Article publié dans l'édition automne 2016 de Gestion

Lorsque des tensions apparaissent, voire dégénèrent en conflit ouvert entre les membres d’un groupe de travail, vos compétences en médiation sont sollicitées. Fondées sur mon expérience à titre de facilitateur en résolution de conflits armés, voici quelques clés pour en arriver à une médiation responsable, quel que soit le contexte d’intervention.

Piège n˚ 1. C’est à vous de reprendre le contrôle

Si un conflit déchire votre équipe, vous risquez fort d’avoir le réflexe de vouloir reprendre les rênes. D’ailleurs, c’est peut-être à l’invitation d’une des parties à ce différend – voire des deux à la fois – que s’amorcera votre travail de médiation. Tout vous pousse donc à agir comme un parent qui s’interpose entre ses enfants et qui affirme son autorité. Mais voilà, vos collègues sont des adultes, et même s’ils vous demandent de reprendre le contrôle, ils sont désarçonnés au fond d’eux-mêmes. Ils ressentent l’échec de leur négociation directe comme une blessure d’amour-propre et perçoivent ce dénouement comme un abandon de souveraineté personnelle en votre faveur.


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Ils vous sauront donc gré de les remettre en selle, d’agir à l’inverse de ce qu’ils vous demandent, de les responsabiliser et de leur rendre ce qu’ils ont perdu, c’est-à-dire le pouvoir de résolution. C’est un des paradoxes des conflits : ils mènent souvent les parties à une régression psychologique, ce qui a un effet dévastateur de dépendance par rapport au tiers. Celui-ci peut résister à la tentation de s’approprier le pouvoir et tout faire par la suite pour rendre leur autonomie à des parties qui se croyaient désormais démunies.

Dans mon travail de médiation au Burundi entre représentants des communautés hutu et tutsi, qui sortaient d’une période marquée par de terribles exactions, j’ai réussi à tenir ce cap réfléchi et raisonnable. Mon rôle consistait à redonner confiance aux parties et à renforcer leur capacité de prise en charge de leurs propres affaires. Je m’inscrivais dans un triangle horizontal et non vertical en relation avec les parties. Je ne me suis jamais considéré comme un supérieur hiérarchique mais plutôt comme un intervenant « biodégradable ».

SUGGESTION : C'est aux parties de reprendre leur pouvoir.

Piège n° 2. C’est à vous de dire qui a raison

En situation conflictuelle, on est tenté de se comporter en juge et de vouloir déterminer qui des deux parties a raison. Les protagonistes poussent aussi le tiers à prendre parti. À nouveau, il faut résister à la tentation et éviter de s’aliéner un des protagonistes en cours de route. Donner raison à l’un contre l’autre, c’est courir le risque de démotiver ce dernier et de pousser le premier à trouver d’autres occasions d’être privilégié par le chef d’équipe.

La médiation ne consiste pas à favoriser une partie aux dépens de l’autre. La métaphore sportive s’applique bien ici. Il s’agit de valoriser aussi bien les attaquants, les joueurs de la ligne centrale et les défenseurs que le gardien de but. Chacun des joueurs est essentiel au succès collectif, et l’entraîneur le sait : il n’a pas de favoris. Au sein d’une entreprise, le chef d’équipe demeure en situation décisionnelle, y compris durant un conflit. Dans cette logique non partisane, son travail de médiation a pour but de rendre la parole à chacun et de la faire entendre par les autres, de laisser coexister la variété des points de vue, de permettre à toutes les parties d’expliquer les raisons de leurs frustrations et de leurs attentes ainsi que de les inviter, par empathie, à entendre celles des autres pour reconnaître la pluralité des perspectives.

