Un nouveau gestionnaire : le « responsable du bonheur »
2021-08-24
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2023-10-02
Un nouveau gestionnaire : le « responsable du bonheur »
Article publié dans l'édition Été 2019 de Gestion
Afin de prévenir la démotivation, le désengagement ou l’absentéisme de leurs employés, plusieurs entreprises au Québec et ailleurs dans le monde choisissent de nommer un « responsable du bonheur ». Quel est son rôle? Comment juger de son efficacité? Quelles sont les qualités requises pour ce poste?
Les entreprises sont aujourd’hui nombreuses à s’engager pour la qualité de vie au travail et pour le bien-être de leurs employés. Or, ces facteurs peuvent influencer l’état de bonheur de chaque salarié1. Valoriser l’humain et son épanouissement, donner du sens au travail2 : voilà qui permettrait d’avoir des employés plus présents, plus engagés et plus performants3.
C’est pourquoi, au Québec et ailleurs, les entreprises sont nombreuses à s’intéresser au bonheur au travail4, au point de nommer une personne «responsable du bonheur» de leurs employés.
Apparu au cours des années 2000 dans la Silicon Valley, en Californie, le responsable du bonheur – ou chief happiness officer en anglais – est présent dans un nombre grandissant d’organisations : Google et McDonald’s l’ont déjà essayé, de jeunes pousses l’ont également adopté.
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La mission du « responsable du bonheur »
Il est important de noter que le rôle de ce nouveau gestionnaire n’est pas encore clairement établi. Pour devenir responsable du bonheur, aucun diplôme particulier n’est requis. Encore récente, cette fonction n’est donc définie que par ceux qui l’exercent. Par essence, leur mission consiste à veiller au bonheur au travail des employés. Pour y parvenir, nombreux sont ceux qui, à leur entrée en fonction, procèdent à un état des lieux du climat social de leur entreprise.
Ils peuvent ainsi recourir à diverses méthodes, qualitatives ou quantitatives selon les caractéristiques de l’organisation5, afin de cerner d’éventuels problèmes. Une fois le diagnostic posé, ils transmettent l’information à leurs gestionnaires afin de corriger les déséquilibres existants et de prévenir les nouveaux. L’entreprise peut alors intervenir de deux façons : de façon individuelle et à l’échelle collective.
Les actions individuelles
L’intégration des collaborateurs à son équipe de travail est cruciale pour le responsable du bonheur, qui doit veiller à l’accueil des nouveaux membres. De plus, lors de son diagnostic, le gestionnaire peut relever des problèmes propres à certains employés. Il peut ainsi leur proposer des solutions personnalisées, par exemple de nouveaux outils numériques, l’aménagement des horaires de travail, l’adoption d’un régime de télétravail ou de la formation.
Les mesures collectives
Amélioration du climat socialAu début de 2016, dans sa filiale française Allo Resto, l’entreprise britannique Just Eat, n° 1 mondial de la livraison à domicile de plats cuisinés, a nommé un responsable du bonheur. Mandaté pour mettre en oeuvre des activités destinées à favoriser la communication, la cohésion et le bien-être des salariés, ce nouveau gestionnaire organise des séminaires, des voyages, des déjeuners, fait venir dans les locaux de l’entreprise des ostéopathes, des entraîneurs sportifs, des masseurs, etc. Depuis lors, on constate une amélioration du climat social et une baisse du roulement du personnel chez Allo Resto. |
Le responsable du bonheur met également en œuvre des mesures destinées à susciter un environnement de travail serein et positif ainsi qu’à renforcer la cohésion d’équipe. Pour cela, il suggère régulièrement des activités sociales telles que des repas du matin ou du midi en équipe ainsi que des apéritifs après le travail, par exemple. Il peut également proposer à l’entreprise un ensemble de services et d’activités : salle de sport, yoga, karaoké, sophrologie, séances de massage, etc.
Une fois ces actions entreprises, le responsable du bonheur communique aux employés l’ensemble des réalisations accomplies à la suite des enquêtes menées auprès d’eux. Pour ce faire, il a recours à divers moyens de communication interpersonnelle : réunions, activités internes, ateliers, séminaires, etc. Les outils numériques (intranet, plateformes sociales) peuvent aussi lui être d’un grand secours.
À ce travail de communication s’ajoute un rôle de veille active sur l’état du climat social au sein des équipes. À l’aide d’enquêtes internes, le responsable du bonheur suit l’évolution d’un ensemble d’indicateurs : qualité de la communication et des relations dans l’entreprise, fidélisation des salariés, engagement et motivation, taux d’absentéisme, etc. Selon les entreprises, cette veille peut s’effectuer sur une base quotidienne, hebdomadaire, mensuelle ou annuelle. De plus, afin de satisfaire au mieux les attentes des collaborateurs et de retenir les talents, ce travail peut être complété par le recours aux services d’une firme externe.
