Article publié dans l'édition automne 2015 de Gestion

Longtemps reconnu comme un élément clé des organisations, le service des Ressources Humaines (RH) est aujourd’hui dans la mire de plusieurs réflexions, dont celle présentée par le professeur Jean Weidmann. Que font les RH à part gérer le processus de la paie et les contrats d’embauche ? Quelle est la valeur ajoutée de ce service ? Voilà des questions auxquelles la direction de l’ordre des conseillers en ressources humaines offre bien des réponses. Le débat est ouvert !

Avons-nous besoin du service des ressources humaines ?

Fondé sur l’expérience plutôt que sur des recherches empiriques, cet article propose une réflexion provocatrice sur les services des ressources humaines (RH). On y propose de supprimer ces services dans les organisations et de confier aux gestionnaires la gestion des ressources humaines, car ce sont eux qui gèrent les employés. Cet article vise à ouvrir le débat sur ces éléments des RH : rôle économique et social, pouvoir et valeur ajoutée. Les RH vont-elles disparaître et se transformer en un service de formation externe ?


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Quelle est l’utilité du service des ressources humaines (RH) ? Après tout, ce sont les gestionnaires qui gèrent les ressources humaines, pas les spécialistes des RH. Si la gestion des personnes est effectuée par les gestionnaires, pourquoi aurions-nous besoin d’experts en RH qui, dans un certain sens, ne font que contrôler ce que les autres font ? Depuis les années 1960, la gestion des ressources humaines est de plus en plus vue comme un atout clé pour l’organisation, la connaissance étant un avantage compétitif. Mais la connaissance et les compétences fleurissent-elles par l’entremise d’un service des RH ou résultent-elles d’activités quotidiennes de gestion ? Les RH sont souvent vues comme un service administratif qui exige de remplir des formulaires et autres documents. Quelle est sa valeur ajoutée, alors ? Avons-nous vraiment besoin d’un service interne des ressources humaines ? Les RH jouent-elles un rôle stratégique ? Les RH sont-elles un partenaire, un expert, un agent de changement, un champion des employés ? La gestion des RH (GRH) n’est-elle pas une activité de gestion qui devrait être confiée aux gestionnaires ? Nous proposons ici une brève critique de cette unité administrative.

Un peu d’histoire

Depuis la moitié du siècle dernier, les organisations et les chercheurs ont valorisé les ressources humaines comme un avantage compétitif. Les compétences individuelles et le concept de cœur de compétences ont commencé à émerger comme moyens de survie, d’excellence ou d’efficacité. Plus récemment, les talents ont été désignés comme étant des éléments clés pour la survie des organisations dans un marché compétitif. Nous sommes passés d’une économie basée sur les marchandises à une économie basée sur le savoir. Dans ce sens, les ressources humaines ont été au centre de l’attention. Les organisations ont essayé de gérer les employés aussi bien que possible au moyen de plusieurs paradigmes comme l’autonomisation (ou empowerment), l’auto-efficacité, la théorie de l’équité, la théorie des attentes, la théorie des objectifs, l’identité sociale, l’échange social et, bien sûr, les théories classiques de la motivation. Plus récemment, la compétence et la performance sur le plan collectif ont été définies comme de bons moyens d’obtenir plus de résultats. Le but de toutes ces approches est de garantir l’implication des employés au travail. Avec des résultats mitigés, les chercheurs ont montré que l’accroissement subséquent de la motivation et de l’implication est variable. On a aussi utilisé la théorie de la contingence pour expliquer ces incohérences. Apparemment, les pratiques en RH sont parfois concluantes et d’autres fois pas du tout, car leur effet dépend de l’environnement organisationnel. D’autres auteurs ont montré que le succès des RH repose sur une grappe de pratiques qui, lorsqu’elles sont bien combinées, mènent au succès. Que peut-on conclure de cela ? La gestion des ressources humaines est-elle une science hypothétique ? Ses conditions de succès sont-elles inconnues ? Le problème se trouverait-il ailleurs ? Voyons quelques pistes d’explications pour ces résultats contradictoires.


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Que font les RH ?

