Article publié dans l'édition printemps 2015 de Gestion

Au moment où de grandes décisions doivent se prendre en matière d’énergie, un constat navrant s’impose : au pays, les informations sur les systèmes énergétiques sont éparpillées, difficiles d’accès et manquent parfois de cohérence. Ainsi, bien que le Canada soit le cinquième producteur d’énergie au monde, les gouvernements provinciaux et fédéral ne fournissent pas d’accès global et structuré aux données sur l’énergie. Cette situation peut limiter considérablement notre compréhension du secteur, affecter les perceptions et même compromettre la prise de décision sur les enjeux rencontrés. C’est d’ailleurs pour apporter un meilleur éclairage sur ce secteur que la Chaire de gestion du secteur de l’énergie de HEC Montréal lançait en décembre dernier la toute première édition de l’État de l’énergie au Québec.

Pour illustrer ce manque de données stratégiques sur le secteur de l’énergie, rappelons qu’au Québec, la dernière édition de L’énergie au Québec a été publiée par le gouvernement en 2004 et que la mise à jour du volet « Énergie » du document Le Québec statistique date de février 2010. Plus récemment, la Commission sur les enjeux énergétiques du Québec a toutefois proposé un Document de consultation qui faisait la synthèse de l’état du secteur énergétique (2013). Cependant, la situation préoccupe bien davantage au fédéral : les données sont dispersées entre différents ministères et organismes et souffrent d’un manque de rigueur, de suivi et de cohérence, et ce, au point où deux publications de Statistique Canada donnent des chiffres incompatibles entre eux sur les importations de pétrole au Canada.



La publication de l’État de l’énergie au Québec – 20151 arrive donc à point nommé. Destiné tant aux acteurs du milieu qu’à la population, ce bilan annuel rassemble les données les plus récentes et les plus pertinentes sur le secteur de l’énergie. Il propose non seulement une rétrospective des faits saillants qui ont marqué l’année 2014, mais donne aussi un aperçu des dossiers à surveiller en 2015. En primeur, la Chaire de gestion du secteur de l’énergie y intègre un outil novateur qui permet de visualiser l’ensemble du système énergétique québécois et d’en évaluer l’efficacité. Ainsi, en un seul coup d’œil, on peut, pour la toute première fois au Québec, faire rapidement le lien entre les sources d’énergie, leur transformation en différents produits énergétiques et leur consommation pour différents usages (voir le schéma).

Bilan énergétique du Québec, 2012*

Au final, cette analyse conduit à un constat des plus préoccupants : seulement 50 % de l’énergie qui circule dans le système énergétique québécois est utile. Autrement dit, la moitié de l’énergie québécoise n’offre aucune valeur ajoutée à l’économie de cette province. Les Québécois auraient donc grandement avantage à améliorer l’efficacité de leur système énergétique. En bout de piste, une meilleure gestion pourrait même leur permettre de capitaliser les surplus, ce qui représente une excellente perspective en ces temps d’austérité économique.

L’État de l’énergie au Québec – 2015 révèle que le principal handicap des Québécois en matière d’énergie et d’augmentation des émissions de gaz à effet de serre provient du secteur des transports (passagers et marchandises) et non seulement du secteur industriel, comme on pourrait le supposer. Ainsi, près de 40 % de la totalité des pertes énergétiques au Québec résultent des inefficacités liées au système du transport, suivi du secteur industriel (21 %). Toutefois, dans le cas du premier, 75 % de l’énergie est perdue lors de sa consommation, comparativement à 34 % pour le second. Ce bilan montre clairement que le secteur industriel a amélioré ses performances au cours des dernières années, et que le défi québécois en matière de réduction des émissions de gaz à effet de serre relève surtout du secteur des transports, toutes catégories confondues. La contribution de tous les Québécois est donc désormais requise, si cette province veut faire mieux.

Parmi les faits saillants dignes de mention, voici ce que nous apprend ce bilan annuel :
  • En 2012, le secteur des transports (passagers et marchandises) comptait pour 78 % de la consommation totale de produits pétroliers et était responsable d’environ 43 % de toutes les émissions de gaz à effet de serre de la province, alors que les ménages québécois dépensaient directement 35 milliards de dollars dans ce secteur.

  • Entre 1990 et 2011, le parc de véhicules au Québec a augmenté de 41 %, soit trois fois plus que la croissance de la population de la province.

  • En 2013, le Québec comptait 6,19 millions de véhicules en circulation, dont 4,5 millions destinés à la promenade. La SAAQ dénombrait seulement 2 327 véhicules propulsés par l’électricité, ce qui représente moins de 0,04 % du parc des véhicules de promenade de cette province.

  • Au Québec, les ventes d’essence à la pompe pour l’ensemble des stations-service sont passées de 9,8 milliards de dollars en 2008 à 11,9 milliards en 2012 – soit une augmentation de 22 % –, alors que le prix de l’essence ordinaire a connu une hausse de 13 %.

