Illustration : Sébastien Thibault

Les technologies sont généralement vues comme des solutions à la lutte contre les changements climatiques. Leurs effets sur la planète bleue ne sont toutefois pas toujours roses.

Le numérique est-il bon ou mauvais pour l’environnement? Répondre à cette question n’est pas si simple. L’empreinte carbone d’une conférence en ligne est certainement moindre qu’une autre en présentiel, mais elle n’est pas nulle pour autant.

Selon les estimations, de 3 à 5% des émissions de carbone dans le monde proviennent d’ailleurs de l’univers numérique. «Pourtant, c’est une chose dont on parle peu, surtout par rapport à d’autres secteurs plus visibles, comme l’aviation civile, responsable de 2,5% des émissions, ou les véhicules lourds, qui génèrent 4% des émissions. C’est l’angle mort du développement durable», remarque Martin Deron, responsable du Défi numérique pour Chemins de transition, un partenariat entre l’Université de Montréal et Espace pour la vie qui vise à préparer la société québécoise à une transition verte et durable. Tandis que les autres secteurs tentent activement de diminuer leurs émissions, celles qui sont liées au numérique explosent.

La sobriété numérique est un élément clé pour arriver à faire converger transition numérique et transition écologique. «On est encore bien loin du but», souligne toutefois Martin Deron. On estime d’ailleurs qu’une certaine sensibilité à la sobriété numérique sera atteinte en 2027 seulement, et que les habitudes à ce chapitre auront été adoptées par la majorité des personnes et des organisations en 2037. C’est loin.

Dossier – Consommation numérique : prêts pour un régime minceur?

Plusieurs pistes de solutions s’offrent aux entreprises qui ne souhaitent pas attendre jusque-là pour faire une différence. Ainsi, elles pourraient concevoir des services écoresponsables (par exemple, un site Web léger, qui génère moins d’émissions à chaque chargement). Selon les experts consultés, la stratégie la plus importante à adopter consiste cependant à encourager les pratiques qui contribuent au prolongement de la durée de vie des appareils électroniques, en incitant les usagers à les conserver plus longtemps et à acheter des modèles faciles à réparer, par exemple.

«Quand on analyse le cycle de vie, c’est vraiment la production d’un appareil qui a le plus grand impact sur ses émissions», rappelle Martin Deron. C’est donc sur cet aspect que les entreprises qui veulent améliorer leur sobriété numérique doivent miser en priorité. Et ce conseil vaut aussi pour les organisations qui ont adopté des services infonuagiques.

C’est d’ailleurs l’observation qui a guidé Germain Masse, directeur du marketing, Données et IA, et expert en écoconception des services numériques chez le fournisseur OVHcloud, lorsqu’il a veillé à la conception d’une calculatrice permettant à des clients d’évaluer l’impact environnemental de leur utilisation de serveurs.

«Plusieurs outils similaires n’évaluent que la consommation énergétique des centres de données, mais ce n’est pas du tout suffisant», plaide-t-il. La calculatrice d’OVHcloud estime donc aussi le bilan carbone lié à la fabrication de ses serveurs, mesure leur consommation énergétique et évalue les émissions liées au centre de données lui-même.

«Pour l’instant, on ne peut les utiliser que pour les serveurs dédiés», note Germain Masse, mais l’entreprise compte aussi l’offrir un jour à ses clients qui utilisent une architecture partagée. «Nous voulons tenir compte également de la réutilisation des pièces», ajoute-t-il. Un serveur neuf et puissant n’aurait donc pas les mêmes émissions qu’un plus vieux qui est composé de pièces réutilisées.

Alors que de plus en plus d’entreprises souhaitent améliorer leur bilan, surtout avec l’arrivée des normes ISSB de divulgation durable, mesurer son empreinte carbone avec justesse sera de plus en plus important, et ce genre de calculatrice pourra être un outil à envisager pour y arriver.