Hormis le recrutement, la gestion des conflits et parfois la formation, le personnel est géré par les gestionnaires. Le travail quotidien est organisé et contrôlé par les dirigeants, parfois par les équipes elles-mêmes. Le service des RH est un partenaire qui assure la cohérence des pratiques et qui traite certaines décisions administratives, mais il ne procède pas à la gestion des employés au jour le jour. C’est peut-être pour ces raisons que son rôle est ambigu.

Les RH aident les gestionnaires à recruter en rédigeant les offres d’emploi et en se chargeant de la présélection des candidats selon le profil du poste. Elles s’occupent de l’organisation des entretiens et y participent, notamment en posant des questions relatives aux RH (personnalité, motivation ou compétences organisationnelles, par exemple). Les RH préparent les questions d’entrevue ou les proposent au préalable aux gestionnaires. Une fois recrutés, les nouveaux employés bénéficient du soutien des RH pour les questions relatives à leur contrat d’embauche et à leur intégration. Par la suite, ils passeront presque tout leur temps en entreprise avec leur gestionnaire, qui établit (seul ou conjointement) et contrôle leurs objectifs de travail. Les employés voient aussi les RH lors d’une promotion, lorsque survient un conflit, parfois pour leur formation et pour leur plan de développement, lors d’une négociation salariale et à la fin de leur relation de travail.

Depuis une dizaine d’années, de plus en plus d’auteurs font référence aux RH stratégiques, le concept étant de transposer la stratégie organisationnelle en compétences spécifiques. En vertu de ce concept, le rôle des RH consiste à apporter des compétences à l’organisation, que ce soit de l’intérieur ou de l’extérieur. Dans le cadre de cet exercice, les RH agissent comme un collecteur d’information en demandant aux gestionnaires comment et où trouver les compétences essentielles. Il arrive aussi que les RH cherchent un consultant externe lorsque le personnel doit être formé. S’il s’agit de recruter, les RH demandent aux gestionnaires de leur indiquer le profil du candidat idéal et l’endroit où on pourrait le dénicher. Apparemment, les RH ne semblent pas connaître suffisamment l’entreprise et l’environnement (organisationnel, professionnel, etc.) pour faire cela elles-mêmes.

Il en va de même dans le cas de la gestion de la performance, pour laquelle les RH agissent comme un système de collecte d’information en s’assurant que les objectifs soient définis à temps, parfois en les critiquant mais souvent avec difficulté (comment les RH peuvent-elles juger d’objectifs techniques ?), et en révisant les appréciations de rendement afin d’y déceler d’éventuelles incohérences. Les RH récoltent aussi les évaluations afin d’avoir une vision globale de la performance au sein de l’organisation et d’accorder les bonis éventuels. Parfois, les RH contraignent les gestionnaires à allouer des notes d’appréciation de la performance en fonction du budget disposible.

En matière de formation, les besoins sont exprimés par les gestionnaires et par les employés puis relayés aux RH, qui vont chercher des consultants experts dans le domaine concerné pour fournir le programme. En effet, les experts en RH eux-mêmes offrent rarement des sessions de formation.

Au vu de ce qui précède, on peut conclure que les RH ne sont qu’un simple outil de transmission de l’information. Les RH sont toutefois responsables du processus de la paie (parfois externalisée), de l’administration des avantages sociaux, des données sur les employés et du contrôle de la présence au travail. Les RH assurent aussi un climat social favorable ainsi que des politiques de santé et sécurité au travail. Elles sont responsables de la rédaction des contrats de travail. Mais à part ce rôle plutôt administratif, les RH aident-elles vraiment en matière de gestion des ressources humaines ? Les experts en RH prennent-ils réellement des décisions en matière de recrutement, de promotion et de formation ou ne font-ils qu’apporter de l’information pour les prises de décision des gestionnaires ?

