Article publié dans l'édition été 2015 de Gestion

Gérer plus efficacement l’énergie représente un défi de taille pour les entreprises. Elles doivent non seulement réduire leurs coûts, mais être plus performantes sur le plan environnemental. Pour réussir ce tour de force, elles doivent adopter de nouvelles pratiques. En d’autres mots, innover. Un exercice que bon nombre de décideurs associent trop souvent à un projet ambitieux qui engloutit temps et argent. Or, les recherches réalisées par le Pôle e3 de HEC Montréal montrent qu’il existe divers moyens d’innover, dont certains moins risqués et moins coûteux, mais tout aussi efficaces et profitables. 

Première leçon à retenir : innover ne signifie pas toujours inventer à grands frais. Bien sûr, certaines stratégies de gestion de l’énergie comportent des risques et nécessitent d’importantes ressources ainsi qu’un engagement à long terme. Il existe toutefois d’autres pratiques telles que l’optimisation et l’adaptation, qui permettent d’atteindre rapidement ses objectifs de réduction sans dépenser ni risquer autant. Cet article présente les résultats d’une récente étude effectuée par le Pôle e3 sur les approches innovantes utilisées par les entreprises pour gérer plus efficacement l’énergie. Il explore aussi les stratégies, les meilleures pratiques et les outils nécessaires à leur mise en œuvre.


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L’énergie est un bien essentiel. Les industries, les commerces et les établissements l’utilisent pour fabriquer, transformer ou transporter des marchandises. On s’en sert également pour assurer le fonctionnement des édifices et des tours de bureaux. Au total, ces activités ont nécessité presque les deux tiers de l’énergie ayant transité dans le système énergétique québécois en 2012, soit 1 167 pétajoules sur une consommation totale de 1 751. Une somme considérable !

Fait indéniable, la volatilité des prix du pétrole et la hausse tendancielle des marchés de l’énergie et du carbone affecteront éventuellement et de façon importante la structure de coûts de plusieurs entreprises. Ces facteurs les exposeront à divers risques et à des préoccupations relatives à l’environnement et à leur réputation. Si ces éléments ne sont pas rapidement pris en considération, la capacité concurrentielle des entreprises pourrait même en souffrir. Si bien qu’adopter de meilleures pratiques ne représentera bientôt plus une option pour assurer sa croissance, mais une obligation pour survivre. Miser sur une approche proactive pour gérer plus efficacement l’énergie s’avère ainsi la meilleure avenue pour les entreprises afin de mieux contrôler leurs coûts liés à l’énergie, améliorer leur performance financière et accroître leur résilience au fil du temps.

Innover : un incontournable

Gérer plus efficacement l’énergie devient donc aujourd’hui un incontournable pour les entreprises. Pour relever cet important défi, elles doivent apprendre à faire différemment. L’innovation représente un moyen efficace pour contrôler les coûts, mieux répondre aux attentes de la société en ce qui a trait au rendement énergétique et à la performance environnementale, dégager des avantages concurrentiels et ouvrir de nouveaux marchés qui non seulement génèrent de la richesse, mais contribuent aussi à la viabilité des entreprises dans une économie de plus en plus sobre en émissions de gaz à effet de serre.

Les entreprises ayant participé à l’étude menée par le Pôle e3 ont cerné de nombreux défis associés à la gestion de l’innovation. À titre d’exemple, citons le faible degré de tolérance au risque, la disponibilité limitée des ressources, les difficultés financières, la résistance face aux nouvelles approches, les délais avant d’atteindre des résultats. À mesure que s’intensifie la pression pour innover dans les entreprises – et que les activités en ce sens sont déployées à grande échelle – les décisions relatives à la gestion de l’innovation se compliquent.

Par ailleurs, cette complexité s’accroît du fait que l’innovation peut prendre diverses formes dont chacune requiert des modes de gestion différents. Il n’existe donc pas de modèle universel : améliorer des processus déjà existants exige de recourir à des pratiques et à des outils de gestion différents de ceux nécessaires pour révolutionner une industrie en inventant une nouvelle technologie.

Inventer, optimiser et adapter

L’étude a permis d’identifier trois types d’innovation : l’optimisation, l’adaptation et l’invention.

  • L’optimisation désigne l’amélioration continue d’un processus et consiste à tirer le meilleur parti des ressources existantes.

  • L’adaptation conduit à la modification de produits ou de processus existants tels que les processus opérationnels, afin de les renouveler ou de leur donner une nouvelle vocation.

  • L’invention fait référence à la création d’un nouveau produit ou processus.

