Avant de commenter le plus récent ouvrage du professeur Henry Mintzberg, une sommité du monde de la gestion qui propose une étude approfondie du secteur des soins de la santé, permettez-moi de noter qu’une évaluation approfondie d’un phénomène ou d’une situation comprend quatre volets.

Dans un premier temps, il s’agit d’identifier les caractéristiques d’une situation tout en se rappelant que chacun regarde la réalité à travers une fenêtre plus ou moins étroite. Il en résulte une image marquée d’imprécisions. Ensuite, on passe à l’étape de comprendre ou d’expliquer cette réalité. Quelles sont les forces ou les contraintes qui ont engendré le présent équilibre? Après, on aborde le côté prescriptif : quels changements pourraient améliorer la situation et selon quels critères? En dernier lieu, il est nécessaire d’analyser le réalisme des réformes proposées et des moyens d’y arriver, soit l’instrumentation des réformes ou de l’atteinte d’un nouvel équilibre.


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Un livre peu analytique

Dans son récent livre Managing the Myths of Health Care: Bridging the Separations Between Care, Cure, Control, and Community, Mintzberg ne suit pas ces différentes étapes pour produire une étude approfondie du secteur des soins de la santé. Il met surtout l’accent sur le volet prescriptif.

Le livre est divisé en trois parties. La première, qui totalise la moitié de l’ouvrage, identifie neuf « mythes » véhiculés sur les systèmes de santé. Voilà une façon d’aborder l’étude d’un important secteur qui rassure ceux qui partagent nos propres opinions ou biais mais qui se ferme à toute une analyse approfondie.

La deuxième partie se concentre sur les problèmes d’organisation, principalement celui de l’omniprésence des silos favorisée par un monde de plus en plus spécialisé. « L'organisation humaine est essentiellement axée sur la différenciation et l'intégration [...] Mais entre les deux vient le problème. La différenciation se chosifie: des séparations surgissent qui rendent difficile l'intégration des activités. Et les soins de santé sont l'un de ces domaines qui en souffrent particulièrement. » (p. 115)

La dernière partie du livre a comme titre: Recadrage. Selon Henry Mintzberg, la cause du problème est partout la même. « Un peu partout, le problème essentiel dans les soins de santé peut résider à forcer des solutions administratives coupées de la réalité sur la pratique qui nécessite des jugements éclairés et nuancés. » (p. 165)

Comme c’est souvent le cas, le remède proposé est celui du changement ou de la conversion des mentalités. « Peut-être c’est tout aussi simple, si nous pouvons simplement changer notre concept du monde des soins de la santé: réorganiser nos têtes au lieu de nos institutions, afin que nous puissions penser différemment sur les systèmes et la stratégie, les secteurs et la dimension, la mesure et la gestion, le leadership et l'organisation, la concurrence et la collaboration. » (p. 167)

Mais comment réorganise-t-on les têtes? Les réponses à cette question sont rares.

Conclusions rapides

Le livre contient plusieurs passages polémiques et l’auteur propose des conclusions rapides sur la base de quelques anecdotes. Il serait toutefois facile de trouver d’autres références pour proposer des enseignements différents.

Durant ma lecture, j’ai tenté de comprendre comment cet auteur, récipiendaire de vingt doctorats honorifiques selon la couverture du livre, pouvait privilégier une approche anecdotique qui escamote l’analyse. J’ai obtenu une explication vers la fin du livre avec ce passage sur la nature du management:

« Le management, contrairement à la médecine, utilise peu de science ; par conséquent, ce n'est pas une profession. Parce que les maladies dans une organisation et les prescriptions pour leur traitement n'ont guère été spécifiées avec une quelconque fiabilité, le management doit être un métier, enraciné dans l'expérience et un art, stimulé par des idées. Dans la gestion, la compréhension viscérale compte plus que la connaissance cérébrale.» (p. 198)

La première phrase de la citation renvoie à une source qui « a constaté que la plupart des articles sur ce sujet encouragent l'adoption des "opinions et des informations anecdotiques", pas des preuves. »


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La faille de la décentralisation

Parce que j’ai un biais en faveur des décisions décentralisées ou venant de la base, j’ai apprécié les passages du livre sur les lacunes de la centralisation et des processus bureaucratiques provoquant un cadre réglementaire étendu et à des décisions désincarnées. Toutefois, la question suivante ne peut pas être évitée : la décentralisation est-elle vouée à l'échec?

Par la présence d’un système à payeur unique pour les services hospitaliers et médicaux, comment peut-on réconcilier des décisions décentralisées avec un financement centralisé? À ce sujet, je vous propose aussi ce texte: Celui qui paie les violons choisit la musique.

La question est d’autant plus pertinente que la simple manchette concernant un incident malheureux dans un hôpital provoquera le même jour une intervention musclée à l’Assemblée nationale. Cela permet à David Levine, un grand gestionnaire de la santé et ex-ministre délégué à la Santé au Québec, d’affirmer dans son livre que « La santé est politique ». (p. 187)  Mintzberg a, de son côté, évité le sujet. Ainsi, ce livre ne m’apparaît pas comme une contribution importante à l’analyse des problèmes du secteur de la santé, qui sont pourtant si réels.