Article publié dans l'édition Été 2019 de Gestion

Il nous arrive parfois de ressentir un décalage entre les tâches quotidiennes au travail et le sentiment d’épanouissement personnel. Lorsque cette impression surgit, c’est le sens du travail qui est remis en question. Mais comment parvenir à estimer davantage son emploi ? En devenant l’artisan du sens de ce qu’on accomplit, jour après jour.

L’ennui et le sentiment de perte de sens peuvent être une formidable occasion de réfléchir à tout ce qu’on aimerait réaliser dans sa vie. Le temps file inéluctablement sans qu’on puisse le rattraper : autant l’utiliser à bon escient lorsqu’il se présente à nous au moment où nous sommes libres de toute activité. S’arrêter pour réfléchir à ses aspirations professionnelles, c’est oser, en toute humilité, se questionner sur ce qui est important pour soi. Cet exercice peut également faire prendre conscience de l’urgence d’un tri dans ses activités et dans ses relations, voire inciter à pousser la réflexion au point de s’interroger sur la personne qu’on souhaite devenir. Pour surmonter la perte de sens, l’individu doit trouver l’origine des sentiments qui l’habitent, prendre du recul et poser des gestes simples au quotidien.


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Les émotions, point de départ du sens retrouvé

Lorsqu’on se lance dans l’introspection et qu’on se questionne sur le sens des choses, il peut paraître impossible de rester positif, et c’est normal : dans la tourmente, l’amygdale – ce minuscule noyau de neurones situé au cœur du cerveau – peut susciter l’activation de toutes sortes d’émotions, notamment la tristesse, la colère et la peur, susceptibles de paralyser l’individu. Quoique déplaisantes de prime abord, ces émotions sont autant de signaux qui nous renseignent sur une situation donnée et dont on peut profiter pour s’observer et pour analyser le monde qui nous entoure avec plus d’acuité en se posant les questions suivantes : « Qu’est-ce qui, dans mon travail, suscite de telles émotions ? » « Quelles sont les pensées qui déclenchent de tels sentiments ? » « Sur lesquels de ces éléments ai-je prise ? »

Si nous n’avons pas de prise sur tout ce qui nous arrive dans notre milieu de travail (nous n’avons pas choisi cette mutation ou ce changement de supérieur, par exemple), nous pouvons toutefois distinguer les événements qui dépendent de nos actions de ceux qui y échappent : cette démarche ouvre la voie à une meilleure compréhension de la notion de perception et à un certain lâcher-prise.

L’exercice d’introspection n’est pas toujours aisé à réaliser : il suppose de pouvoir prendre suffisamment de recul par rapport à un contexte de travail, par exemple, afin de l’examiner sous un angle nouveau1. De surcroît, selon certaines théories sur le stress, ce n’est pas la situation prise objectivement qui affecte l’individu mais bien la façon dont celui-ci l’interprète et la vit2. La persistance d’émotions déplaisantes suscitées par la perte de sens peut réduire notre capacité à analyser la situation sous différents angles et ainsi limiter notre aptitude à trouver des issues favorables. Bien que l’environnement dans lequel évolue l’individu ait une influence fondamentale sur son parcours, le changement de perspective peut considérablement modifier la manière dont il ressent une situation donnée. Une fois qu’il a pris conscience de cette réalité, il doit agir. Mais agir a un coût et peut être particulièrement pénible3.


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Les petits gestes comptent

Une première piste consiste à parsemer ses journées de petites actions susceptibles de provoquer des émotions positives : faire du sport, écouter de la musique, voir des amis, lire un livre, etc. en effet, certaines recherches en psychologie4 soutiennent que le fait de ressentir des émotions plaisantes comme la joie, l’optimisme et la curiosité peut donner l’occasion de contrer les effets négatifs des émotions déplaisantes et doter la pensée d’une plus grande flexibilité qui nous permettra d’analyser une situation et d’y réagir de manière adéquate.

Par ailleurs, il peut s’avérer intéressant de se demander comment une personne qu’on admire – qu’il s’agisse d’un proche, d’un personnage historique ou même d’un personnage de fiction – ou qui a vécu une situation similaire percevrait notre insatisfaction et comment elle la surmonterait5. Par exemple, on peut se demander ceci : « que ferait telle personne que j’admire si elle se retrouvait dans une situation professionnelle difficile ? » ; « qu’a entrepris telle personne lorsqu’elle était en proie au même problème que moi? » De cette façon, l’individu adopte une posture mentale différente et s’offre la possibilité de trouver une nouvelle source d’inspiration pour lutter contre la paralysie que peuvent provoquer les raisonnements existentiels sur le sens de son travail.

Enfin, lorsqu’une personne décide de redonner du sens à sa vie professionnelle, la famille et les amis jouent un double rôle paradoxal de soutien et de frein, et ce, de manière consciente ou non : ce sont eux qui nous motivent à changer, mais ils peuvent aussi être déstabilisés par la transformation qui s’annonce et chercher à maintenir l’image qu’ils avaient de nous. Pour ces raisons, il est important non seulement de renforcer les liens avec ceux qui sont en bonne santé mentale et qui nous soutiennent6 mais aussi de leur expliquer la démarche entreprise afin de redonner du sens à son travail. Surtout, il faut garder le cap sur l’ouverture d’une perspective nouvelle à partir de gestes positifs et significatifs.


Notes

McGonigal, J., super Better – A revolutionary Approach to Getting stronger, Happier, Braver and more resilient, New York, Penguin Books, 2015, 320 pages.

Drach-Zahavy, A.,et Erez, M., « Challenge versus Threat Effects on the Goal- Performance Relationship », organizational Behavior and Human Decision processes, vol. 88, n° 2, juillet 2002, p. 667-682.

Nardone, G., Chevaucher son tigre – ou comment résoudre des problèmes compliqués avec des solutions simples, Paris, Seuil, 2008, 120 pages.

Voir notamment Fredrickson, B. L., Mancuso, R. A., Branigan, C., et Tugade, M. M., « The Undoing Effect of Positive Emotions », motivation and emotion, vol. 24, n° 4, décembre 2000, p. 237-258.

McGonigal, J., op. cit.

Wolin, S. J., et Wolin, S., the resilient self – How survivors of troubled Families rise Above Adversity, New York, Villard, 1993, 256 pages.