  • En 2013, le pétrole brut importé au Québec provenait principalement de l’Afrique (47 %), de la mer du Nord (12 %), des États-Unis (9 %) et du Mexique (7 %). Les approvisionnements issus de l’Ouest et de l’Est du Canada ne représentaient que 5 %.

  • Le Québec importe actuellement 100 % des sources d’énergie fossile consommées et raffinées sur son territoire.

  • En 2013, la production électrique québécoise totalisait 207 TWh, dont 99 % provenait de sources hydroélectriques et moins de 1 % de sources éoliennes, de biomasse et d’hydrocarbures fossiles. Hydro-Québec produit et achète 90 % de l’hydroélectricité québécoise.

  • Sur une note plus anecdotique, les dépenses en électricité des ménages québécois, peu importe leur niveau de revenu, sont comparables à celles effectuées pour l’alcool et le tabac.

Quelques recommandations

À la lumière de cette analyse, quelques recommandations émergent : le secteur des transports, toutes catégories confondues, mériterait qu’on lui consacre des efforts prioritaires. Pour les passagers, le développement des solutions de rechange à l’auto, des véhicules plus économiques et des carburants alternatifs sont à privilégier. Pour le transport des marchandises, un plus grand accès à des carburants alternatifs (principalement le gaz naturel) et une plus grande intégration des modes de transport (intermodalité) sont à favoriser. Dans le cas du secteur industriel, d’autres progrès pourraient être réalisés avec des stratégies de gestion énergétique et d’innovations technologiques plus ambitieuses. Les secteurs résidentiel et commercial, qui accaparent 34 % de la demande, affichent une perte énergétique moyenne de 24 % lors de la consommation. Des mesures réglementaires ou fiscales telles que l’adoption de meilleures normes d’efficacité énergétique pour les bâtiments, les équipements et les appareils électriques permettraient d’améliorer notre performance énergétique dans ces secteurs. Souhaitons que ces améliorations figurent au prochain bilan que nous produirons, puisque l’État de l’énergie au Québec deviendra désormais une référence annuelle.

À surveiller dans le secteur de l’énergie en 2015

ÉVALUATION ENVIRONNEMENTALE STRATÉGIQUE (EES) DE LA FILIÈRE DES HYDROCARBURES

En mars 2015, le gouvernement québécois devrait recevoir un avis du comité mandaté pour l’EES concernant la suite des travaux d’exploration du potentiel pétrolier sur l’île d’Anticosti. Au cours de l’automne, le rapport complet de l’EES sera discuté et déposé au gouvernement, avec des recommandations sur le développement éventuel de la production d’hydrocarbures au Québec.

PIPELINES

La conduite 9B d’Enbridge devrait être complètement opérationnelle en 2015, de sorte que tout le pétrole raffiné au Québec sera canadien ou américain. Les audiences de l’Office national de l’énergie sur le projet de TransCanada vont alimenter l’actualité, mais cet organisme ne rendra aucune décision sur ce sujet en 2015.

ÉLECTRICITÉ

Plusieurs dossiers seront à suivre :

  • Les tarifs pour 2015-2016 : comment l’augmentation demandée par Hydro-Québec Distribution sera-t-elle reçue par la population, alors que la composante éolienne jouera encore un rôle dans la hausse des tarifs ?

  • Les résultats du quatrième appel d’offres de 450 MW en énergie éolienne seront connus en 2015.

  • Les baisses du tarif industriel annoncées par le gouvernement à l’automne 2014 inciteront-elles plusieurs entreprises à venir s’implanter au Québec pour profiter de ces rabais ?

  • En plus du Champlain Hudson Power Express vers New York, d’autres projets ayant trait à de nouvelles interconnexions avec les États-Unis(Vermont, New Hampshire) ou même ailleurs (Ontario) pourraient être approuvés et débuter en 2015, ce qui changerait la perspective sur les surplus d’électricité au Québec.

LUTTE AUX CHANGEMENTS CLIMATIQUES

  • L’essence et le gaz naturel (de même que tous les autres produits pétroliers) sont soumis au marché du carbone depuis le 1er janvier 2015. La réaction des consommateurs et des entreprises sera importante pour savoir si le Québec atteindra ses objectifs en matière de réduction de ses émissions de gaz à effet de serre d’ici 2020 (-20 % par rapport au niveau d’émissions de 1990).

  • Le Québec tiendra au printemps 2015 un sommet sur les changements climatiques auquel seront conviés les premiers ministres des provinces canadiennes.

TRANSPORT

  • Gaz naturel : le développement du réseau de postes de remplissage de gaz naturel liquéfié et comprimé devrait être soutenu en 2015. Plusieurs entreprises de camionnage ont commandé des camions qui roulent au gaz naturel.

  • Électricité : le Circuit électrique continue de se développer. Son utilisation et l’adoption de véhicules électriques par les consommateurs devraient aussi augmenter en 2015.


Note

1. Pour en savoir plus, consultez l’État de l’énergie au Québec – 2015, rédigé par Johanne Whitmore et Pierre-Olivier Pineau.