Ayant travaillé pendant 20 ans dans différents services des ressources humaines et étant maintenant professeur auprès de nombreux gestionnaires ou experts en RH (mes étudiants), je constate aujourd’hui que les RH ne décident pas de grand-chose. Les RH fournissent des informations aux décideurs (les gestionnaires) mais ne décident pas. Autrement dit, les RH n’ont pas la possibilité de prendre des décisions différentes de celles des gestionnaires. Les recrutements sont du ressort des gestionnaires. Lorsque les RH bloquent une décision d’embauche, le niveau supérieur prend la décision finale, souvent en faveur du gestionnaire. La gestion de la performance est l’apanage des gestionnaires, les seuls à connaître la nature et les exigences de chaque type de travail effectué par les membres de leur équipe. Les besoins de formation techniques sont décrits par les gestionnaires ou par les employés tandis que la formation elle-même est souvent proposée par un expert technique qui provient de leurs réseaux respectifs. Certes, la formation en management ou en processus administratifs reste du ressort des RH, mais il s’agit là de domaines de gestion ou d’administration, pas d’expertise spécifique.

La complexité et la flexibilité des organisations, de même que les défis d’aujourd’hui, remettent en question le rôle et la légitimité des RH. Si c’est le cas, alors pourquoi devrions-nous engager des experts en ressources humaines qui pourraient être remplacés par du personnel administratif ? Si les gestionnaires décident, pourquoi ne pas les rendre eux-mêmes experts en GRH et leur demander d’assumer cette responsabilité dans le cadre de leurs fonctions, tout comme ils se chargent déjà des finances et d’autres ressources ?

Partenariat RH

De plus en plus d’organisations emploient des partenaires d’affaires en RH (human resources business partners) qui travaillent au sein de leurs divers services afin de transposer leurs objectifs en actions concrètes (recrutement, promotions, formation et développement, principalement). Il s’agit en fait d’avoir des experts en RH plus professionnels, plus proches des activités quotidiennes et des personnes afin de fournir les meilleures solutions stratégiques possible. Malheureusement, beaucoup d’entre eux peinent à le faire puisqu’ils sont submergés par des tâches administratives quotidiennes liées par exemple aux budgets des postes, à la procédure de médiation de conflit (souvent gérée, en fin de compte, par un coach externe) ou à la transmission d’information de toute sorte, tant aux gestionnaires qu’à la direction des RH. Malgré la claire intention de professionnaliser les RH, les décisions continuent d’être prises par des gestionnaires qui, eux-mêmes, se plaignent d’un manque de soutien de la part de ce service. Alors, sommes-nous en train de poursuivre un objectif impossible à atteindre ? Peut-être que oui. L’observation du fonctionnement des RH amène à constater que ce n’est pas ce service qui apporte une expertise spécifique mais bien des consultants externes, qui forment et résolvent des problèmes trop techniques ou trop personnels pour que des membres du personnel de l’organisation s’en chargent. Même avec une structure de partenaires d’affaires, les RH ne parviennent pas à fournir une valeur ajoutée évidente. Au contraire, les gestionnaires les critiquent : à leurs yeux, ils constituent une perte de temps, un goulot d’étranglement administratif pour lequel on doit remplir des papiers dont l’utilité est mal connue. Si les RH se limitent à recueillir, à transmettre et à classer des informations, quelle est leur valeur ajoutée ? Pourquoi intégrer une structure supplémentaire à des organisations déjà complexes ? Les gestionnaires ne pourraient-ils pas remplir ce rôle eux-mêmes ?

Qu’en est-il de l’équité ?

Beaucoup affirmeront que les RH sont nécessaires pour assurer l’équité et la cohérence en matière de gestion du personnel. Mais faut-il vraiment rechercher l’équité ? Que nous le voulions ou non, les gestionnaires sont payés pour prendre des décisions destinées à répondre à des impératifs commerciaux qui sont parfois, voire souvent, contradictoires par rapport aux principes d’équité. Combien de services ou d’unités administratives ont plus de ressources que les autres simplement parce que quelques membres de la direction générale les considèrent comme des éléments clés ? Lorsqu’un impératif commercial est confronté à un principe, lequel a le dessus sur l’autre ? La plupart du temps, les impératifs d’affaires l’emportent. Les RH ne parviennent pas à assurer l’équité et l’uniformité des pratiques, car ce sont davantage les affaires que les principes qui déterminent les décisions organisationnelles.

