Alors que le marché du travail évolue à vitesse grand V, les travailleurs n’ont d’autres choix que de maintenir leurs compétences à jour. Or, il n’est pas toujours nécessaire de s’installer en classe pour apprendre. Au contraire, l’acquisition de compétences peut très bien se faire au quotidien, au travail. Bienvenue dans l’univers de l’apprentissage informel.

«Traditionnellement, l'organisation était chargée du volet développement des compétences des employés, avec de la formation, du coaching ou du mentorat», explique Pierre-Marc Leblanc, candidat au doctorat à l’École de relations industrielles de l’Université de Montréal. Quand on parle d’apprentissage informel ou autonome, l’employé devient le maître de son développement professionnel. «En fait, il faut qu’il y ait une intention d’apprendre, précise-t-il. Et c’est le travailleur qui prend l’initiative et qui choisit les moyens pour y parvenir.»

Poser une question à un collègue. Observer les autres. Chercher une information sur Google. Visionner une vidéo sur YouTube. Écouter un balado. S’inscrire à un MOOC (massive open online course). En dehors du cadre formel, il y a mille et une façons de se former au quotidien, soutient-il. «Déjà, le simple fait de prendre le temps de faire une introspection pour chaque situation que je vis, pour comprendre ce que j’ai appris, ou ce que je pourrais faire autrement, c’est une bonne occasion d’apprendre», renchérit Julie Carignan, CRHA, psychologue organisationnelle et associée chez Humance.

Un état d’esprit

Bref, l’apprentissage autonome, c’est un état d’esprit, souligne Alexandre Rousseau, consultant, avocat et chargé de cours à HEC Montréal, se référant au concept de «growth mindset», élaboré par le psychologue Carol Dweck dans son livre Mindset : The New Psychology of Success. «Cette posture fait en sorte qu’on a la conviction qu’on peut acquérir le savoir et les compétences nécessaires pour faire face aux défis et aux opportunités qui se présentent. Autrement dit, l’idée derrière cela, c’est qu’on peut tout transformer en opportunité d’apprentissage.» Il faut donc se montrer curieux, ouvrir ses horizons et, parfois, oser sortir des sentiers battus.

À l’inverse, les organisations ont aussi un rôle à jouer pour encourager ce genre d’attitude, d’abord en offrant de l’autonomie aux travailleurs et en leur laissant du temps pour réfléchir, pour tester leurs idées ou pour explorer de nouveaux savoirs, explique Pierre-Marc Leblanc. Les gestionnaires ont aussi un rôle important à jouer. Ils pourraient, par exemple, proposer des articles intéressants à leur équipe, inviter un travailleur à partager le fruit de leurs recherches avec leurs collègues et permettre, quand c’est possible, de mener des essais.

L’effort en vaut la chandelle, puisque ce type d’apprentissage, complémentaire à la formation plus formelle, apporte son lot d’avantages. D’abord, les employés sont souvent les mieux placés pour cerner leurs besoins en matière de perfectionnement, soulève Pierre-Marc Leblanc. De plus, cette façon d’apprendre, très flexible, permet de répondre plus rapidement aux besoins, en plus d’augmenter la performance des troupes.

Sans compter l’effet sur les employés, qui se sentent plus autonomes et compétents. «En plus de favoriser le partage d’information, les employés rapportent une plus grande satisfaction, puisque le fait de se développer contribue à donner plus de sens au travail», ajoute-t-il.

Le bon équilibre

Pour Alexandre Rousseau, les travailleurs doivent donc développer leur goût d’apprendre, en aiguisant leur curiosité. Pour cela, il faut poser des gestes concrets, en lisant, en se mettant en contact avec des idées qui nous confrontent, en posant des questions aux gens qu’on rencontre, etc. «Il ne faut pas attendre que cela nous arrive, comme par magie. Si c’est important pour nous de se former, d’être à jour, il faut garder du temps pour cela», mentionne-t-il.

Pour éviter de toujours repousser vers l’avant, le consultant suggère de mettre en place certains rituels d’apprentissage. Cela peut être aussi simple que de prendre du temps pour lire un article spécialisé en prenant son café du matin, d’écouter un balado en prenant une marche ou de choisir les informations qu’on lit sur les médias sociaux, en sélectionnant ceux qui confrontent à des idées nouvelles.

Si certains articles proposent de consacrer cinq heures par semaine à l’autoapprentissage, les experts interrogés hésitent à faire de même. «Ce n’est pas vrai que c’est aussi précis chez les êtres humains, nuance Julie Carignan. Certains auront besoin de deux heures, d’autres de 10. Il y a énormément de différences individuelles.» Elle préconise plutôt une approche de développement continu.

«Il ne faut pas non plus sous-estimer l’apprentissage dans l’action. Si on en fait beaucoup, ce n’est pas nécessaire de s’arrêter pendant cinq heures pour apprendre, poursuit-elle. On devrait continuellement se demander comment transformer ce qu’on fait en occasion d’apprentissage.»  Ce qu’il faut retenir de ce type de message, selon Julie Carignan, c’est plutôt qu’il faut se discipliner. «C’est important de se garder du temps pour cela à l’agenda, un peu comme pour le sport.» Autrement dit, « il faut apprendre à apprendre», conclut-elle.