Cette recherche nous apprend aussi une leçon fort pertinente : ces différents types d’innovation peuvent coexister dans une même entreprise, créer des synergies et viser simultanément plusieurs objectifs. Les particularités de chacun sont présentées dans un cadre conceptuel intitulé « optimisation-adaptation-invention » (OAI). Élaboré par le Pôle e3, cet outil sert principalement à mieux comprendre les caractéristiques propres aux trois types d’innovation et les conditions à réunir pour une implantation réussie. Chaque type d’innovation joue un rôle important en ce qui a trait à la gestion de l’énergie. Tous les trois peuvent contribuer à améliorer l’efficacité énergétique ; toutefois, seules l’invention et l’adaptation ouvrent la voie à de nouveaux produits et processus destinés à la gestion de l’énergie.

Le cadre optimisation-adaptation-invention pour gérer l'innovation
Optimisation Adaptation Invention
Description
  • Amélioration continue d'un processus
  • Modification de produits ou de processus pour les renouveler
  • Combinaison, transposition ou refonte
  • Création de produits ou de processus
Approche globale
  • Visée opérationnelle
  • Réseau interne ponctuel
  • Perspective à court terme
  • Visée opérationnelle et stratégique
  • Approche structurée
  • Perspective à moyen terme
  • Visée stratégique
  • Approche structurée
  • Perspective à long terme
Personnes concernées
  • Intervenants de l'interne surtout : responsables de l'amélioration des affaires; responsable des opérations; fournisseurs de technologies; représentants des finances.
  • Intervenants de l'interne et de l'externe : ingénieurs, scientifiques; représentants des finances et spécialistes des processus d'affaires; représentants du service à la clientèle et du marketing; fournisseurs de technologies
  • Intervenants de l'interne et de l'externe : scientifiques et ingénieurs; directeurs de la recherche et du développement; représentants d'universités; cadres supérieurs
Pratiques de gestion clés
  • Analyse comparative
  • Collaboration interne
  • Communication avec les employés
  • Génération d'idées et de solutions
  • Évaluation et établissement d'objectifs
  • Création de partenariats et de liens
  • Mode de pensée systémique
  • Étude des technologies existantes
  • Établissement d'objectifs et de priorités
  • Génération d'idées et d'options
  • Prototypage
  • Partenariats et collaboration
Outils de gestion
  • Ateliers ciblés
  • Outils d'aide à la décision
  • Attestations de mérite
  • Structure complète de création de rapports
  • Modèles d'évaluation
  • Essais et projets pilotes
  • Prospective structurée
  • Systèmes intégrés de gestion de projets
Défis majeurs
  • Équilibre de l'expérimentation et de la standardisation
  • Financement
  • Tolérance au risque
  • Rigidité des processus
  • Gestion des risques
  • Recherche de projets générateurs de valeur
  • Résistance envers les solutions innovantes
  • Pression pour l'obtention de résultats à court terme
  • Gestion des risques
  • Dispersion physique des participants
  • Confidentialité
Facteurs de succès
  • Stabilité financière
  • Culture de l'innovation
  • Réseautage
  • Persistance
  • Processus structuré et rigoureux
  • Esprit ouvert à l'exploration
  • Souplesse organisationnelle
  • Relations de confiance
  • Ouvert d'esprit et créativité
  • Approche structurée
  • Culture organisationnelle favorable
  • Leadership et vision
Exemples emblématiques
  • Production sans gaspillage
  • Groupe motopropulseur de la Toyota Prius
  • iPod et Ipad d'Apple

Optimiser

« Nos actions en matière d’efficacité énergétique sont ancrées dans notre quotidien. C’est pourquoi nous veillons à ce que nos employés prennent cet engagement à cœur. »

(Responsable du rendement énergétique, Rio Tinto Alcan)

Améliorer les processus

L’amélioration des processus est l’essence même de l’optimisation. Dans le contexte de la gestion énergétique, l’optimisation évoque surtout l’atteinte d’une plus grande efficacité en matière d’utilisation et de consommation d’énergie par des améliorations continues. Les entreprises qui consomment de grandes quantités d’énergie pour transformer des matières premières se soucient particulièrement d’optimiser leurs processus de production. L’étude a montré que l’optimisation s’avère une avenue retenue par bon nombre d’entreprises soucieuses de réduire leur consommation liée au chauffage et à l’éclairage des immeubles.

Les stratégies d’optimisation peuvent reposer sur des équipes multidisciplinaires composées de décideurs, de gestionnaires et d’experts en opérations dont les principales responsabilités sont liées à l’amélioration des processus d’affaires. La composition de ces équipes est déterminante pour accroître les chances de faire accepter de nouveaux processus et de réussir leur implantation. Des fournisseurs de technologies ou d’équipement peuvent aussi être intégrés à la démarche afin de régler des problèmes particuliers ou de préciser certaines exigences techniques.