Et d’ailleurs, l’équité compte-t-elle vraiment ? Pourquoi vouloir assurer l’équité dans un monde injuste ? Nous acceptons tous (parfois avec difficulté, et à juste titre) qu’il y ait des différences dans la société, que certaines personnes aient des possibilités que d’autres n’ont pas. Pourquoi alors voudrions-nous imposer l’équité dans les organisations ? N’est-ce pas un leurre de croire que celles-ci peuvent réaliser ce que la société n’arrive pas à faire ?

Bien des gens prétendent que les RH doivent être maintenues dans les organisations afin de faire contrepoids à la puissance de quelques personnes au sommet de la hiérarchie. D’autres affirment que les organisations ont une responsabilité sociale, qu’elles doivent être un exemple et que les préférences et les décisions injustifiées ne peuvent pas être tolérées. Bien sûr, ils ont raison. Les organisations ont la responsabilité de concevoir et d’adopter des modèles sociaux exemplaires. Mais le service des RH apporte-t-il quelque chose dans ce domaine ? La culture organisationnelle provient-elle vraiment des experts en RH, c’est-à-dire quelques personnes parmi de nombreux autres employés ? Ne serait-il pas plus efficace de former les cadres et les employés en matière de responsabilités sociales, de valeurs organisationnelles et de comportements à adopter au lieu d’embaucher des experts en ressources humaines qui le feront pour eux ? La question est posée. Ne serait-il pas plus efficace de sensibiliser les gestionnaires et les employés avec de la formation externe afin d’instaurer une culture appropriée ? Les RH ne seraient-elles pas plus utiles en tant que service externe de formation ?

Allons-nous supprimer les RH ?

Si les RH servent avant tout à transmettre de l’information et si la gestion des employés est effectuée par les gestionnaires, on est en droit de s’interroger sur l’utilité d’un service des ressources humaines dans une organisation. Si l’équité ne mène pas forcément à la motivation et à l’implication des employés (une affirmation qui peut être remise en question et longuement discutée) et si la performance résulte de la gestion de proximité ainsi que du dialogue au quotidien, pourquoi ne pas admettre que les gestionnaires de ressources humaines sont les gestionnaires eux-mêmes ? Pourquoi ne pas inclure ce rôle dans leurs fonctions ?

La gestion des ressources humaines est de la gestion. Il est peut-être temps de former les gestionnaires aux principes et aux processus des RH afin qu’ils soient des gestionnaires à part entière, tout comme ils gèrent leurs budgets et leurs projets. Il est peut-être temps de supprimer les experts en RH qui, en quelque sorte, ne sont pas des experts en quoi que ce soit mais plutôt des gestionnaires de processus administratifs. Les RH pourraient être intégrées dans une division administrative pour le traitement de l’information, les contrats, les contrôles du règlement et autres fonctions génériques. Il est peut-être temps de demander aux gestionnaires de gérer ce qui constitue (souvent) leur principale ressource : les gens. Il est peut-être temps de voir la gestion non seulement comme une affaire de finance ou de produits mais de plus en plus comme une question de personnes. De ce point de vue, l’emploi d’experts en RH ne semble pas avoir beaucoup de sens.

Les gestionnaires pourraient ne pas aimer cette idée, car ils en ont déjà beaucoup à faire. Il est peut-être temps, aussi, de définir des carrières techniques et managériales en reconnaissant que chacune d’elles, bien qu’aussi importante que l’autre, est distincte. Dans ce sens, les organisations pourraient envisager de mettre sur pied deux types de parcours professionnel : un parcours technique et un parcours de coordination.

Conclusion

Les pratiques en RH ne sont pas universellement efficaces et c’est ce que la théorie de la contingence nous montre. Cette incohérence dans l’impact de la fonction RH est peut-être due au fait que la gestion des ressources humaines ne constitue pas une expertise en tant que telle et qu’elle ne peut donc pas être reproduite dans des environnements différents. Les RH sont un outil (très utile) de transmission d’information, qui varie selon les cultures et les pratiques organisationnelles. Toutefois, les services des RH n’apportent pas d’expertise claire et pourraient être supprimés. Il est peut-être temps de confier aux gestionnaires un de leurs rôles clés : la gestion des personnes, parallèlement à la gestion des finances et des produits. Peut-être que le dernier mandat des RH sera de les former à faire cela.