Lors d’une rencontre à Jérusalem entre Israéliens et Palestiniens où j’agissais à titre de facilitateur, j’ai abordé la question de la séparation physique entre ces deux communautés. Pour les premiers, c’était une simple barrière de sécurité ; pour les seconds, il s’agissait d’un véritable mur. Au début de la conversation, chacun voulait convaincre l’autre qu’il avait raison et faire admettre à l’autre qu’il avait tort. Assis parmi eux, j’avais pour tâche de faire en sorte que tout le monde ait le temps nécessaire pour expliquer son expérience de la séparation sans être interrompu et que la partie adverse la comprenne. Progressivement, l’objectif de la médiation a changé : elle visait moins à se mettre d’accord sur le passé qu’à pouvoir vivre avec plusieurs points de vue sur ce même passé pour envisager la possibilité d’un avenir pacifique.

SUGGESTION : Chaque partie doit s'exprimer et écouter les autres

À titre de responsable d’une médiation, fixez le cap et aidez les parties à :

  1. Reprendre le pouvoir

  2. Exprimer leurs points de vue et écouter ceux des autres

  3. Trouver des solutions grâce à un bon processus

  4. Exprimer leurs émotions, voire renouer les relations

  5. Prendre leurs responsabilités lors de la mise en oeuvre

Piège n° 3. C’est à vous de trancher le conflit

Il n’y a souvent qu’un pas entre le risque de partialité et la perte de neutralité. Si je crois savoir qui a raison, je risque d’orienter la discussion dans un sens qui lui sera favorable.

À tort, les parties et les tiers non formés croient souvent que le médiateur est chargé de trouver une solution au problème qui se pose. Or, ce n’est pas à lui d’imaginer la solution : c’est aux parties de la rechercher et, si possible, de la découvrir par eux-mêmes sous l’impulsion du médiateur. En se focalisant sur le déroulement harmonieux de la conversation, le médiateur augmente les chances de dénouement heureux. Cette division du travail contribue à une meilleure appropriation de la solution par les parties et, par conséquent, à une exécution efficace. Elle conforte aussi la fonction décisionnelle du responsable d’équipe, qui consiste à orchestrer et non pas à jouer de tous les instruments à la place des musiciens.

Il m’est souvent arrivé que les parties me demandent conseil sur des problèmes de fond épineux qu’ils connaissaient mieux que moi. Par exemple, au Burundi, des militaires de l’armée régulière et des mouvements armés m’ont interrogé sur la définition d’un combattant. Plutôt que de donner mon avis, j’ai retourné la question à celui qui me la posait en lui demandant comment il y répondrait (réflexion) ou alors je l’ai soumise aux deux parties (déflexion) en ouvrant le dialogue entre elles sur ce point. Ces deux approches évitent d’amener les parties vers des solutions qui pourraient convenir au médiateur (voire à un autre contexte) mais qui risqueraient de négliger des éléments du problème dont le médiateur pourrait ne pas être conscient. En choisissant d’être un facilitateur du processus plutôt qu’un inventeur de solutions, le médiateur demeure au-dessus de la mêlée et renforce son autorité.

Néanmoins, si les parties sont dans l’impasse et ignorent comment s’en sortir, le médiateur peut suggérer plusieurs idées qui pourraient contribuer à réenclencher la dynamique de résolution. On doit avoir recours à cette approche en dernier ressort car, en fin de compte, en équipe, si le responsable est amené à tout résoudre, son fardeau sera de plus en plus lourd, ce qui induira une déresponsabilisation chez les autres membres de l’équipe.

SUGGESTION : C'est à vous de guider le processus.

Piège n° 4. C’est à vous de contrôler les émotions de tout le monde

Pour des parties en conflit, les problèmes de fond servent fréquemment de paravents à des difficultés interpersonnelles, lesquelles suscitent des émotions fortes, voire patentes et explosives. Les milieux professionnels sont souvent mal équipés pour composer avec ces accès de fièvre. Les tiers à un conflit auront donc tendance à faire fi des comportements dits émotionnels ou à les marginaliser. Des expressions du genre « Calmez-vous ! » ou « Votre attitude n’est pas professionnelle » sont courantes dans un tel contexte, même si, dans la tourmente, elles ont peu d’effet.

