Article publié dans l'édition été 2015 de Gestion

Aujourd'hui, gérer veut dire stimuler et orienter. Stimuler quoi ? Orienter quoi ? Pour répondre à ces questions, nous devons sortir de ce que l'on propose traditionnellement en stratégies de communication.

La mode est aux neurosciences. Tout est « neuro-quelque chose ». Le terme est surutilisé à toutes les sauces, bien souvent à des fins marketing. L’essentiel à comprendre des neurosciences est qu’il s’agit d’un champ d’études qui, grâce aux avancées technologiques, cerne de mieux en mieux les fonctions du cerveau. Plus les recherches avancent, plus nous en apprenons sur la manière dont le cerveau traite l’information et gère l’énergie cognitive ainsi qu’avec quels mécanismes il le fait, et sur ce que sont, par exemple, les liens entre certaines fonctions exécutives du lobe frontal et un comportement observable. Ces relations entre les lois cognitives-comportementales sont les nouvelles clés pour apprendre une communication basée non pas sur les mots, mais plutôt sur l’énergie cognitive et émotionnelle.


LIRE AUSSI: Communiquer la marque employeur sur les médias sociaux


Le principal problème du gestionnaire (et des autres humains) est survenu il y a longtemps, c’est-à-dire à l’apparition du langage. Ce système de communication consiste à associer des sons et des représentations mentales pour que les humains puissent mieux s’orienter ensemble. Cette association a transformé l’interaction humaine. En effet, les idées, les concepts suscités par les mots ne sont pas des éléments en mouvement proprement dits. Ce sont des « photos » momentanées d’une construction de la réalité. Bien que produits par des neurones et des cellules en mouvement, les idées ou les mots ne sont pas en lien avec des mouvements ou de l’énergie, car ils sont virtuels. Les mots sont des éléments « statiques ».

Actuellement, nos systèmes sociaux et d’éducation nous entraînent à interagir selon une efficacité hypothétique, en variables statiques. Nous communiquons en ayant pour objectif de prononcer un mot ou d’énoncer une idée à laquelle nous accordons une grande valeur et que l’on croit représenter par quelque chose qui existe « pour vrai ». Quelque chose d’important. Ces systèmes nous entraînent à fournir des réponses. Tout notre appareil social est basé sur cette habileté : fournir « la bonne réponse ».

Cela mène à des croyances fondamentales pour les humains telles que : « Ce que je dis est important, ce que je dis est "vrai". C’est une bonne réponse. » L’implication de ces croyances est de communiquer pour convaincre l’autre de manière à ce que cette réalité soit aussi intégrée ou « vraie » chez cette personne qu’elle l’est pour soi, ce qui est impossible. La communication a donc pour but que notre interlocuteur accorde autant de valeur à un mot, à une phrase ou à une idée que soi-même. Ce système crée énormément de problèmes dans le quotidien, puisque dans la réalité, personne ne veut réellement travailler à dire des choses vraies, les gens veulent avancer et être énergisés.

Aujourd’hui, étant donnée la complexité des enjeux professionnels auxquels nous faisons face, les gestionnaires doivent passer d’une communication composée de variables statiques à une communication interpersonnelle composée de variables dynamiques.

Donc une bonne et une mauvaise nouvelle. La bonne : il est possible de faire en sorte que chaque interaction interpersonnelle, avec l’apprentissage intégré des variables dynamiques, crée des effets puissants à chaque conversation. La mauvaise : ce type de communication n’est pas naturel. Contre-intuitif, même. Comme pour un sport de haut niveau, il faut un entraînement précis.


La nouvelle intelligence émotionnelle

Un autre terme tendance : l’intelligence émotionnelle, également appelée intelligence relationnelle. C’est un concept largement véhiculé qui promeut l’empathie et la gestion émotionnelle. La nouvelle intelligence émotionnelle est la compréhension des lois et des mécanismes qui définissent l’interaction entre deux humains et qui impliquent les émotions selon une logique de mathématique émotionnelle. Il existe bel et bien des lois qui gèrent les émotions lors d’une communication entre deux personnes.

Le terme mathématique renvoie à la notion de calcul fiable, qui détermine les fluctuations émotionnelles lors d’un dialogue. Ces lois n’échouent jamais. Auparavant, les émotions étaient (et sont encore) des notions plus ou moins vaporeuses liées au soi, aux relations. Et pourtant, il n’y a rien de plus précis qu’une émotion et que le système cognitif qui l’oriente. Or, gérer ou contrôler une émotion est aussi impossible que d’arrêter un train en marche grâce à un interrupteur.

