Opération de charme
2020-11-30
French
https://www.revuegestion.ca/operation-de-charme
2023-10-02
Opération de charme
Ressources humaines , Management
Article publié dans l'édition Hiver 2021 de Gestion
L’accueil et l’intégration, c’est le processus au cours duquel le nouvel employé et l’entreprise se découvrent. Réussir ce savant mélange de formation et de séduction peut accroître la fidélité et la productivité des travailleurs.
Avant que la coViD-19 ne frappe le Québec, la plupart des secteurs d’activité économique étaient aux prises avec une rareté de main-d’œuvre. Cette situation entraînait une vive concurrence pour attirer et pour retenir les meilleurs talents. Les entreprises ont donc développé leur marque de commerce « employeur », courtisé les candidats sur les médias sociaux et bonifié les conditions de travail offertes.
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Mais cet effort ne doit pas s’arrêter après l’embauche : « L’accueil et l’intégration jouent un rôle crucial pour séduire les nouveaux travailleurs et pour augmenter le degré de rétention », souligne Anne Bourhis, professeure titulaire au Département de gestion des ressources humaines de HEC Montréal. Plusieurs entreprises n’hésitent plus à parler d’ « expérience employé », une analogie avec l’expérience client. Le travailleur doit se sentir apprécié et être servi efficacement afin de s’engager envers l’entreprise et de poursuivre sa relation avec elle.
Selon un rapport de la firme américaine Engage2Excel1, un bon processus d’accueil et d’intégration accroît la rétention de 82 % et la productivité de plus de 70 %. À l’inverse, les recrues déçues de cette expérience sont deux fois plus portées à chercher un autre emploi, d’après la firme Digigate2, une filiale de Tata Consultancy Services.
Cette opération de charme débute avant l’arrivée sur les lieux de travail. « Les employeurs transmettent bien sûr certains documents officiels nécessaires pour compléter l’embauche, mais ils peuvent aussi envoyer un mot de bienvenue personnalisé, un questionnaire “brise-glace” ou des objets promotionnels, poursuit Mme Bourhis. Il s’agit de séduire le nouvel employé. »
Le jour J
On n’a jamais une deuxième chance de faire bonne impression, selon l’adage. La première journée de travail d’un employé représente donc une occasion à ne pas rater. Pourtant, le jour J vire souvent au cauchemar.
Il arrive régulièrement qu’une recrue se pointe sans être attendue. La direction n’a pas diffusé d’avis de nomination et le gestionnaire ne sait pas quoi faire d’elle. « J’ai même déjà vu ça se produire avec un vice-président. C’est une situation très décevante à vivre », déplore Julie Tardif, CRHA, consultante en ressources humaines et cofondatrice de la firme iceberg management.
Arriver dans un environnement professionnel inconnu peut être intimidant. « L’accueil sert beaucoup à rassurer le travailleur, à lui montrer qu’il sera pris en charge, qu’il sera bien accepté dans sa nouvelle équipe, et à créer une émotion positive chez lui », explique Claudia Michaud, chef de l’attraction et de l’acquisition de talents à Hydro-Québec. Cette société d’État embauche plus de 1 000 employés et 400 stagiaires chaque année.
À leur arrivée, les recrues sont réunies dans une salle. Elles viennent de tous les horizons et joueront des rôles très différents dans l’organisation. Plusieurs intervenants s’adressent à elles afin de leur offrir une vision d’ensemble d’Hydro-Québec. Cette rencontre a généralement lieu pendant la visite d’une installation, par exemple une centrale hydroélectrique. « C’est assez compliqué à organiser, puisqu’il y a de nombreuses normes d’accès et de sécurité à respecter dans ces endroits stratégiques, mais c’est mémorable pour ceux qui y assistent », souligne Annie Bélanger, chef du contrôle et du soutien aux opérations à la vice-présidence aux ressources humaines d’Hydro-Québec.
Julie Tardif note que ce type d’opération reste l’apanage des grandes sociétés. « Les plus petites entreprises manquent de ressources spécialisées et de temps, sans compter que leurs dirigeants ne voient pas toujours l’utilité d’organiser un processus d’accueil très complet », constate-t-elle.
