semaine de 4 jours? Selon Nathalie Houlfort, les organisations ne doivent pas tenir pour acquis que tous les employés seront heureux de ce changement. «Sans nécessairement changer la décision prise, il sera important qu’elles accompagnent les employés qui peuvent se sentir brusqués en mettant en place des actions et du soutien.»