Un train ne peut que choisir un rail. C’est précisément l’objectif d’une communication porteuse de résultats : les ressources énergétiques présentes doivent soit être orientées, soit être stimulées selon des mécanismes cérébraux précis.

Pour illustrer la mathématique émotionnelle

Un gestionnaire doit rencontrer un membre de son équipe pour discuter d’un point précis lié à un projet. Le gestionnaire sait que l’employé en question n’est pas favorable à plusieurs des orientations et des stratégies qui ont été adoptées. Ce n’est pas un « employé à problèmes ». C’est seulement qu’il a des opinions et des arguments solides. Le gestionnaire doit faire cette rencontre. Il y a pensé hier soir en se couchant.

« Ah oui… Demain, je rencontre Sylvain… Ouf… J’ai pas une heure à mettre sur cette conversation-là… J’espère qu’il va comprendre et pas argumenter pendant une éternité, ou finir par dire : "En tout cas, je vous l’aurai dit…" »

Sylvain entre dans le bureau du gestionnaire. Leurs yeux se croisent et le gestionnaire sourit. Sylvain aussi. En 14 millisecondes, le cerveau de Sylvain a vu plusieurs mouvements oculaires dans les yeux du gestionnaire qui témoignent de sa peur d’être rejeté, car il veut donner les bons arguments.

En effet, le rejet est une peur biologique que tout humain possède. Plus notre peur d’être rejeté par l’autre est grande, plus nos mouvements oculaires en témoignent, ce qui aura pour conséquence de faire sentir l’autre comme une menace et donc le rejeter à son tour.

Presque instantanément, les deux humains se sentent mutuellement rejetés. Comme ils fondent leur confiance sur leurs arguments et n’ont pas d’autres stratégies de communication, ils tenteront mutuellement de prouver que leur argument est valide. Leur système cognitif essaie de faire en sorte que l’autre soit d’accord pour donner la permission d’être en relation positive. L’anxiété est présente chez les deux hommes qui, consciemment ou non, ont détecté l’anxiété chez l’autre.

Par mathématique émotionnelle, la peur d’être rejeté crée automatiquement une impuissance chez la personne en face, activant l’anxiété et envoyant le message à l’interlocuteur qu’il est une menace, créant à son tour le rejet chez l’autre. Tout cela se produit avant même que la conversation ne commence. Le premier mot n’a pas encore été prononcé et la relation est faible et l’impuissance élevée, tendance qui sera maintenue et accrue au cours de la conversation.

Les mots énoncés par les deux parties ne feront qu’augmenter l’impuissance et le rejet des deux, la fameuse escalade émotionnelle. Un concours d’arguments mènera la conversation jusqu’à ce que l’un des deux achète la paix et que la conversation finisse par un évitement de l’enjeu : « Bon… alors on verra et on s’en reparle. »

Vous trouvez ceci caricatural ? Et pourtant non. Mon expérience en coaching de communication auprès des gestionnaires m’a montré qu’une grande part de nos conversations où les opinions divergent ressemble à cet exemple.

Les émotions sont toujours régulées en interaction avec l’autre de façon très précise et celles-ci sont largement transmises par les mouvements oculaires. À force d’entraînement, il est possible de concevoir une communication de façon à obtenir différentes réponses émotionnelles chez soi et chez l’autre. C’est là où de grands effets de mouvement sont possibles ; par exemple, faire en sorte qu’une personne réticente à entreprendre ou à accepter quelque chose puisse devenir, au contraire, motivée et entreprenante.

Aujourd’hui, « gestion » est un autre mot qui concerne directement le leadership, l’engagement, la mobilisation, la motivation, les relations et le plaisir. Tous ces mots désignent des concepts de mouvement. Un gestionnaire a pour mandat de créer et de maintenir l’énergie des gens qui sont sous sa responsabilité et d’orienter cette énergie dans une direction ou un but. Telle est la réelle tâche d’un gestionnaire.

Aujourd’hui, le leadership n’est pas simplement associé à une position hiérarchique, il est également associé à une qualité d’interaction interpersonnelle en lien avec le niveau d’énergie suscité. C’est le gestionnaire-leader.