Dans cet écosystème bouillonnant et si unique qu’est l’industrie du sport, une multitude d’acteurs passionnés évoluent, telles autant d’escouades indépendantes. De toute évidence, dans ce milieu complexe où les ressources sont limitées, la professionnalisation s’impose.

Les organisations sportives, comme bien d’autres, ont été frappées de plein fouet par la pandémie de COVID-19, qui a forcé l’arrêt de nombreuses activités entre 2020 et 2022. La crise a frappé fort, très fort même! Une étude réalisée en collaboration avec Richard Legendre, professeur associé au Département de management de HEC Montréal, et l’équipe du Pôle sports HEC Montréal[1] indiquait un «tremblement de terre» évalué à 8 sur 10 sur l’échelle des bouleversements[2].

Cette crise a cependant suscité une certaine prise de conscience collective. De leur propre aveu, les intervenants du milieu ont reconnu des lacunes importantes en matière de connaissances et de compétences en gestion. L’industrie a exprimé son besoin criant pour une professionnalisation accrue.

Une autre étude a alors été réalisée afin de poser un meilleur diagnostic de la situation actuelle et de proposer des pistes d’action que le gouvernement pourrait mettre de l’avant pour soutenir ce mouvement de professionnalisation[3]. Ce rapport, présenté à la communauté sportive en octobre 2021, trace le portrait d’un milieu pluriel, effervescent et complexe. Conclusion importante de cette recherche : le retard qu’accuse cette industrie quant à sa professionnalisation sur le plan de la gestion ne résulte pas d’un manque de volonté des individus qui la composent. Au contraire, 98% des gestionnaires qui ont participé à notre étude indiquent avoir de l’appétit pour apprendre et se développer.

Cependant, professionnaliser l’industrie du sport n’est pas une mince tâche. Des éléments tels que son évolution historique, ses valeurs, sa culture et plusieurs choix politiques faits par le passé rendent le défi particulièrement difficile. La structure fortement décentralisée, fragmentée en un nombre incalculable d’acteurs et d’organisations et où les ressources sont distribuées de façon inégale, complique également la chose.

Afin de mieux comprendre la situation, il devient alors important de s’intéresser à cet univers particulier, constitué d’organisations qui doivent composer avec des logiques de gestion souvent propres au secteur et parfois particulièrement délicates, notamment en ce qui a trait à la supervision des bénévoles et à l’atteinte d’un équilibre entre performance de gestion et performance sportive.

Dossier - Sport et management : besoin d'une dose d'adrénaline?

Une industrie complexe et mésestimée

L’industrie du sport est fortement méconnue et généralement sous-estimée. Contrairement à la croyance populaire, elle ne se résume pas à ces deux entités que sont le sport amateur et le sport professionnel. En réalité, cette conception erronée brouille la compréhension de cet univers. L’industrie du sport forme plutôt un large continuum couvrant une trentaine de secteurs économiques qui tournent autour de deux principales logiques d’affaires : le sport-action et le sport-spectacle. Ces logiques cohabitent continuellement, se complètent et se nourrissent l’une l’autre, mais elles s’affrontent aussi parfois, créant des tensions et ralentissant le développement de l’industrie dans son ensemble.

Le sport-action

Chaque fois qu’un individu découvre un sport et le pratique, il contribue à l’économie du sport. En effet, quel que soit le sport choisi, qu’il s’agisse d’une pratique libre ou encadrée, que cette personne en soit à la phase découverte ou élite, des installations sportives, des équipements et des vêtements adaptés sont alors nécessaires, ce qui donne lieu à la création d’entreprises pour répondre à ces besoins.

Puis, afin de bonifier l’expérience sportive, ces nouvelles recrues s’inscrivent à des clubs, à des activités scolaires et municipales ou à des événements sportifs qui mobilisent également un nombre important d’organisations. Ensuite, plus il évolue, plus le sport-action fait appel à des organisations qui favorisent la progression des talents. Coachs, kinésiologues, psychologues sportifs et autres spécialistes de la performance font alors leur entrée en scène afin d’épauler les athlètes qui souhaitent s’illustrer dans le cadre de compétitions qui sont elles-mêmes soutenues et encadrées par d’autres organisations comme les fédérations sportives.

