Linda Valade, autrice du livre «J’te vois!», entend sensibiliser le monde du travail à cette forme de violence sans paroles dont on a encore peu conscience. Entretien.

Après une carrière dans le milieu bancaire, Linda Valade fait de la communication non verbale dans le monde des affaires sa spécialisation. Ses interventions sur le terrain l’amènent à s’intéresser à ce qu’elle appelle l’intimidation silencieuse, un phénomène qui passe trop souvent inaperçu. Avec la publication du guide «J’te vois!», la fondatrice de l’Institut VERUM espère conscientiser le milieu des affaires et ainsi faire taire ces comportements qui laissent bien plus de traces qu’on ne le croit. 

Qu’est-ce que l’intimidation silencieuse?

Cela peut se traduire par différents petits gestes, comme lever les yeux au ciel, soupirer, détourner le regard quand une personne parle, pincer les lèvres, regarder quelqu’un de haut ou encore afficher un sourire moqueur. Bien sûr, il peut arriver de réagir négativement à certaines choses, mais l’intimidation silencieuse, c’est un comportement inadéquat, non verbal, qui a pour intention de prendre l’ascendant sur l’autre. Cette attitude fait perdre confiance à la personne qui la subit.

Qu’est-ce qui vous a inspiré l’idée et la thématique du guide «J’te vois»?

Lors de mes formations en entreprise, j’ai remarqué que certaines personnes ne parlaient jamais, qu’on n’avait pas accès à leurs idées, à leurs réflexions. À l’inverse, d’autres prenaient beaucoup de place et se permettaient d’intimider silencieusement leurs collègues en roulant des yeux, en soupirant ou en lançant des moqueries. C’est pourquoi j’ai rapidement commencé à parler d’intimidation silencieuse dans mes interventions, pour faire cesser ces attitudes et avoir accès au potentiel de tout le monde et à leur intelligence collective.

Vous dites qu’il est difficile de se défendre contre l’intimidation silencieuse. Pourquoi?

Si notre interlocuteur lève les yeux au ciel et qu’on lui demande ce qui se passe, il va généralement répondre : «Je n’ai rien dit». Puisqu’il n’a rien dit, on considère qu’il n’a rien fait; il devient donc difficile de se défendre face à cette forme d’intimidation. Autre exemple : si une personne se tourne vers les ressources humaines parce qu’elle ne se sent pas à l’aise avec un de ses collègues en réunion, on lui demandera ce qu’il a dit ou fait. S’il n’a rien dit et qu’il n’a rien fait, les RH  n’interviendront pas.

C’est pourquoi je trouvais important de nommer ce phénomène, ce que personne n’avait fait auparavant. C’est une façon de faire sortir de l’ombre l’intimidation silencieuse. Je voulais aussi proposer des outils aux responsables des ressources humaines et aux gestionnaires de différents milieux pour qu’ils puissent intervenir. Le guide «J’te vois!» permet de nommer, d’identifier, de reconnaître et d’agir sur l’intimidation silencieuse.

Pourquoi est-ce important de s’y intéresser?

Dans le contexte actuel, on parle beaucoup de milieux de travail inclusifs, ouverts et, misant sur l’intelligence collective. S’attaquer à l’intimidation silencieuse s’inscrit tout à fait dans cette démarche. De plus, il faut noter que l’intimidation silencieuse est un signe précurseur d’intimidation verbale et physique. Avant de passer aux actes, l’intimidateur vérifiera par de petits gestes s’il a du pouvoir sur l’autre. Mettre fin à ce genre d’attitude dès le départ permet d’éviter l’escalade.

Cela dit, il est assez rare de se rendre jusqu’à l’intimidation physique dans un cadre professionnel. Il n’en reste pas moins que, comme l’intimidation silencieuse est un phénomène difficile à dénoncer et ces comportements insidieux peuvent se répéter. Quand, tous les jours, une personne voit son collègue rouler des yeux lorsqu’elle parle ou qu’elle est ignorée par ses pairs, cela s’apparente à du harcèlement. Ce qui pousse les gens à se refermer sur eux-mêmes, à demander un congé d’invalidité et, parfois, à quitter leur poste.

Que peut-on faire pour prévenir l’intimidation silencieuse en entreprise et intervenir lorsqu’on y est confronté?

Je pense que cela passe beaucoup par la sensibilisation et la formation. Chaque fois que je parle d’intimidation silencieuse en entreprise, les comportements problématiques cessent tout de suite. C’est instantané parce qu’à partir du moment où on les nomme, on braque les projecteurs dessus et il devient impossible de ne plus les voir. Après, il est plus facile de dire à une personne que son attitude est inacceptable et de lui demander d’arrêter.

En parler permet aussi à l’intimidateur de prendre conscience que son comportement est inadéquat, ce qui est un premier pas vers la résolution. En effet, plusieurs ne réalisent pas les conséquences de leurs actes et agissent ainsi pour obtenir de l’attention. La victime a également la responsabilité de mettre son pied à terre et de relever les gestes qu’elle juge inacceptables. Finalement, les témoins ont aussi le pouvoir d’agir. À partir du moment où ils prennent connaissance du phénomène, ils doivent intervenir. C’est d’ailleurs ce pour quoi que j’ai titré mon livre «J’te vois!».

Quel message aimeriez-vous que les gens retiennent, à la lecture de cet ouvrage?

Je termine souvent mes conférences en disant : «Lorsque deux regards se croisent, c’est l’occasion de créer une nouvelle histoire». À travers un simple regard, je peux vous révéler que je vous aime bien, que je suis en désaccord avec vous, que je suis en colère. C’est ça, le guide «J’te vois!». Le regard qu’on porte sur l’autre a plus de pouvoir qu’on ne le pense, et c’est ce que j’aimerais que les gens retiennent. Je souhaiterais aussi qu’on transmette ce message à la prochaine génération, par une grande campagne de sensibilisation dans les écoles, mais aussi partout ailleurs. À partir du moment où on entend parler d’intimidation silencieuse, on ne peut plus en ignorer l’existence.