Le 15 janvier dernier, François Héon, psychologue et spécialiste du développement organisationnel, était invité à animer un séminaire intitulé « Développer le yin et le yang du leadership pour les individus et les groupes » dans le cadre des rencontres du Club APM Montréal1. À cette occasion, Gestion l’a rencontré pour discuter de son approche unique du leadership.

Le modèle de leadership que vous proposez, comme son titre l’indique, s’inspire de notions tirées de la philosophie chinoise. Comment celles-ci s’inscrivent-elles dans votre conception du leadership?

Le yin et le yang constituent l’un des exemples les plus universels de la complémentarité d’éléments opposés permettant d’atteindre un équilibre et de générer un mouvement. Cela dit, on retrouve plusieurs autres exemples dans divers domaines. En psychologie, par exemple, Carl Jung soutenait que c’est à travers le processus d’individuation, c’est-à-dire l’harmonisation de ses différents pôles, que l’individu parvient à devenir « complet ». Dans cet ordre d’idées, si l’on se penche plus particulièrement sur le domaine du management, on se rappelle que dès le début du XXe siècle, Mary Parker Follett2, pionnière en matière de développement organisationnel, avançait dans sa théorie de l’intégration qu’il est nécessaire de prendre en compte les intérêts de chacun des individus au sein d’une organisation, même s’ils sont aux antipodes, pour créer une vision commune. À travers les années, de nombreux théoriciens du management ont aussi abordé le leadership selon cette idée qu’il doit reposer sur la coexistence de principes contraires, mais complémentaires. C’est également sur cette dynamique qu’est basé le modèle de leadership que j’ai élaboré.

En quoi votre approche personnelle du leadership consiste-t-elle plus spécifiquement? Et comment est-elle en résonance avec cette idée de complémentarité tout en étant novatrice?

Traditionnellement, en management, on a souvent eu tendance à décrire un bon leader comme étant un individu qui est visionnaire, déterminé, courageux et proactif, par exemple. Ce sont des qualités fondamentales chez un chef de file, j’en conviens. Dans mon modèle de leadership, je les rassemble, comme d’autres théoriciens l’ont d’ailleurs fait, sous le principe d’intention. Or, je crois que l’on a souvent négligé d’aborder la dimension qui contrebalance l’intention et qui est tout aussi importante. Si je reviens à la philosophie chinoise, le yang, qui symbolise l’affirmation (et qui se rattache donc à l’intention), à la fois s’oppose et coexiste avec le yin, qui est quant à lui de l’ordre de la réception. Dans sa théorie U, l’économiste Otto Scharmer reprend à sa manière ces deux comportements interdépendants qu’il qualifie de son côté d’intention et d’attention. Le modèle de leadership que je propose s’inscrit dans le sillage de celui de Scharmer à la différence que j’y avance que, pour contrebalancer l’intention, il faut faire plus que porter attention : il faut savoir apprécier.


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Qu’entendez-vous, exactement, par apprécier?

Dans un contexte où il est nécessaire d’exercer son leadership, l’appréciation est un acte se déployant en trois temps et qui est profitable tant au niveau individuel que dans un contexte de groupe. Apprécier implique d’abord d’être réceptif plutôt que réactif, de prendre un temps d’arrêt pour être à l’écoute de soi-même, des autres et d’une situation, et ce, avec humilité et sans porter de jugement. Cela nous permet d’ouvrir nos œillères et de voir les choses selon une perspective nouvelle. Ensuite, apprécier, comme le terme l’évoque, signifie faire intervenir notre côté affectif. Nous gérons souvent les situations de changement de manière rationnelle en ne laissant aucune place à nos émotions. Ne nous étonnons pas, d’ailleurs, s’il arrive souvent de ne pas nous sentir engagé dans un projet, puisque le cœur n’y est pas! Il importe donc, je crois, que nous prenions le temps de valoriser la situation et les gens autour de nous, de cerner leurs points positifs et d’en être reconnaissant. Cela génère des émotions beaucoup plus positives et constructives. En dernier lieu, au regard de ces deux premiers aspects, l’appréciation nous permet de déterminer ce qui compte réellement pour nous et de donner un sens et une direction à ce que nous faisons, à un projet. Par conséquent, c’est l’appréciation qui nous donne l’impulsion vers l’intention, sa dimension contraire et qui est quant à elle orientée autour de la volonté, l’affirmation et la mise en action. En somme, c’est dans l’intégration de l’appréciation et de l’intention, c’est-à-dire dans notre capacité à trouver un équilibre entre ces comportements, que notre leadership s’actualise de la manière la plus optimale. Quand nous prenons le temps d’apprécier, nous agissons ensuite de façon plus éclairée.


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Dans quelles situations avez-vous pu « tester » l’efficacité de votre modèle de leadership?

Dans les dernières années, j’ai partagé ce modèle de leadership dans le cadre de nombreux séminaires ici et à l’étranger, que ce soit auprès de petits groupes, comme les conseils d’administration, ou devant des assemblées d’entreprises de centaines de personnes. Lors de la rencontre organisée par le club APM Montréal, par exemple, j’ai proposé deux activités en lien avec ma méthodologie. Dans un premier temps, j’ai invité les participants à faire un bilan appréciatif, c’est-à-dire à faire ressortir ensemble leurs forces et valeurs en tant que groupe et à les apprécier. Dans un deuxième temps, je leur ai proposé un exercice appelé le mur des intentions, où ils avaient à identifier leurs intentions individuelles et celles qui mobilisent tout le groupe. Les participants ont immédiatement vu des résultats concrets. Ils sont ressortis de ce séminaire avec une vision beaucoup plus claire de l’orientation qu’ils devaient prendre et des moyens pour y parvenir. Finalement, j’ajouterais que mon modèle peut non seulement être utile dans n’importe quelle situation où il faut faire preuve de leadership, mais aussi à n’importe qui. En effet, puisque nous avons cette faculté, en tant qu’êtres humains, de déterminer et d’influencer notre futur, nous avons donc tous un potentiel de leadership. Il n’en tient qu’à nous de l’exploiter ou pas.


1. APM. Pour contacter l'APM à Montréal, [email protected] 

2. François Héon est d’ailleurs coéditeur et cotraducteur de L’Essentielle Mary Parker Follett  : Des réponses pour s’organiser et vivre ensemble, disponible sur Amazon.com.