Adapter

« Lorsque nous travaillons avec des gens provenant d’autres industries, nous explorons toujours la possibilité d’adapter leurs façons de faire ou leurs technologies à nos activités. Bon nombre d’innovations voient ainsi le jour. »

(Responsable de la recherche, Rio Tinto Alcan)

Faire autrement

On entend par adaptation, l’utilisation novatrice de technologies, de produits ou encore de processus existants afin de créer de nouvelles façons de faire. Il peut s’agir de la combinaison ou de la modification de produits ou de processus permettant de faire évoluer une technologie connue à un autre stade de développement. Cette approche peut également se traduire par la transposition dans un nouveau contexte de technologies ou de processus connus. On peut envisager, notamment, le transfert d’un processus ou d’une technologie matures d’un secteur industriel vers un autre secteur dans lequel ils n’ont jamais été implantés. Des exemples de ce type d’adaptation ont notamment pu être ciblés dans les fonderies d’aluminium ou encore les usines de pâtes et papiers. Précisons que ces industries sont les plus grandes consommatrices d’énergie au Québec. Elles ont donc intérêt à rivaliser d’ingéniosité pour réduire leur facture à ce chapitre.

L’un des avantages liés à l’adaptation est la possibilité d’effectuer une refonte des processus opérationnels déjà en place de façon à surmonter les défis liés à la gestion de l’énergie et à favoriser l’efficacité du système dans son ensemble. À titre d’exemple, les dirigeants de RioTinto Alcan ont su modifier leur système de mesure du rendement et de déclaration des émissions de gaz à effet de serre et d’efficacité énergétique afin de pouvoir y inclure des indicateurs applicables à l’échelle de l’entreprise plutôt qu’à celle d’une seule unité. Ce changement a notamment permis à l’entreprise de cerner plusieurs possibilités d’amélioration.


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Au cœur de cette approche réside l’ouverture aux idées provenant de l’extérieur et une volonté ferme de collaborer en continu avec les autres. Cela se manifeste par l’interaction avec des partenaires, en particulier avec les concepteurs et les fournisseurs de technologies.

L’évaluation et l’établissement des priorités représentent aussi une composante essentielle à la réussite de cette approche. Les processus structurés et la rigueur pour s’y conformer assurent une gestion efficace des risques. En outre, les entreprises doivent aussi pouvoir compter sur des intervenants qui, sur le plan personnel, s’adaptent bien au changement. La souplesse organisationnelle et les relations de travail fondées sur la confiance – particulièrement avec les partenaires externes – sont essentielles.

Inventer

« Innover ne veut pas dire improviser; cela nécessite de bien canaliser l’énergie intellectuelle des personnes concernées. »

(Chercheur scientifique, Rio Tinto Alcan)

Pour révolutionner

L’invention, parfois désignée par les vocables « innovation radicale » ou « innovation de rupture », fait référence à la création de nouveaux produits ou processus. On évolue ici dans l’univers du jamais vu, de l’inédit. Il s’agit de technologies révolutionnaires ou encore d’innovations qui ont le potentiel de transformer ou de créer de nouveaux modèles d’affaires.

Des trois formes d’innovation, l’invention est celle qui, en règle générale, engendre les coûts les plus élevés, mais présente les plus grands bénéfices. Elle constitue aussi la forme d’innovation la plus tournée vers l’extérieur du fait qu’elle repose sur des équipes multidisciplinaires composées principalement de hauts dirigeants responsables de la recherche et du développement, d’ingénieurs et de scientifiques, ainsi que de partenaires issus de secteurs éloignés tels que les universités. Dans les entreprises, les compétences provenant de l’extérieur contribuent souvent à de nouveaux développements technologiques.

L’invention est aussi le type d’innovation auquel une entreprise doit consacrer le plus de temps. Dans les entreprises étudiées, ces projets s’échelonnent sur une période allant de 10 à 20 ans. L’innovation radicale ou de rupture requiert donc une planification structurée qui tient compte des complexités scientifiques et d’ingénierie inhérentes à la création.

Faire preuve de souplesse et d’ouverture face aux risques potentiels représente une condition de réussite. Mettre au point des idées novatrices suppose la capacité de collaborer avec des personnes très différentes, certaines provenant de l’extérieur. À terme, la réussite de ce type d’innovation peut dépendre de la mise en place d’une culture organisationnelle favorable à l’invention qui se traduit notamment par le leadership et l’appui de la haute direction.

