Connaissez-vous la «courbe de l'oubli»? Selon cette hypothèse, après une formation, le cerveau oublierait 75% de ce qu’il a appris en deux jours s’il ne met pas en pratique son savoir. Après un mois, cela pourrait grimper jusqu’à… 98%. Heureusement, il existe des moyens de modifier cette trajectoire.

Qui penserait avoir des abdos bien découpés après avoir passé une journée complète à faire des redressements assis? En plus de s’épuiser, il est impossible d’arriver à ses fins aussi rapidement. C’est pourtant l’erreur que plusieurs font quand il s’agit de formation en entreprise, observe Julie Carignan, CRHA, psychologue organisationnelle et associée chez Humance. «Ce n'est pas parce qu'on propose une formation de 3h ou même d'une journée que cela change quoi que ce soit. Car le vrai défi, ce n’est pas d'avoir absorbé et compris la matière, c'est de la mettre en application. Il s’agit carrément d’un changement d’habitude, ce qui prend en moyenne 90 jours.»

Pour éviter de tout oublier, dès le lendemain, il vaut mieux découper ses apprentissages en morceaux, selon elle. «C’est un peu comme quand on peint un mur, illustre-t-elle. Il faut attendre que la première couche soit bien sèche avant d’en appliquer une deuxième.» Ainsi, plutôt que d’offrir une formation de huit heures sur un sujet, il est plus efficace de proposer 16 séances de 30 minutes, entrecoupées de mises en action. Une façon de permettre au cerveau de consolider l’information et ainsi de mieux l’imprimer.

De plus, l’intérêt grimpe d’un cran quand l’information arrive à point nommé, ajoute Julie Carignan. «Si on offre une formation sur la rétroaction aux gestionnaires juste avant les évaluations annuelles, la motivation sera vraiment accrue, car les participants vont y voir une réelle utilité. Si tu n’as pas besoin d’utiliser tes apprentissages, c’est plus théorique.» C’est pourquoi il est intéressant d’avoir un aide-mémoire, une page qui résume l’essentiel de ce qu’on a appris, pour s’y référer au moment voulu.  Autrement dit, pour tirer pleinement profit d’une formation, «l’idéal est d’avoir accès au savoir en temps réel et au moment opportun», souligne-t-elle.

Penser concret

«Apprendre de nouvelles choses, c'est facile, mais pour transformer ces connaissances en nouveaux comportements, il faut sortir de sa zone de confort. C'est pourquoi il faut s'assurer d'éliminer tous les obstacles au transfert des connaissances. Car si les conditions ne sont pas réunies, on retourne rapidement dans nos vieilles habitudes», explique Pierre-Marc Leblanc, candidat au doctorat à l’École de relations industrielles de l’Université de Montréal et chargé de cours.

Pour éviter cet écueil, il suggère aux gestionnaires de discuter avec leurs employés avant la formation pour s’assurer que le contenu sera pertinent pour eux, mais aussi pour établir un plan de match quant à la mise en application de ces nouvelles connaissances. Auront-ils besoin d’avoir accès à un nouveau logiciel? Faut-il créer un projet spécial? Aménager un horaire particulier? Obtenir du soutien et de l’accompagnement de la part de son gestionnaire est donc essentiel pour tester ses nouvelles connaissances, renchérit Julie Carignan.

Pour avoir envie d'appliquer ses nouvelles connaissances, le travailleur doit voir quels sont les bénéfices à adopter ces nouveaux comportements, avoir le sentiment qu'il maîtrise la compétence et pouvoir les mettre en application avec succès, soulève Pierre-Marc Leblanc. «Le gestionnaire doit aussi accorder un certain droit à l'erreur au travailleur, en acceptant une baisse de productivité et en tolérant les erreurs commises au retour d'une formation.» Sans quoi, il risque de revenir illico à ses anciennes habitudes.

Si plusieurs travailleurs ont suivi une formation en même temps, le fait de créer un groupe de soutien entre pairs peut avoir un effet très puissant sur la mise en application des nouvelles connaissances, affirme aussi Julie Carignan. «Le simple fait d’échanger, de voir comment les autres ont testé ces nouvelles connaissances nous permet d’avancer plus loin dans notre réflexion. Et si on se rencontre chaque semaine pour discuter d’un point, c’est motivant de passer à l’action.»

Mesurer les retombées

Pour mesurer les effets réels d’une formation, plusieurs se réfèrent au modèle Kirkpatrick. «Selon cette théorie, il y a quatre types d'informations qui peuvent être collectées: la réaction des apprenants, les apprentissages qui ont été acquis, leur application et les résultats ultimes de la formation sur l'organisation», explique Pierre-Marc Leblanc. Ce qui s’évalue avec différents outils tels que des sondages, des tests, des entrevues avec l’apprenant, de l’observation, etc.

Il est aussi possible d’évaluer le retour sur l’investissement, précise Julie Carignan. «Par exemple, si j’ai formé un gestionnaire pour améliorer ses techniques d’entrevue et que je remarque que, depuis, le taux de roulement de ses nouvelles recrues a diminué de 20%, cela signifie qu’il a non seulement appliqué ce qu’il a appris, mais que cela a engendré des bénéfices.»

Or, comme c’est complexe, rares sont les organisations qui se rendent aussi loin. La plupart se contentent de mesurer le niveau de satisfaction et l’utilité perçue, souligne Julie Carignan. «Plusieurs études, notamment en neurosciences, montrent que le fait de trop mesurer peut inhiber les apprentissages. C’est comme à l’école. Ceux qui étudiaient pour passer l’examen, typiquement, ne se souvenaient plus de rien après un mois.» Quand la mesure prend trop de place, la personne pourrait perdre sa motivation à développer ses compétences et se concentrer uniquement sur le fait de réussir le test.

Même si elle n’écarte pas d’emblée ce genre de mesures, il faut bien choisir ses outils d’évaluation, ajoute-t-elle. «Comme pour les méthodes d'enseignement, chaque façon d’évaluer les formations a son utilité. Il n'y a pas de recette qui fonctionne pour tout le monde. Il faut simplement les utiliser de façon stratégique», résume Pierre-Marc Leblanc.