Une perception stéréotypée et réductrice de la fonction RH

Dans son texte « Avons-nous besoin du service des ressources humaines ? », Jean Weidmann suggère de supprimer la fonction « ressources humaines » afin d’en remettre la responsabilité directe aux gestionnaires. Selon lui, le fait que les travailleurs soient gérés au quotidien par leurs gestionnaires fait en sorte que l’expertise des professionnels en RH est superflue au sein des organisations. Ce serait une énorme erreur. 

Une telle proposition ne peut être que le reflet d’une mauvaise compréhension des enjeux d’affaires des organisations et du rôle d’un gestionnaire d’équipe. Guerre des talents, gestion de la diversité et du changement ainsi qu’organisation du travail ne sont que quelques exemples des défis posés aux entreprises d’aujourd’hui. À une époque où le principal avantage concurrentiel des entreprises repose sur la compétence de leurs employés, il n’est pas étonnant que, dans un sondage CROP réalisé en 2011, 60 % des dirigeants d’entreprises québécoises de 200 employés et plus aient affirmé que la gestion des ressources humaines (GRH) constitue leur enjeu le plus crucial.

Il y a aussi méconnaissance du rôle opérationnel et technique du gestionnaire, qui n’a rien à voir avec la fonction de gestion du capital humain, beaucoup plus vaste et éminemment stratégique. Le Guide des compétences des CRHA et des CRIA témoigne de ce savoir-faire unique des professionnels RH, essentiel à la fois pour conseiller la direction et pour servir de mentors aux gestionnaires. S’il est vrai et normal que les gestionnaires gèrent au quotidien leurs ressources humaines, il est aussi vrai que la gestion stratégique des ressources humaines est du ressort des professionnels en ressources humaines.

Une fonction stratégique

La perception de M. Weidmann est celle d’une fonction RH effectuant des opérations administratives quotidiennes. Ainsi, il limite la rémunération globale au simple « processus de la paie », une tâche qui ne relève pas de la fonction RH. Il confine de ce fait le professionnel RH dans un rôle purement administratif, incapable qu’il serait de saisir les besoins d’affaires de son organisation et d’y apporter une contribution stratégique. De fait, quand on parle de rémunération globale, on entend les stratégies et les programmes qui déterminent les formes de rémunération directe et indirecte, équitable et compétitive, notamment le salaire, les avantages sociaux et les avantages non pécuniaires susceptibles d’attirer, de retenir et de motiver les employés.

M. Weidmann semble aussi cantonner la fonction RH à des activités telles que le recrutement, la gestion de la performance et la formation. Non seulement ces activités sont plus stratégiques qu’il le croit mais la gestion des RH ne s’y limite pas. En réalité, la profession a changé rapidement au cours des dernières années. On a vu l’apparition d’une spécialisation répondant aux transformations des organisations. Le développement organisationnel, les relations de travail, la rémunération globale ainsi que la santé et la sécurité du travail (SST) sont quelques exemples de domaines où l’entreprise a besoin des experts RH. On ne peut pas demander aux gestionnaires de s’en charger. Ils ne savent pas comment faire, ne s’y intéressent souvent même pas et comptent sur les professionnels RH à cet égard.

Bien sûr, la fonction RH peut s’améliorer, et je suis convaincue qu’elle le doit afin de jouer pleinement le rôle que les dirigeants attendent d’elle. Toutefois, l’idée de supprimer une fonction stratégique pour nos entreprises en raison d’une contribution qui, parfois, n’est pas à la hauteur des attentes revient à jeter le bébé avec l’eau du bain. Et pour ce qui est de confier une telle responsabilité aux gestionnaires de proximité, alors là, j’avoue que ça m’inquiète ! Les gestionnaires n’ont tout simplement pas la formation requise, tout compétents qu’ils soient dans leurs domaines respectifs.

En se privant de l’expertise des professionnels RH, les chefs de direction sacrifieraient un de leurs principaux atouts pour la survie et pour la croissance de leur organisation.

Une influence concrète de la fonction RH

À titre de directrice au sein de l’Ordre des conseillers en ressources humaines agréés, mes contacts réguliers, tant avec les responsables RH qu’avec les chefs de direction, m’ont permis de constater l’importance de notre profession dans la mesure où les chefs de direction expriment clairement leurs attentes et où les responsables RH délaissent l’administration au profit du stratégique.