Implanter la meilleure solution

Inspiré de l’expérience vécue par les partenaires de l’étude, le cadre conceptuel OAI a été fondé sur l’idée que l’optimisation, l’adaptation et l’invention peuvent coexister dans une même entreprise. Ces trois types d’innovation définissent l’« espace d’innovation ». Pour mettre en œuvre le cadre conceptuel, les dirigeants doivent, avant toute chose, avoir une perspective globale de cet espace pour mieux situer leurs actions en matière d’innovation.

L’espace d’innovation se compose de trois grandes zones d’activités potentielles. La sphère « optimisation » vise surtout l’amélioration des opérations et se caractérise par des actions à court terme. La sphère « invention » se définit plutôt par la création de nouveaux produits ou processus. Son orientation s’inscrit dans une perspective stratégique à long terme. La sphère « adaptation », pour sa part, fait référence aux changements de vocation de produits ou de processus existants. L’adaptation peut avoir une orientation opérationnelle ou stratégique.

Utilisés conjointement, le cadre OAI et l’outil de gestion de l’espace d’innovation aident les dirigeants à prendre des décisions plus stratégiques en matière de gestion de l’énergie. Ils leur servent principalement à établir la direction à prendre et à déterminer les meilleurs moyens d’améliorer les performances énergétiques de leur entreprise.

Mise en œuvre en trois étapes

Selon les meilleures pratiques, la mise en œuvre devrait s’effectuer en trois étapes.

  • FAIRE LE POINT

    La première étape consiste à établir un niveau de référence en déterminant les initiatives qui sont mises de l’avant par l’entreprise pour mieux gérer l’énergie. Dans la pratique, les organisations qui font face à des obligations ou ont établi des priorités sur le plan de la gestion de l’énergie innovent par divers moyens. De ce fait, leurs actions sont susceptibles d’appartenir conjointement à plus d’une sphère. Situer les actions d’une entreprise par rapport à l’espace d’innovation s’avère donc utile. Cet exercice permet de lever le voile sur les tendances qu’elle privilégie et de cerner les approches d’innovation négligées afin d’en envisager de nouvelles.

  • PROCÉDER À UNE ÉVALUATION STRATÉGIQUE

    L’innovation liée à la gestion de l’énergie vise l’atteinte d’objectifs précis, notamment la hausse du rendement énergétique et de la performance environnementale, la consolidation de l’avantage concurrentiel ainsi que la génération d’une valeur pour les actionnaires et les partenaires. Facteur essentiel : ces objectifs doivent parfaitement s’harmoniser avec les visées stratégiques ou opérationnelles de l’entreprise.

  • REPOSITIONNER

    Assurer la concordance entre les priorités stratégiques et opérationnelles de l’entreprise nécessite souvent un repositionnement des actions à entreprendre. Selon ces nouvelles orientations, l’entreprise pourrait devoir se tourner vers d’autres sphères d’innovation. Elle effectuera alors son choix en fonction des résultats escomptés.

Il faut aussi se rappeler que les stratégies d’innovation peuvent englober plusieurs aspects et que l’on doit accorder de l’importance à la composition et à l’équilibre des approches en matière d’innovation. Sur le plan de la gestion de l’énergie, déterminer à long terme ce qui exige d’être changé ou ajouté devient un élément clé du processus décisionnel. Quels projets ou processus faut-il remplacer ou modifier ? Lesquels sont devenus superflus ? Faut-il en adopter de nouveaux ?

À la lumière de cette étude, un constat s’impose : chaque approche d’innovation présente des défis et des avantages particuliers. De même, chaque approche fait appel à différents intervenants. Une diversité de pratiques, de processus et d’outils permet à chaque approche de prendre forme. Il n’existe donc pas de solution universelle à la gestion de l’innovation. Sa réussite dépend plutôt de la capacité de choisir les bons intervenants et d’utiliser des pratiques et des outils qui assureront l’atteinte des objectifs stratégiques et opérationnels. Espérons que le cadre OAI et l’espace d’innovation susciteront, dans les entreprises, un dialogue sur les moyens les plus appropriés pour elles de parvenir à leurs fins.

Remerciements

Pôle e3, expertise en énergie et en environnement de HEC Montréal, est une plateforme multidisciplinaire axée sur le transfert et la diffusion des meilleures pratiques en gestion de l’énergie dans les entreprises. Un remerciement particulier aux partenaires de l’étude et de Pôle e3 : Rio Tinto Alcan, Hydro-Québec, Suncor Énergie, Newalta, Cascades et la Société de transport de Montréal.