Article publié dans l'édition Automne 2018 de Gestion

Les consommateurs sont de plus en plus informés et attentifs lorsqu’ils font leurs achats. Les entreprises en sont conscientes et redoublent d’efforts pour mettre en lumière leurs réalisations à caractère social. Voici des pistes pour les aider à faire passer leur message et pour comprendre la perception des clients quant à la responsabilité sociale des entreprises.

Tout d’abord, une définition de « responsabilité sociale des entreprises » (RSE) s’impose, puisque cette expression se caractérise par une diversité de perspectives et d’interprétations, qui évoluent au fil des ans. À titre d’exemple, sur sa page web traitant de la conduite responsable des entreprises à l’étranger, le gouvernement du Canada l’emploie pour désigner « l’adoption par une entreprise de mesures volontaires plus strictes que celles imposées par la loi afin d’exercer ses activités de manière durable sur les plans économique, social et environnemental ». Or, les critères et les définitions diffèrent selon les personnes qui analysent la RSE, notamment lorsqu’il s’agit des consommateurs. Ceux-ci voient généralement la RSE sous l’angle des responsabilités des entreprises à tous égards et des efforts qu’elles y consacrent au bénéfice de leur personnel, de leurs actionnaires, de leurs clients, etc.

Nous proposons une conceptualisation de la RSE d’un point de vue des consommateurs qui s’appuie sur la littérature scientifique, sur des entrevues avec des experts et avec des consommateurs ainsi que sur une étude menée auprès de clients de diverses entreprises. Les résultats montrent ainsi que, pour les consommateurs, la RSE est essentiellement liée à la notion de respect, et ce, dans sept champs bien précis : la clientèle, le personnel, l’environnement, la communauté locale, la société en général, les fournisseurs et les actionnaires.


LIRE AUSSI : De la bonne intention à la discipline de gestion : la responsabilité sociale des entreprises


On doit toutefois garder à l’esprit que ces sept champs n’ont pas la même importance dans tous les secteurs d’activité, pas plus qu’aux yeux de tous les consommateurs. Les entreprises doivent donc analyser correctement leur contexte spécifique afin de déterminer les faiblesses qui pourraient porter atteinte à leur réputation en matière de responsabilité sociale.

Une question de perceptions

Afin de mieux comprendre les consommateurs, nous avons évalué plusieurs facettes de leurs perceptions par rapport à la responsabilité sociale des entreprises. Dans le cadre de notre étude4, un sondage a été mené auprès de 1 924 consommateurs autrichiens. Les questions ont été conçues afin de mettre en lumière leurs points de vue quant aux principaux domaines de la responsabilité sociale des entreprises.

On leur a notamment posé les questions suivantes :

L’entreprise conserve-t-elle un nombre significatif d’emplois dans la région où elle est implantée ?

Le personnel de l’entreprise est-il traité équitablement ?

L’entreprise œuvre-t-elle activement à réduire ses émissions de polluants ?

L’entreprise verse-t-elle une partie de ses profits à un organisme caritatif ou communautaire local ?

Nous voulions connaître :

1. Le niveau d’effort jugé idéal par les consommateurs interrogés en matière de RSE ;

2. Le niveau d’effort minimum que ceux-ci estiment acceptable ;

3.Le niveau réel d’engagement perçu par le consommateur.

Les résultats ont montré que le seuil minimum requis pour emporter l’adhésion des consommateurs est très proche de l’idéal exprimé. Cependant, la réalité est souvent loin de correspondre à ces deux seuils. Ce qu’il y a d’intéressant pour les entreprises, c’est de repérer les domaines où les niveaux d’effort réels et idéaux sont les plus éloignés. C’est là que l’engagement doit être renforcé et que la communication à propos des initiatives doit être améliorée.

On note par ailleurs que les consommateurs sont influencés avant tout par des perceptions, pas nécessairement par des faits. La mauvaise perception d’une entreprise par les consommateurs peut ainsi être corrigée en effectuant un travail de fond authentique afin d’améliorer ses pratiques et ses résultats dans des domaines de RSE précis. Un meilleur travail de communication peut aussi permettre de mieux faire connaître les valeurs promues et les mesures concrètes adoptées par une entreprise socialement responsable.


Les dirigeants d’entreprises doivent faire l’effort de comprendre le point de vue des consommateurs en matière de RSE. De cette façon, ils auront la possibilité d’agir concrètement pour renforcer la loyauté de leurs clients et pour accroître l’intérêt des consommateurs à acheter leurs produits ou leurs services. On a coutume de dire que des clients satisfaits et fidèles constituent la meilleure publicité pour une entreprise : cet axiome est encore vrai de nos jours. Comprendre les acheteurs peut également aider les gestionnaires à prendre de meilleures décisions, notamment en ce qui a trait au mode de diffusion de l’information en matière de responsabilité sociale. Ainsi, des études démontrent que certaines entreprises continuent d’être perçues de façon négative par la population même lorsqu’elles présentent objectivement un très bon bilan au chapitre de la RSE1.