M. Weidmann dit lui-même que ses constats sont fondés sur son expérience personnelle et non pas sur des recherches empiriques. Je me dois de citer des contre-exemples illustrant la contribution d’équipes RH qui ont amené ces activités à un niveau stratégique et généré une plus-value indéniable pour leur organisation.

Ainsi, M. Weidmann parle beaucoup de recrutement, mais affirmer que le rôle du professionnel RH se réduit à demander au gestionnaire le profil du candidat qu’il recherche, à rédiger l’annonce, à trier les CV et à préparer les questions d’entrevue pour le gestionnaire expose une vision obsolète de la fonction. L’exemple de la Société de transport de Montréal (STM) en témoigne éloquemment.

Dans un récent colloque de l’Ordre des conseillers en ressources humaines agréés, j’ai entendu Yves Devin, fellow CRHA, expliquer comment l’équipe RH de la STM avait complètement changé la façon de recruter alors qu’il était directeur général de l’organisation. Au moment où la STM était aux prises avec un enjeu majeur de service à la clientèle, l’équipe RH a su utiliser sa compréhension de l’industrie, de l’entreprise et des attentes des clients pour réinventer le profil de compétences à la base des activités de recrutement. Pour faire face à cet enjeu, plutôt que de sélectionner des candidats ayant de l’expérience en conduite de gros véhicules, elle a favorisé l’embauche d’agents de service à la clientèle ayant comme principale caractéristique d’être polis et courtois. On se disait qu’il serait plus facile de développer les compétences techniques des candidats après leur embauche. Cette nouvelle façon de recruter a permis à la STM de battre ses records de satisfaction de la clientèle et de remporter le prix de la meilleure société de transport en Amérique du Nord décerné par l’American Public Transportation Association.

La gestion de la performance est un autre exemple qui illustre l’ampleur de la contribution proactive que peut apporter la fonction RH. Au-delà du soutien administratif et de la collecte des données, l’équipe de professionnels RH de Vidéotron a transformé un simple exercice opérationnel annuel en véritable système permettant d’assurer la pérennité de l’organisation en matière de talents. En effet, l’équipe RH a travaillé de concert avec les gestionnaires afin de créer une matrice permettant de déterminer les postes clés, les postes à risque, les talents et leur potentiel. Grâce à cette initiative, les dirigeants de Vidéotron sont maintenant en mesure de « détecter les risques en amont et de prendre les moyens pour les prévenir »1.

J’ajouterai que le magazine Effectif, publié par l’Ordre des CRHA, regorge d’exemples d’entreprises qui affirment haut et fort l’effet de leur fonction RH sur la pérennité de leur organisation.

Conclusion

L’article de Jean Weidmann est provocateur, ce qu’il admet. Il aurait pu pousser son raisonnement plus loin en affirmant que, s’il y a quelqu’un pour faire la facturation, la perception et les paiements au sein l’entreprise, on n’a peut-être pas besoin d’un directeur des finances. Mais il incite ainsi la fonction RH à prendre conscience d’un problème de crédibilité dans certains milieux. En effet, il ne suffit pas de créer de la valeur au sein de son entreprise : il faut pouvoir en faire la démonstration. C’est sans doute un point faible de la fonction.

Par ailleurs, il se peut que la fonction RH ne réponde pas encore pleinement aux besoins des entreprises ni aux attentes des dirigeants. Cela est vrai pour toutes les fonctions de l’entreprise. Il est clair que la fonction RH a encore du chemin à parcourir avant d’occuper la place qu’elle mérite. Mais est-ce un motif pour l’éliminer ? Sûrement pas !

Avons-nous besoin des RH ? La réponse est oui. Sans conteste. Considérant que l’expertise RH est en adéquation avec le principal enjeu auquel les dirigeants devront faire face dans un avenir rapproché, j’ai la profonde conviction que cette profession joue aujourd’hui un rôle important qui sera appelé à s’accroître dans les prochaines années.


Note

1. Line Duranleau, CRHA, « La mesure : incontournable chez Vidéotron », Effectif, vol. 18 n°2, avril-mai 2015, p.33.