Un large écosystème est alors mis en place où chaque sport évolue dans un contexte et un marché qui lui sont propres. Une fois réunis, ces différents sports constituent les fondements de l’industrie sportive.

Le sport-spectacle

Le sport-spectacle cherche à mettre en scène les performances sportives pour divertir un public enthousiaste, parfois même fanatique. D’autres acteurs se déploient alors pour répondre au besoin de divertissement des spectateurs : équipes et ligues professionnelles, organisateurs de grands événements sportifs, sites de vente et de revente de billets, médias sportifs et droits de diffusion, commandites et publicité, agences d’athlètes, etc.

Le sport-spectacle aime en mettre plein la vue. Afin de bonifier la «fan expérience», de nombreuses organisations se joignent à l’industrie pour offrir des produits et des services connexes : produits dérivés, paris sportifs, Fantasy Sports, bars et restaurants sportifs, tourisme sportif...

Préserver l’intégrité du sport est indispensable au sport-spectacle, car les spectateurs perdent vite leur intérêt lorsqu’ils croient que la compétition ne se déroule pas de façon honnête. Cela fait ressortir une autre catégorie d’acteurs typiques de l’industrie sportive qui sont chargés de réglementer, de surveiller, de juger : arbitres, agences antidopage, tribunal sportif.

Ces deux logiques s’alimentent l’une l’autre : d’une part, plus le sport-action se développe, plus le bassin d’athlètes de haut niveau à recruter s’élargit et meilleure sera la qualité du sport-spectacle. D’autre part, plus le sport-spectacle impressionne et suscite de l’émotion, plus les activités sportives gagnent en popularité, inspirant autant de jeunes et de moins jeunes à les pratiquer, ce qui nourrira le sport-action.

Parfois, ces deux logiques s’entremêlent au point où nous ne voyons plus la différence. C’est notamment le cas lors des Jeux olympiques, où tant le sport-action que le sport-spectacle sont au rendez-vous. Ces deux logiques d’affaires cohabitent en permanence et ne peuvent être dissociées l’une de l’autre pour vraiment bien comprendre cette industrie.

Des défis à relever

Selon les résultats d’une enquête menée auprès des directeurs généraux de fédérations sportives québécoises, seulement 8% de ces derniers considèrent que l’industrie du sport est suffisamment reconnue et valorisée[4]. Il s’agit là d’un résultat préoccupant qui a inévitablement des répercussions sur les organisations et sur leurs gestionnaires. Dans ce contexte, comment rester motivé et impliqué lorsqu’on sent que son travail n’est pas reconnu ou valorisé?

Ce résultat est le fruit de l’absence d’une véritable culture en matière de professionnalisation de la gestion dans les organisations sportives. En effet, malgré la volonté des individus de se professionnaliser, force est d’admettre que non seulement les investissements publics, mais aussi les budgets octroyés au développement des talents et les investissements faits en R-D dans les organisations ne sont pas à la hauteur des besoins réels de cette industrie. Ce constat est d’autant plus étonnant que le sport occupe une place importante dans la vie de presque toutes les familles québécoises, en plus d’être un vecteur important qui favorise la santé physique, la santé mentale et l’inclusion sociale.

Une situation néfaste s’installe. Dans cette industrie fortement décentralisée, les ressources sont souvent distribuées de façon inégale. La grande majorité des organisations souffre alors de sous-financement, ce qui a un impact direct sur la professionnalisation du sport : comme elles sont sous-financées, ces organisations n’ont pas les moyens d’embaucher ou de payer adéquatement les talents nécessaires pour assurer leur développement et leur pérennité financière ; dépourvues de ces talents, elles peinent à se réinventer et à innover au même rythme que les organisations issues d’autres industries. Ainsi privée des ressources nécessaires pour attirer les meilleurs candidats ou pour investir dans des programmes de développement des gestionnaires en place, l’industrie se voit forcée d’exploiter d’autres vecteurs d’attraction et de rétention. La plupart du temps, c’est la passion pour le sport qui réussit à attirer les irréductibles, qui travaillent alors bénévolement ou qui sont sous-payés.