Des consommateurs paradoxaux

Les perceptions et les comportements des consommateurs ne sont pas toujours cohérents. D’une part, les acheteurs sont de plus en plus conscients des aspects sociaux de l’activité et de la gestion des entreprises qu’ils encouragent. Ils veulent être informés et exigent plus de transparence. D’autre part, les consommateurs sont difficilement satisfaits : à leurs yeux, les entreprises peuvent toujours faire mieux et en faire davantage.


LIRE AUSSI : Les entreprises sociales : pionnières de l'économie de demain ou simple tendance ?


Or, cet intérêt ne se traduit pas nécessairement par des actions concrètes, et l’aspect financier demeure, sans surprise, le facteur décisionnel le plus important. D’ailleurs, même les gens les plus sensibilisés et les plus avertis ont tendance à abandonner leurs bonnes intentions si l’information sur la responsabilité sociale n’est pas claire. En effet, l’ignorance est parfois rassurante : ils craignent que des recherches plus poussées confirment la mauvaise conduite d’une entreprise et les obligent à faire un choix difficile2. Ainsi, certains consommateurs, pourtant bien intentionnés, font volontairement abstraction de ce type d’information. À l’inverse, pour ces consommateurs, de l’information clairement transmise par l’entreprise pourra avoir un effet positif sur les décisions d’achat. Les études démontrent qu’un nombre grandissant de consommateurs sont prêts à dépenser plus pour des produits d’entreprises responsables ou à adopter de nouvelles marques qui correspondent à leurs valeurs. Ce sont ces acheteurs, dont le potentiel de loyauté est élevé, que veulent et doivent aller chercher les sociétés qui ont un véritable objectif de responsabilité sociale. Il faut toutefois aider ces consommateurs à faire ce choix.

Des consommateurs moins naïfs

Pour les entreprises, la compréhension des positions de leurs clients potentiels sur les enjeux de responsabilité sociale est donc essentielle si elles veulent prendre des décisions éclairées. Cette connaissance doit être fine, puisque les consommateurs ne forment pas un bloc homogène : certains aspects sociaux en touchent certains mais laissent indifférents tous les autres.

Par exemple, des groupes accorderont moins d’importance aux aspects environnementaux qu’à la manière dont les employés sont traités. Les entreprises devront donc comprendre ce qui touche le plus leurs clients afin de leur transmettre l’information la plus pertinente et la plus claire qui soit.

Par ailleurs, cette information doit être rigoureuse, concrète et vérifiable. Les acheteurs sont de moins en moins naïfs et ont accès à de plus en plus d’information, notamment grâce aux médias sociaux. Jusqu’à il n’y a pas si longtemps, on pouvait simplement se dire responsable ou écologique et fonder des campagnes marketing entières uniquement là-dessus. Toutefois, de nombreux scandales, notamment ceux qui ont mis en lumière le fait que des entreprises qui se prétendaient socialement responsables employaient des gens dans des conditions dangereuses dans leurs usines outre-mer, ont suscité réprobation et méfiance parmi les consommateurs.

Certaines affirmations sont plus faciles à prouver que d’autres. On peut ainsi étayer un argumentaire lié à la protection de l’environnement en mesurant et en diffusant par exemple le nombre de litres d’eau utilisés ou la quantité de gaz produit et rejeté dans l’atmosphère par une usine. Cela dit, les prix et les marques de reconnaissance accordés par des organismes indépendants en matière de RSE sont perçus par les consommateurs comme des indicateurs très crédibles3.

Article rédigé en collaboration avec Takwa Souissi, journaliste


Notes

1) Peloza, J., Loock, M., Cerruti, J., et Muyot, M., « Sustainability– How Stakeholder Perceptions Differ from Corporate Reality», California Management Review, vol. 55, n° 1 automne 2012, p. 74-97.

2) Reczek, R. W., Irwin, J. R., Zane, D. M., et Ehrich, K. R., « That’s Not How I Remember It – Willfully Ignorant Memory for Ethical Product Attribute Information », Journal of Consumer Research, vol. 45, n° 1, juin 2018, p. 185-207.

3) Gruber, V., Kaliauer, M., et Schlegelmilch, B. B., « Improving the Effectiveness and Credibility of Corporate Social Responsibility Messaging », Journal of Advertising Research, vol. 57, n° 4, décembre 2017, p. 397-409.

4) Öberseder, M., Schlegelmilch, B. B., Murphy, P. E., et Gruber, V., « Consumers’ Perceptions of Corporate Social Responsibility– Scale Development and Validation », Journal of Business Ethics, vol. 124, n° 1, septembre 2014, p. 101-115.