Que l’on soit fan ou non, le septième film de la saga Star Wars, « Le réveil de la Force » a marqué la fin d’année. Un événement moins ludique l’a fait aussi : la conférence de Paris sur le climat. Celle-ci a rassemblé 195 pays avec l’objectif de réduire les effets négatifs de l’activité humaine sur le climat, notamment la croissance du dioxyde de carbone dans l’air. L’adaptation des papillons au carbone et à la suie de charbon est un bon exemple pour relier ces deux événements et en tirer des leçons.

En zoologie, l’exemple du « mélanisme industriel » est présenté comme un cas d’école afin de démontrer les mécanismes de la sélection naturelle. Le mélanisme (du grec melas, «noir») est la transformation en couleur noirâtre d’une espèce de papillon appelée « phalène du bouleau ». Ce papillon de nuit s’appelle ainsi, car il se pose durant la journée sur les troncs et les branches de bouleaux. Des spécialistes ont constaté qu’au début de la Révolution industrielle en Angleterre, en 1848, ces papillons avaient changé de couleur autour des centres industriels, comme celui de Manchester. L’hypothèse avancée fut que la couleur des papillons s’était adaptée à celle des bouleaux et de leurs lichens, noircis par la suie du charbon utilisé par les manufactures. Les papillons devinrent noirâtres, plus difficiles à repérer pour leurs prédateurs. L’hypothèse fut confirmée, car il fut démontré que les prédateurs, oiseaux et chauves-souris, capturent moins les papillons mélaniques, mieux dissimulés, que ceux qui restent clairs. Ce cas montre de façon simple les mécanismes de la sélection naturelle : des papillons plus noirs que les autres, leur couleur n’étant que le fruit du hasard, survivent davantage; cette couleur est transmise génétiquement à la génération suivante qui obtient, elle aussi, sans le savoir ni le vouloir, plus de chance de survie; et la population des papillons noirs s’accroit encore davantage, les plus clairs disparaissant.


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Mais ce cas de sélection naturelle a été lui-même engendré par un événement non « naturel » : l’essor de la Révolution industrielle et l’utilisation du charbon. Cet essor engendra une diminution rapide de la diversité des phalènes, 98 % d’entre eux, selon les spécialistes, étant devenus noirs en 1954 dans la même région de Manchester. Des mutations similaires sont observées dans d’autres pays et pour de nombreuses espèces. Dans la saga Star Wars, cela voudrait dire que le côté noir ne peut être évité, mais qu’il est engendré naturellement par le mécanisme de la sélection naturelle. Toute la population serait alors condamnée à embrasser cette condition sombre, sans choix, sans décision, ou même sans réalisation consciente. On peut se demander si dans ce cas cette mutation est une « évolution », un « progrès » ou une « adaptation » positive? Dans le cas des papillons, il semble que leur mutation ne soit qu’une conséquence des polluants carboniques : les papillons noirs survivent, mais dans un environnement de plus en plus pollué.

Dans Star Wars, la « bonne vie » réside au sein de la République qui choisit de résister au côté obscur. Mais la pollution de l’environnement ne concerne pas seulement la couleur des papillons ou même leur diversité. C’est tout l’écosystème autour des centres industriels qui est affecté ou même un écosystème qui peut à son tour influencer son environnement. Pour ne prendre qu’un exemple, la pollution, les pesticides et les industries agricoles ou industrielles intensives diminuent la population des insectes, comme les papillons et les abeilles. Ceux-ci sont pourtant responsables de plus de 70 % de la pollinisation de la très grande majorité des approvisionnements alimentaires du monde : moins de diversité dans ces espèces ou le déclin de leur nombre, constatés aujourd’hui de façon alarmante, entrainent des problèmes conséquents pour la reproduction de la plupart des fleurs et des deux tiers des plantes cultivées.


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Dans le langage des agriculteurs, on se prive alors des « services gratuits » offerts par la nature, en plus de notre appauvrissement biologique, nutritif, économique, culturel et esthétique. Nous sommes ici dans un cas de coévolution où des espèces ne font pas que s’adapter à un environnement donné, mais où les mutations de ces espèces influencent leur environnement. Dans les cas des papillons, en tant qu’insectes, ils ne peuvent être conscients de ces changements. Dans le cas de Star Wars, la victoire de l’Empire ou du « Premier ordre » est censée, pour ses opposants, engendrer la décadence dans toute la galaxie, et les personnes peuvent en être conscientes et décider de s’y opposer. Paul Crutzen, Prix Nobel de chimie, a proposé en l’an 2000 l’idée que nous sommes entrés dans une nouvelle ère, celle de « l’anthropocène » : les activités humaines et industrielles sont devenues le moteur le plus puissant dans l’évolution de la vie sur terre. Qu’on le veuille ou non, nous sommes acculés à des choix éthiques. Cette responsabilité a été rappelée durant la dernière conférence de Paris concernant notre utilisation abusive des énergies fossiles.

La prochaine fois qu’on vous dira : « On ne peut que s’adapter au changement », « on n’arrête pas le progrès » ou « on ne peut réglementer cette industrie, car cela va faire chuter le PIB », pensez aux phalènes de bouleau : allez-vous vous adapter à la pollution, afin de survivre comme ces insectes? Ou allez-vous résister et, comme dans Star Wars, rejoindre la rébellion de la République pour défendre la vie dans la galaxie? Au-delà du mythe populaire que cette saga exploite, elle pose le problème du choix éthique. Que la Force (positive) soit avec nous!