Pourtant, aussi forte soit-elle, la passion ne peut garantir le niveau de compétence en ce qui a trait aux défis à relever sur le plan de la gestion. Confrontés à cette réalité, nombre de clubs et de ligues n’arrivent pas à s’extirper de cette spirale dans laquelle la maîtrise de réelles aptitudes en gestion semble hors d’atteinte.

Vers une professionnalisation de la gestion du sport

Professionnaliser la gestion du sport, c’est chercher à atteindre une meilleure performance dans les pratiques de gestion au sein des organisations sportives. Pour permettre l’émergence d’une véritable professionnalisation, il faut donc intervenir à tous les niveaux et adopter une stratégie globale. Autant il est important de miser sur le développement des individus, autant il est primordial d’accompagner les organisations et le secteur dans son ensemble pour leur permettre de revoir leurs pratiques afin que des changements s’opèrent.

Plusieurs leviers qui contribuent à la professionnalisation doivent donc être activés simultanément. Certes, il est impératif de permettre un apprentissage qui passe par la formation et le développement de talents. Mais encore faut-il que des dispositions soient mises en place pour favoriser l’atteinte de l’excellence. Ainsi, l’identification de normes et de cibles de qualité ainsi que l’instauration de pratiques permettant une meilleure reconnaissance et une plus grande valorisation du métier de gestionnaire sportif sont des objectifs qui doivent demeurer au cœur des actions qui sont menées.

Sur cette voie de la professionnalisation, il importe de se rappeler les diverses manières d’apprendre, de reconnaître et de valoriser un métier. Bien sûr, les universités jouent un rôle important dans la professionnalisation de la gestion du sport. Grâce aux programmes de formation adaptés au milieu qu’elles offrent et à la réalisation de projets de recherche permettant d’enrichir les connaissances qu’elles dispensent, elles peuvent contribuer aussi bien à l’apprentissage et à l’identification de normes qu’à la reconnaissance et à la valorisation de la gestion dans le monde du sport.

Cependant, il ne faut pas négliger le rôle que doivent jouer les acteurs de l’industrie eux-mêmes. La professionnalisation passe par le développement d’une culture qui favorise l’amélioration continue et l’innovation. Les pratiques : collaboration, apprentissage par les pairs, relations de proximité avec les universités et les centres de recherche...

Heureusement, des solutions existent et l’industrie semble plus que jamais prête à se donner les moyens d’atteindre son plein potentiel. Le virage vers la professionnalisation est donc entamé.

 

Article publié dans l'édition Été 2022 de Gestion


Références

[1] Créé en octobre 2019, tout juste avant la crise de la COVID-19, le Pôle sports HEC Montréal a pour mission de contribuer à l’essor du milieu sportif québécois en offrant des outils, des connaissances et des occasions de développement des compétences. L’organisme souhaite ainsi devenir le point de jonction entre le milieu sportif et le milieu universitaire. À ce titre, le Pôle sports HEC Montréal met en œuvre des activités de recherche, d’innovation, de formation et de transfert des connaissances.

[2] Brunelle, E., Legendre, R., Ouellette, S., et Rousseau, A., «Enquête sur les impacts de la COVID-19 sur le milieu sportif québécois» (document en ligne), Pôle sports HEC Montréal, 2020, 14 pages.

[3] Brunelle, E., et Legendre, R., «La professionnalisation au service de l’industrie sportive québécoise : constats et recommandations» (document en ligne), Pôle sports HEC Montréal, 2021, 69 pages.

[4] Ibid.