Arrivée cauchemardesque
Le déroulement des premières journées peut aussi souffrir d’un déficit de préparation, comme le montre un sondage Angus Reid réalisé en février 2020 auprès de 1 500 Canadiens pour la firme de consultants ToPdesk Canada.
En effet, près de la moitié des répondants ont dit avoir subi des ennuis à leur entrée en fonction, qu’il s’agisse de l’impossibilité de se brancher à leur poste de travail, de l’absence d’ordinateur ou de téléphone, voire d’un service de messagerie inaccessible. Un peu plus d’un répondant sur dix a déclaré avoir dû installer son propre système informatique ou téléphonique sans instructions. D’autres (15 %) ont dû errer d’un service à un autre pour obtenir leurs codes d’accès et pour voir leur profil enregistré dans le système informatique.
Pire encore, environ 15 % des répondants ont affirmé qu’ils n’avaient pas reçu de carte magnétique et qu’ils ne pouvaient tout simplement pas pénétrer dans les bureaux. Pour se sentir le bienvenu, on a déjà vu mieux… Ben Scavuzzo, conseiller en gestion de services de ToPdesk, estime que de tels ratés sont dévastateurs : « cela diminue les espoirs de l’employé envers l’entreprise et ça donne aussi l’impression que l’employeur n’a pas d’attentes élevées envers la recrue », fait-il valoir.
Selon M. Scavuzzo, le manque de standardisation explique une grande partie de ces problèmes : « Les étapes et les rôles de chacun ne sont pas toujours bien définis, suggère-t-il. Par exemple, je vois souvent de la confusion en ce qui a trait aux cartes magnétiques. La responsabilité de les remettre revient-elle aux services informatiques, aux ressources humaines, au gestionnaire de l’immeuble ? ce genre de détail doit être clair. »
En moyenne, l’accueil et l’intégration comporteraient plus de 50 étapes. On gagne donc à standardiser le processus et à bien former les gestionnaires responsables. « L’emploi du temps des nouveaux employés doit lui aussi être précis, mais on ne doit pas les submerger d’information, de séances de formation ou de tâches dès les premiers jours, note Anne Bourhis. C’est surtout le moment de les familiariser avec leur rôle. »
L’apport des parrains
Les nouveaux employés devraient rencontrer rapidement leur gestionnaire ou un haut dirigeant de l’entreprise. Plusieurs sociétés le per- mettent dès la première journée. C’est le cas chez Eidos Montréal, où les recrues ont droit à un entretien avec David Anfossi, le chef du studio. Elles peuvent discuter de leur rôle avec lui et lui poser des questions. Cela ajoute au sentiment de prise en charge et de soutien. « C’est très informel, souligne M. Anfossi. Il ne s’agit pas de prononcer un discours ou de motiver le nouvel employé. C’est plutôt une discussion pour apprendre à mieux se connaître. »
À la fin de la première journée, tous les membres du personnel d’Eidos reçoivent un courriel de présentation de leur nouveau collègue. Grâce à un questionnaire « brise-glace » auquel la recrue a répondu au préalable, ils apprennent plusieurs détails qui ne sont pas directement reliés au travail (loisirs, intérêts particuliers, etc.). Cela permet d’engager plus facilement la conversation les jours suivants.
Karen Chammas, conseillère en ressources humaines chez Eidos, explique que l’intégration plus serrée dure environ une semaine pour tous les nouveaux employés. Par la suite, cela dépend du rôle et du degré d’expérience de la personne. Les travailleurs inexpérimentés et les stagiaires nécessitent davantage d’encadrement. Les travailleurs venus d’autres pays reçoivent de l’aide pour se familiariser avec le Québec, pour trouver un appartement, pour apprendre le français, etc.
Les nouveaux employés sont également jumelés à un parrain, lequel doit assurer une bonne intégration de la recrue dans l’équipe d’Eidos, par exemple en lui présentant des collègues, en répondant à ses questions ou en l’invitant à des activités. « Nous choisissons des gens expérimentés qui ont envie de consacrer une partie de leur temps à jouer ce rôle », explique M. Anfossi.
