Un courriel. Un texto. Une notification. Un message. Les outils numériques favorisent non seulement l’hyperconnexion, mais nous incitent à diviser notre attention. Et si on (ré)apprenait à se concentrer longuement? 

«Certaines études montrent que le simple fait d’avoir son cellulaire sous les yeux ferait chuter notre capacité d’attention de 28%», souligne Laurie Michel, conférencière en saines habitudes numériques et fondatrice de Vivala. D’autres révèlent que travailler en laissant ses courriels ouverts, plutôt que de se prévoir un moment pour les consulter, diminuerait la productivité et augmenterait le stress, ajoute-t-elle. 

Le hic, c’est que les technologies incitent à se disperser, en gardant toujours un œil sur Facebook, Twitter, LinkedIn ou Slack. «Ce qu’on sait, c’est que notre attention est de plus en plus divisée. Et, pour performer, pour pouvoir se concentrer, on a besoin d'avoir une attention unifiée. À l’autre extrême, quand on est complètement focalisé sur une tâche, on peut se trouver dans un état de flow. On est alors complètement absorbé, on se décentre de soi et on ressent des émotions positives», explique Marine Miglianico, psychologue et consultante en développement organisationnel. Fondatrice de la Clinique de psychologie positive, elle est aussi chargée de cours à l’École des dirigeants de HEC Montréal.

À coups de dopamine, la technologie vient également stimuler des zones du cerveau qui cherchent une gratification instantanée. «À travers les réseaux sociaux, les courriels, on va activer tout ce qu'on appelle le circuit de la récompense, soutient la psychologue. Cela inhibe le cortex préfrontal, qui gère les impulsions pour maintenir l’attention. À force d’être stimulé, on devient de plus en plus impulsif, on a de la difficulté à résister et à se concentrer sur du long terme.»

Muscler son cerveau

Si certaines études suggèrent que l’attention aurait diminué, sous l’influence des technologies et de la surabondance d’information, il est possible de renverser la vapeur, note Annie Boilard, CRHA, présidente du Réseau Annie RH. «On est capables de se concentrer jusqu'à 90 minutes en continu. Par contre, il faut distinguer la capacité neurologique à poser son attention et l'habileté qu'on développe pour le faire. C’est un peu comme un muscle : plus on le sollicite, meilleur on est.» Pour s’exercer, elle suggère de s’atteler à des tâches abstraites, comme régler des problèmes complexes qui demandent de s’y plonger entièrement.

Des activités comme la méditation ou la lecture, où il faut ramener son attention chaque fois que ses pensées s’égarent, constituent aussi un bon entraînement, remarque Marine Miglianico. «Aller marcher, contempler la nature, faire des exercices de relaxation, autrement dit de focaliser son attention sur quelque chose pour 10, 15 ou 20 minutes, a des effets sur la concentration à plus long terme.» De plus, cela permet de ralentir l’activité du cerveau, habitué de sauter d’un dossier à l’autre. Le fait de bouger – et d’adopter de saines habitudes de vie – a aussi une influence positive sur la concentration. 

Chaque chose en son temps

Annie Boilard propose aussi de repenser l’horaire des équipes en fonction de leurs besoins de se concentrer ou pas. Elle explique que le temps de travail se découperait en six catégories, un continuum qui va du «me time», des moments pour faire avancer ses dossiers, au «we time», des périodes consacrées à collaborer. Le problème, c’est qu’on ne prend pas la peine de distinguer ces catégories, en prenant ses courriels lors de périodes qui devraient être dédiées à du travail concentré, donne-t-elle en exemple. «La morale de l'histoire, c'est qu'on n'arrive plus à se concentrer, parce que tout cela est mêlé. Clarifier le tout fera en sorte qu’on pourra réellement s’absorber dans une tâche quand il le faudra  et qu’on collaborera vraiment, quand on travaillera en équipe.»

«On peut aussi réfléchir à des façons de fonctionner qui vont permettre à tout le monde de créer des instants de concentration prolongée, renchérit Laurie Michel. Ça peut être un jour attitré, une heure attitrée, en fonction de la réalité de l'entreprise. De plus, il est possible, sur des outils de clavardage, d’indiquer à ses collègues que nous ne sommes pas disponibles.» Toutefois, pour que de telles initiatives portent leurs fruits, il faut non seulement valider avec ses équipes ce dont elles ont besoin, mais également accompagner et former ses employés, avertit-elle. 

Prière de ne pas déranger

Les travailleurs peuvent aussi instaurer une routine de concentration. Comme pour un athlète, Laurie Michel suggère d’abord de s’échauffer. «Pour cela, il faut organiser son horaire. Combien de temps chaque tâche me prendra-t-elle? Quelles sont mes intentions pour la journée, mes priorités?» Cette réflexion permet de rester focalisé sur ses objectifs. 

Il est aussi possible d’adapter son environnement pour «réduire les stimuli numériques, en réduisant les notifications, en travaillant en mode avion ou sans Wi-Fi, en prenant ses courriels aux heures ou en rangeant son téléphone plus loin», donne en exemple Laurie Michel. Certaines applications, comme RescueTime, permettent également d’identifier – et de bloquer – les distractions numériques, ajoute-t-elle. Marine Miglianico propose quant à elle de réfléchir à un moment où la concentration était au rendez-vous pour analyser – et reproduire – ces conditions gagnantes.

Des efforts qui en valent la peine, souligne la psychologue. «Si on est capable de se concentrer plus longtemps, on va pouvoir accomplir des tâches qui ont du sens pour nous. On pourra donc atteindre nos objectifs, progresser, s'améliorer… Et quand on fait un effort, notamment intellectuel, on est satisfait de ce qu’on a accompli. C’est très bon pour l’estime de soi, la confiance et le bien-être au travail.»