Or, si des parties en viennent à oublier le fond du problème et à le réduire à un simple antagonisme entre elles, il faudra bien que le tiers les aide à retrouver une certaine paix intérieure ainsi qu’une capacité à travailler de nouveau au sein de l’équipe, même avec ceux qui les hérissent. C’est ici que le médiateur doit mettre le problème de côté pendant un instant et, en ayant recours à une bonne méthode de négociation, se concentrer d’abord sur les personnes et reconnaître leurs émotions. Selon cette approche, les parties doivent disposer d’un espace où elles pourront exprimer leurs émotions, mêmes négatives, avant de s’atteler au fond du problème.

Pour éviter toute escalade, il n’est pas rare que les médiateurs proposent des entretiens séparés (caucus). Lors de ces entretiens, le tiers permet à chaque partie, en l’absence de l’autre, d’exprimer ce qu’elle a vraiment sur le cœur et d’être entendue. Parfois, il est même possible de poursuivre les entretiens conjoints, où les deux parties font état de leurs doléances, ce qui, au-delà de moments difficiles en matière d’écoute réciproque, soulage souvent tous les protagonistes et favorise une relation apaisée. Ces approches ont un point commun : la reconnaissance des personnes et de leurs émotions, individuellement et, si possible, ensemble.


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En République démocratique du Congo, j’ai déjà assisté à une session où, à la surprise générale, un des participants a avoué regretter certaines actions violentes qu’il avait commises par le passé. Cet aveu a entrouvert de nouvelles possibilités de coopération que les autres n’auraient jamais envisagées sinon.

Au Burundi, j’ai pris à part une personne parce qu’elle se taisait en séance. Mise en confiance, elle a partagé avec moi des blessures personnelles, y compris le fait que c’était difficile pour elle d’être présente, là, avec certaines personnes dont les regards condescendants lui rappelaient des souffrances passées. La création d’espaces d’expression aide à atténuer une part des frustrations. Elle renforce la confiance envers le médiateur et la rétablit parfois avec les autres parties, cette preuve ultime de succès apparaissant comme une véritable cerise sur le gâteau.

SUGGESTION : C'est à vous de créer un espace pour l'expression des émotions.

Piège n° 5. C’est à vous d’en finir au plus tôt

Un dernier élément revêt une importance cruciale en médiation. Souvent, dans l’effervescence de la fin d’une réunion, on voudrait en finir vite, alors qu’il faut conclure convenablement. La solution retenue, s’il y en a une, souffre encore d’une relation fragile. Il est donc indispensable de s’assurer que les mots se traduiront par des faits tangibles. C’est au médiateur de pousser les parties non simplement à bien respecter leurs engagements mais aussi à les structurer, à les traduire en plan d’action, de sorte que les responsabilités des uns et des autres soient claires et que l’exécution des obligations soit vérifiable dans le temps.

En août 2006, j’ai été témoin d’une séance de médiation où, dans une ville en état de siège, Kinshasa, le mandataire de l’ONU a contribué à ce que les parties ne s’engagent pas seulement à établir une trêve mais œuvrent concrètement au rétablissement de la paix civile en éteignant les foyers d’escarmouches, un à un, grâce à des convois de véhicules et à du dialogue sur le terrain.

SUGGESTION : C'est à vous de garantir que l'accord est réalisable.


Pour en savoir plus

  • A. Lempereur, J. Salzer et A. Colson, Méthode de médiation – Au cœur de la conciliation, Éditions Dunod, coll. « Stratégies et management », Malakoff (France), 2008, 288 pages.
  • A. Lempereur et A. Colson, Méthode de négociation – On ne naît pas bon négociateur, on le devient, Éditions Dunod, coll. « Stratégies et management », Malakoff (France), 2010, 288 pages.