Dans un récent article publié dans la Harvard Business Review, Microsoft témoignait des avantages d’un tel programme, testé auprès de 600 recrues. Plus les rencontres entre le parrain et le nouvel employé sont fréquentes, plus la productivité de ce dernier augmente rapidement. Après une semaine, les salariés jouissant de cet accompagnement se montrent plus satisfaits de leur intégration que les autres dans une proportion de 23 %. Toutefois, les dirigeants de Microsoft conseillent d’alléger les tâches du parrain afin qu’il dispose du temps nécessaire pour accompagner la recrue. Les deux partenaires devraient aussi se rapporter au même gestionnaire.
L’intégration, surtout après la première semaine, représente également une occasion d’évaluer l’employé et de mesurer sa progression. « Il importe de bien signifier ses attentes en ce qui concerne les tâches, les priorités, les échéanciers et même les budgets dès le départ, explique la consultante Julie Tardif. Mais il est tout aussi essentiel d’effectuer un bon suivi, d’évaluer la capacité d’apprentissage de l’employé, de s’assurer qu’il dispose des bons outils et de mesurer l’écart entre ses attentes initiales et la réalité. »
Les profils atypiques
Les vice-présidents et les cadres méritent des accueils quelque peu différents, davantage axés sur leur rôle stratégique. Les entreprises négligent trop souvent cet aspect, comme en faisait état un article publié par la Harvard Business Review3 en 2017. Les auteurs citaient notamment un sondage de la firme-conseil Egon Zehnder réalisé auprès de 588 dirigeants (notamment des vice-présidents ainsi que des titulaires de postes encore plus élevés). Moins d’un tiers d’entre eux ont dit avoir reçu un accompagnement significatif à leur arrivée ; près de 70 % ont admis avoir eu du mal à déchiffrer le fonctionnement de leur organisation, tandis que près de 48 % ont dit avoir mal compris le modèle d’affaires de celle-ci. Conséquence : près de 60 % d’entre eux ont mis entre six et neuf mois pour jouer pleinement leur rôle.
Accueil à domicileLa pandémie de COVID-19 et le confinement ont bouleversé les activités d’accueil et d’intégration des employeurs. Julie Tardif note que certaines entreprises ont mis fin à ces activités en raison d’ennuis financiers ou d’interruption de leurs activités. D’autres les ont déplacées dans l’univers virtuel. |
D’autres employés peuvent nécessiter certaines adaptations dans le processus d’accueil et d’intégration. C’est le cas des candidats qui, fraîchement émoulus des universités, arrivent armés d’un doctorat ou d’un postdoctorat. « il y a encore certains mythes à leur sujet, comme quoi ils seraient difficiles à intégrer ou com- prendraient mal les enjeux d’affaires », déplore Thomas Vignalou, directeur du bureau montréalais d’Adoc Talent Management.
Pourtant, ces candidats ont généralement de bonnes capacités d’apprentissage, utiles pour passer au travers du processus d’accueil et d’intégration. M. Vignalou encourage les employeurs à ne pas les isoler et à leur présenter un portrait d’ensemble de l’organisation et du rôle qu’ils y joueront. « Ce sont souvent des personnes intéressées à contribuer à des projets et à résoudre des problèmes. Mettre l’accent là-dessus peut donc les accrocher, tout comme le fait de leur montrer leurs perspectives d’évolution dans l’entreprise », ajoute-t-il.
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Tous les nouveaux travailleurs, peu importe leur profil et leur niveau hiérarchique, peuvent tirer profit d’un bon processus d’accueil et d’intégration. « Trop d’entreprises continuent de négliger cet aspect pourtant crucial, conclut Mme Bourhis. Elles risquent ainsi de fragiliser leur relation avec leurs employés et éventuellement de les perdre. On gagne beaucoup à créer un lien fort dès le départ. »
Notes
1 « 10 onboarding ideas and survey results that support implementing them now » (document en ligne), Engage2Excel, 2017, 8 pages.
2 « AI pioneer Digitate unveils employee engagement survey » (communiqué de presse en ligne), Tata Consultancy Services, 30 avril 2018.
3 Byford, M., Watkins, M. D., et Triantogiannis, L., « Onboarding isn’t enough » (article en ligne), Harvard Business Review, mai-juin 2017.
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