Les qualités requises
Pour tenir leur rôle de relais entre l’entreprise et ses employés, les responsables du bonheur s’accordent sur la nécessité de posséder un ensemble de qualités humaines. Savoir être à l’écoute des autres et disposer de bonnes capacités d’observation leur apparaît primordial. De même, une attitude positive, bienveillante, énergique et dynamique contribue au succès de leurs initiatives. Enfin, l’adaptabilité et la créativité sont, selon eux, indispensables au renouvellement des mesures qu’ils peuvent proposer. D’ailleurs, c’est souvent ce rôle d’animation, couplé à leur capacité à évaluer et à améliorer le climat social d’une entreprise, qui motive les responsables du bonheur. Le tableau ci-dessous fournit un aperçu des liens entre les qualités personnelles revendiquées par les responsables du bonheur et leurs différentes missions.
Quelques points de repère
Pour accomplir leurs missions, les responsables du bonheur s’accordent sur la nécessité de réunir certaines conditions.
Tout d’abord, la volonté de changement de l’organisation doit être authentique : le bonheur ne doit pas être considéré comme une simple valeur dont on se contente de parler, et il ne peut certainement pas être « imposé » au sein de l’organisation. On doit atteindre un équilibre subtil entre, d’une part, les mesures proposées par l’entreprise et, d’autre part, la liberté et la protection de la vie privée des employés. En effet, un membre du personnel peut, par exemple, ne pas vouloir participer à une activité professionnelle avec son conjoint, faire du sport en groupe au travail, etc. Dans ce sens, le rôle du responsable du bonheur ne doit pas se limiter à « masquer de mauvaises pratiques internes et de mauvaises conditions de travail [social washing], par exemple derrière des services aux salariés6 ».
Le profil du responsable du bonheurLe responsable du bonheur en entreprise doit être en mesure de percevoir les dégradations du climat social et de poser les gestes nécessaires pour y remédier. |
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Qualités requises | Les missions d'un responsable du bonheur |
À l'écoute et attentif aux autres |
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Positif et bienveillant |
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Énergique et dynamique |
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Créatif et adaptable |
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De plus, pour susciter de véritables changements, l’organisation doit être capable de remettre en question ses modes de fonctionnement. Pour ce faire, les employés doivent être en mesure de s’exprimer librement. Or, les responsables du bonheur ont eux aussi besoin d’avoir les coudées franches pour mener à bien leurs missions, auxquelles on doit accorder des ressources financières suffisantes, un caractère prioritaire et des objectifs clairement définis7. En outre, les responsables du bonheur soulignent l’importance de la collégialité : ils ne peuvent pas accomplir leurs missions s’ils sont laissés à eux-mêmes. Cela implique non seulement de sensibiliser l’ensemble des gestionnaires à l’utilité de leur travail mais aussi d’obtenir le soutien de la haute direction et du service des ressources humaines. En outre, si les responsables du bonheur sont majoritairement rattachés à l’équipe de direction, au service des ressources humaines ou aux communications8, il semble que leurs discours portent davantage lorsque leur fonction est directement liée aux équipes sur le terrain. En effet, ils gagnent en crédibilité lorsqu’ils se rapprochent des employés et sont attentifs à leurs préoccupations.
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En conclusion, le responsable du bonheur peut agir comme intermédiaire entre la direction, les gestionnaires, le service des ressources humaines et les équipes. S’il doit posséder un ensemble de qualités humaines, il doit aussi travailler de façon à dépasser le simple exercice de communication ou le vœu d’imposer une vision du bonheur dans l’entreprise, ce qui peut devenir source de contraintes et de nouvelles tensions. Il doit être soutenu par une volonté sincère de l’entreprise d’œuvrer à un climat social harmonieux et, de ce fait, productif.
Notes
1 Veenhoven, R., « Le bonheur du plus grand nombre comme but des politiques sociales », Revue québécoise de psychologie, vol. 28, n° 1, 2007, p. 35-60.
2 Morin, E. M., « La santé mentale au travail : une question de gros bon sens », Gestion HEC Montréal, vol. 35, n° 3, automne 2010, p. 34-40.
3 Feuvrier, M.-P., « Bonheur et travail, oxymore ou piste de management stratégique de l’entreprise ? », Management & Avenir, vol. 2, n° 68, mars 2014, p. 164-182.
4 Barel, Y., et Frémeaux, S., « Bonheur au travail : les trois conditions de la réussite », Gestion HEC Montréal, vol. 41, n° 2, été 2016, p. 82-84.
5 Beau, P., « Le maintien d’un bon climat social au travail : relevez ce nouveau défi ! », Gestion HEC Montréal, vol. 43, n° 1, printemps 2018, p. 100-103.
6 Gay, B., « La montée du “social washing” et la prévention des risques psychosociaux » (article en ligne), Éditions Tissot, rubrique « Santé et sécurité », onglet « Actualités », 18 septembre 2013.
7 Hassani, N., « Chief happiness officers : les nouvelles technologies de l’information et de la communication au service du bonheur au travail », Communication & Management, vol. 14, n° 2, 2017, p. 99-114.
8 Ibid.