Évidemment, mesurer son bilan carbone ne suffit pas. Il faut aussi prendre les mesures nécessaires pour se rapprocher de la sobriété numérique. «Il faut vraiment que les organisations l’abordent de façon globale. Je m’attends à ce que ce soient les responsables du développement durable qui se saisissent de ces questions, mais tout le monde doit participer, tant les décideurs que les employés»,souligne Martin Deron.

20 gestes concrets à poser

Vous aimeriez améliorer votre bilan carbone grâce à la sobriété numérique? Voici par où commencer.

Pour les employés

1. Privilégiez une connexion Wi-Fi ou filaire plutôt que mobile, qui génère 240 fois plus d’émissions de carbone, selon une étude de l’entreprise d’experts-conseils française Objectif Carbone.

2. Utilisez vos signets : accéder à une page Web directement vous évite le 0,2 gramme de CO2 généré par une recherche Google.

3. Effacez vos courriels après consultation, si possible.

4. Diminuez la résolution de votre caméra Web (vous n’avez pas besoin d’une image en 4K dans vos réunions). Ou, mieux encore, éteignez-la.

5. Réparez vos appareils au lieu de les remplacer. La fabrication d’un appareil électronique représente la majeure partie des émissions de carbone qu’elle générera durant le cycle de vie du produit.

6. Si possible, envoyez un lien vers l’adresse Web d’un document plutôt que de partager ce fichier directement.

7. Limitez vos courriels en évitant les «Répondre à tous» et en vous désabonnant de listes de diffusion que vous ne consultez plus.

8. Privilégiez votre téléphone : parce qu’il consomme moins d’énergie qu’un ordinateur, un téléphone est un appareil de choix, surtout si vous êtes en période de grande demande énergétique au Québec ou que vous vous trouvez dans un endroit où des sources non renouvelables d’électricité sont utilisées.

9. Profitez des politiques BYOD (de l’anglais Bring Your Own Device) de votre employeur : un seul appareil vaut mieux que deux.

10. Limitez la résolution des services de diffusion vidéo que vous consultez dans vos temps libres.

Pour les dirigeants et les gestionnaires

11. Imposez l’adoption de bonnes pratiques d’écoconception pour vos sites Web et vos services.

12. Mettez en place des processus pour optimiser l’utilisation de votre matériel informatique sur une longue durée, par exemple en achetant des appareils neufs et puissants seulement pour ceux qui en ont vraiment besoin. Vous pourrez ensuite remettre ces appareils aux autres employés quand viendra le temps de les changer.

13. Améliorez les critères environnementaux dans vos appels d’offres en technologies de l’information, par exemple en imposant un taux de matériaux recyclés et en exigeant une analyse du cycle de vie des appareils.

14. Optez pour des centres de données alimentés en énergies propres.

15. Ne payez que pour ce dont vous avez réellement besoin : vous imposer des heures d’accessibilité ou un taux de fiabilité inutilement élevé pour le genre de services que vous offrez peut avoir des répercussions importantes sur vos émissions de carbone.

16. Limitez les réunions virtuelles et en présentiel. Une réunion en ligne d’une heure peut générer de 150 à 1 000 grammes d’émissions de carbone. Et une rencontre en personne est presque dix fois pire si les participants doivent s’y rendre en voiture. Lorsque c’est possible, optez pour des audioconférences, beaucoup moins énergivores.

17. Réduisez la quantité de données que vous amassez et la durée pendant laquelle vous les conservez.

18. Optez pour des solutions de stockage qui génèrent moins d’émissions de carbone durant leur cycle de vie que des disques SSD pour vos données archivées à long terme, comme des disques durs ou des bandes magnétiques.

19. Encouragez la messagerie instantanée plutôt que les courriels.

20. Installez vos services non essentiels dans des infrastructures infonuagiques partagées, si possible dans un centre de données situé au Québec.

Article publié dans l’édition Printemps 2024 de Gestion