«Que font réellement mes employés lorsquils travaillent à la maison?» Cette question obsède de plus en plus de gestionnaires. Pour y répondre, ils utilisent une panoplie doutils de surveillance électronique. Mais est-ce réellement la solution?

Une étude d’Upgraded Points citée en novembre 2023 dans un article du journal Les Affaires semblait confirmer les pires craintes des gestionnaires à l’égard du télétravail. On pouvait y lire que les trois quarts des employés consulteraient leurs médias sociaux pendant les heures de travail, que 70% effectueraient des achats en ligne et même que plus de la moitié regarderaient des émissions de télévision ou des films. Sans compter ceux qui abandonneraient carrément leur poste pour aller faire des emplettes, piquer un petit roupillon ou aller boire un verre dans un bar.

Ce genre de constat amène plusieurs gestionnaires à envisager le recours à des outils de surveillance électronique de plus en plus intrusifs. Certains sont déjà largement utilisés, comme la surveillance des fichiers téléchargés, l’analyse et la lecture des courriels et des interventions dans les messageries, le temps passé en vidéoconférence, le nombre de clics de souris ou de touches sur le clavier, etc.

«D’autres solutions encore plus intrusives existent, comme la prise régulière de photos à partir de la caméra de l’ordinateur de l’employé ou même filmer les travailleurs en continu», souligne Xavier Parent-Rocheleau, professeur adjoint au Département de gestion des ressources humaines de HEC Montréal. Ce dernier rappelle que l’organisme Coworker recense déjà plus de 550 outils de surveillance électronique des salariés, signe d’un engouement certain.

Le jeu en vaut-il la chandelle?

Les gestionnaires devraient toutefois se montrer prudents, estime le professeur, car plusieurs recherches démontrent que ces outils peuvent devenir contre-productifs. «Ils ont tendance à augmenter le stress, ce qui nuit à la créativité, explique-t-il. Ils génèrent aussi une perte de confiance et un désengagement envers l’employeur, ce qui réduit la productivité.»

Xavier Parent-Rocheleau rappelle qu’un contrat psychologique se noue entre un salarié  et son employeur, lequel définit leurs attentes et leurs obligations mutuelles, en particulier sur le plan social. Ce contrat peut être basé sur la confiance ou n’être que transactionnel. «La surveillance électronique favorise l’émergence d’une relation purement transactionnelle, croit le professeur. Le travailleur comprend qu’il n’a pas la confiance de l’employeur, se désengage et n’accomplit que le strict minimum.»

Autre problème : les outils ne mesurent pas toujours bien la productivité. «Analyser le nombre de clics de souris ou de touches sur le clavier ou même la présence de l’employé devant son écran ne révèle pas grand-chose, au fond, sur sa productivité et sa créativité», note Xavier Parent-Rocheleau.

Selon lui, les gestionnaires doivent comprendre que leur manière de jouer leur rôle change avec la normalisation du télétravail. Ils doivent apprendre à gérer la productivité plutôt qu’à la mesurer. Cela exige de rencontrer fréquemment les employés, de leur fixer des objectifs atteignables et mesurables et, surtout, de bâtir une solide relation de confiance avec eux.

Article publié dans l’édition Printemps 2024 de Gestion