Alors que plusieurs entreprises à travers le monde ont opté pour la semaine de quatre jours, ce mouvement est encore timide au Québec. Pourtant, une telle organisation du travail peut favoriser la rétention du personnel et faciliter la conciliation travail-famille. Avantages et inconvénients.

L’idée d’être plus productif en travaillant moins est contre-intuitive, lance Jean-Nicolas Reyt, professeur adjoint à la Faculté de gestion Desautels de l’Université McGill. «Quand je faisais mon doctorat, je disais que si j’arrêtais de dormir, je finirais beaucoup plus vite. Mais un moment donné, on ne peut plus étirer l’élastique», illustre-t-il. Autrement dit, le fait d’accumuler les heures n’est pas nécessairement garant de résultats.

Ailleurs sur la planète, le mouvement pour la réduction des heures de travail a déjà fait ses preuves, ajoute-t-il. «En Islande, les travailleurs étaient parmi les moins productifs, comparés aux autres salariés d’Europe du Nord notamment, alors qu’ils étaient les seuls à faire des semaines de 45 heures en moyenne.» Une vaste étude menée entre 2014 et 2021 a permis de tester les effets de la semaine de quatre jours, sans réduction de salaire, sur 2500 fonctionnaires de ce pays nordique.

Résultat : une amélioration du bien-être des travailleurs, une réduction du stress et, dans la majorité de cas, un effet positif sur la productivité. Aujourd’hui, 86% des employés de ce pays bénéficient de semaines écourtées ou pourront le faire, sous l’impulsion des syndicats. Le projet a aussi permis d’instaurer un dialogue sur ce sujet dans la société. Conclusion? L’important n’est pas de travailler plus, mais plus intelligemment, résume Jean-Nicolas Reyt.

Autre avantage : ce type d’horaire peut aussi devenir un facteur d’attraction et de rétention du personnel. C’est non seulement bénéfique pour les jeunes parents, mais également pour les personnes vieillissantes, souvent appelées à devenir proches aidantes, ou même les employés plus âgés qui pourraient avoir envie de diminuer le rythme avant de prendre leur retraite, détaille Gabrielle-Diane Tremblay, professeure à l’École des sciences de l'administration de l’Université TÉLUQ. «C’est une option intéressante pour les entreprises parce que, en offrant une mesure à l’ensemble de ses salariés, il y a plus d’équité.» Toutefois, il faut éviter de concentrer la semaine sur quatre jours en augmentant les heures, si on ne veut pas nuire à la conciliation travail-famille, prévient-elle.

Miser sur les résultats

Bien qu’encore rares, certaines entreprises québécoises ont décidé de tenter l’aventure. C’est le cas de la firme de jeux vidéo Eidos. Depuis octobre 2021, les employés des studios de Montréal et de Sherbrooke, qui sont près de 500, ne travaillent plus le vendredi. Même si leur horaire est passé de 40 à 32 heures, ils conservent leur salaire. Une idée inspirée par l’expérience de Microsoft au Japon qui se trouve dans les cartons de l’entreprise depuis deux ans, soulève Marie-Chantal Ledoux, CRHA, directrice principale, talent et culture.

«Devant l’épuisement des ressources en lien avec la pandémie, nous avons commencé par offrir une demi-journée par semaine de temps de repos aux travailleurs, explique-t-elle. Puis, nous avons décidé de pousser plus loin et d’instaurer la semaine de quatre jours.» Une façon d’aider les troupes à recharger leurs batteries, d’augmenter la productivité et de favoriser la rétention.

Avant de se lancer, chaque équipe a dû passer au crible ses façons de faire pour établir des stratégies pour améliorer son efficacité. «Beaucoup ont suggéré des outils pour accélérer le travail et mieux collaborer ou pour ajouter de l’automatisation. Nous avons aussi optimisé les réunions, qui sont plus courtes. Et, après deux heures l’après-midi, on ne prévoit plus de rencontres. C’est du temps libre pour travailler de façon concentrée», souligne Marie-Chantal Ledoux.

Garder l’équilibre

Horaire concentré sur quatre jours, congé un jour par semaine selon les besoins des travailleurs ou 32 heures étalées sur cinq jours : il existe différentes façons d’implanter la semaine de quatre jours, indique Julie Tardif, CRHA, cofondatrice et associée chez Iceberg Management. «Il peut aussi être intéressant d’offrir le choix aux travailleurs, ce qui permet d’être plus équitable. Ainsi, on peut donner une certaine flexibilité en fonction des besoins de chacun.»

Pour augmenter les chances de succès du changement, Julie Tardif suggère aussi de s’asseoir avec ses employés. «On pourrait créer un comité consultatif pour identifier les gains en productivité possibles et ensuite leur faire profiter de cela.» Dans la même veine, vaut mieux tester la formule pendant un projet-pilote, ajoute-t-elle.

«Les gestionnaires doivent aussi être capables d’élaborer des outils permettant d’évaluer les gains ou les pertes en lien avec ces changements, mais surtout de déterminer à l’avance qu’elle sera leur unité de mesure. Par exemple, veut-on diminuer le taux d’absentéisme?», précise pour sa part Médina Cayer, CRHA, cofondatrice et associée chez Iceberg Management.

Il faut finalement faire attention pour ne pas mettre trop de pression sur les épaules des travailleurs, surtout dans des équipes hautement performantes qui atteignent déjà les objectifs fixés par les dirigeants, avertit Julie Tardif. «Sinon, ce jour de congé supplémentaire risque plutôt d’être un cadeau empoisonné.» Bref, il faut s’assurer que les objectifs demeurent réalistes et trouver le juste équilibre entre les cibles établies par l’organisation et le bien-être des employés. Un essentiel, surtout dans le contexte actuel de pénurie de main-d’œuvre.