Les écoles de gestion doivent-elles instruire ou éduquer? Question classique, toujours renouvelée, jamais épuisée.

Dans ce numéro consacré au sport et au management, je saisis l’occasion de revisiter la question à la lumière de l’expérience que j’ai vécue dans le cadre du Parcours Leadership Carabins.

Robert Dutton

Robert Dutton est professeur associé à HEC Montréal.

Ce programme complémentaire au cursus universitaire vise exclusivement les quelque 500 étudiants-athlètes du programme de sport d’excellence de l’Université de Montréal et de ses écoles affiliées (Polytechnique et HEC Montréal). Quel rapport, me direz-vous? J’y arrive.

Savoir-être autant que savoir-faire

Observez les missions que se sont données les écoles de gestion en Amérique du Nord et en Europe. De la Harvard Business School à la London School of Economics, en passant par HEC Montréal et la Faculté Desautels de l’Université McGill, on affirme former des leaders, voire des leaders qui changent le monde.

Au fil d’une carrière de 45 ans dans le monde de la gestion, j’ai appris une vérité toute simple : on est un leader par ce qu’on est, bien plus que par ce qu’on sait.

Par conséquent, toute école qui prétend «former des leaders» devrait se préoccuper de ce que les étudiants sont et deviennent, autant que de ce qu’ils savent et apprennent. Le savoir-être autant que les savoirs.

Cette vérité, d’ailleurs, ne se limite pas à la formation des leaders. Elle s’applique à toutes les personnes qui rejoignent le monde du travail. Une étude réalisée par la Banque Royale du Canada en 2018[1] révèle que les employeurs accordent aux attitudes et aux aptitudes – ce qu’on appelle communément le savoir-être – autant d’importance qu’aux savoirs et au savoir-faire. L’étude conclut notamment sur le fait que le système d’éducation, les programmes de formation et les initiatives sur le marché du travail ne sont pas conçus, au Canada, pour aider les jeunes à réussir dans cette nouvelle économie fondée sur les aptitudes. «Les compétences comme la sensibilité aux autres cultures, la langue et l’adaptabilité, ou “savoir-être”, seront recherchées», y mentionne-t-on. Développer les savoirs, c’est l’instruction. Développer le savoir-être en plus, c’est l’éducation.

Le Parcours Leadership Carabins

Les Carabins sont ces étudiants-athlètes qui portent les couleurs de l’Université de Montréal dans une vingtaine de disciplines sportives, individuelles ou collectives. Au cours des dernières décennies, on a appris que les athlètes de pointe vivaient des difficultés dans leur transition de carrière, confrontés alors à une espèce de vide immense. Plusieurs de nos Carabins font face à de tels enjeux dès la fin de leurs études, d’une façon bien plus prononcée que les autres étudiants. Ils sont parfois désillusionnés par ce qu’ils trouvent dans le monde du travail : leur patron ne se comporte pas en coach ; leurs collègues ne jouent pas toujours dans la même équipe qu’eux.

C’est pourquoi nous avons lancé, en 2018, le Parcours Leadership Carabins. L’objectif de ce programme est de soutenir celles et ceux qui le souhaitent dans l’exploitation de leur plein potentiel en tant que personne, en tant qu’athlète et en tant que leader. Dans ce parcours structuré s’échelonnant sur 18 mois, les étudiants-athlètes ont accès à des spécialistes et à des mentors provenant de divers horizons : d’anciens Carabins, des entrepreneurs, des gestionnaires, des sportifs de haut niveau et des artistes. Ils y acquièrent non seulement des savoirs, mais surtout les compétences liées au savoir-être : connaissance de soi, leadership éthique et durable, leadership d’impact, etc.

En pratiquant un sport d’élite, les Carabins cultivent la discipline, l’effort, la persévérance, l’esprit d’équipe et la solidarité. Ce sont toutes des qualités que les entreprises recherchent chez les collaborateurs, notamment chez les leaders.

Grâce au sport et grâce au Parcours Leadership Carabins, les étudiants-athlètes de l’Université de Montréal ont droit à l’éducation en plus de l’instruction. À en juger par ce que je vois à HEC Montréal et ce que j’entends au sujet d’autres écoles de gestion, les autres étudiants n’ont souvent droit qu’à l’instruction.

L’éducation, un droit pour tous?

Alors, je me dis : pourquoi réserver l’éducation à une élite d’étudiants-athlètes? Pourquoi l’ensemble des étudiants n’ont-ils pas l’occasion d’être appuyés dans le développement de leur savoir-être? Je ne préconise pas que tous s’engagent dans un parcours parallèle à leur cursus universitaire. Tous n’ont pas les mêmes besoins, ni les mêmes aptitudes, ni la même motivation que les étudiants-athlètes de pointe. Mais tous pourraient profiter de l’effort supplémentaire que déploieraient les écoles de gestion, voire les universités en général, pour que chaque personne réalise des progrès en matière de savoir-être, au même titre qu’elle bonifie ses savoirs et qu’elle acquiert un savoir-faire.

Les stages en entreprise sont certes un moyen classique de développer ce savoir-être. Certaines écoles de gestion (et certains établissements spécialisés dans d’autres disciplines) en offrent, et même dans des programmes d’études du premier cycle. Mais il existe d’autres moyens.

A minima, il semblerait normal de hausser les exigences en matière de conduite en classe, notamment en réclamant l’assiduité et la ponctualité (des qualités surannées, mais combien essentielles), et aussi en interdisant d’utiliser pendant les cours des écrans non pertinents, qui distraient non seulement leur usager, mais aussi leurs voisins et le professeur.

Je sais, on dira que je suis un vieux rétrograde nostalgique. Je crois, au contraire, que je suis en avance. Les entreprises reviennent à des exigences de savoir-être. Il n’est pas loin le temps où les écoles de gestion, et les écoles tout court, seront évaluées aussi sur cette base.

Article publié dans l'édition Été 2022 de Gestion


Note

[1] «Humains recherchés : facteurs de réussite pour les jeunes Canadiens à l’ère des grandes perturbations» (document en ligne), Banque Royale du Canada, 2018, 44 pages.