Article publié dans l'édition Automne 2010 de Gestion

Portée par la pression grandissante, le sentiment d’urgence et la course effrénée à l’efficience, l’organisation du travail entraîne de nouvelles souffrances, comme le stress, la violence, la dépression, l’épuisement professionnel ou le harcèlement au sein du personnel.

Symbole de cette dégradation des conditions de travail, la récente médiatisation des suicides contraint désormais les dirigeants à imaginer des moyens de compenser les déséquilibres (physiques mais surtout psychiques) causés par le travail. Le sport apparaît alors comme un outil pertinent pour régénérer la forme sur le plan mental et augmenter la productivité des employés.


LIRE AUSSI : « Sport et plein air : une croissance qui ne s’essouffle pas »


En effet, des études menées par le National Institute of Mental Health ont souligné, dès 1987, les bienfaits de l’activité sportive sur la santé mentale1 (INSERM, 2008). Plus récemment, des auteurs (Fox, 1999; Penedo et Dahn, 2005) ont estimé que les preuves étaient suffisantes pour avancer que l’exercice physique agit positivement sur l’état psychologique des individus.

Cela nous amène à un double questionnement : comment, dans l’entreprise, le sport peut-il concrètement améliorer la santé mentale des employés? Comment peut-on aider les dirigeants à promouvoir le sport au travail?

Après avoir décrit les bienfaits de la pratique sportive pour la santé des employés (et son impact sur les employeurs), nous énumérerons l’éventail des usages du sport susceptibles d’agir sur la santé des salariés. Nous verrons notamment que l’offre sportive peut avoir des incidences sur la santé mentale des personnes qui ne pratiquent aucune activité physique dans le milieu de travail.

Puis, nous examinerons les conditions de la mise en œuvre – et de la réussite – d’un programme sportif de même que les moyens d’inciter les salariés à faire du sport. Nous indiquerons ainsi les leviers à actionner pour promouvoir le sport au travail et pour vaincre certaines résistances susceptibles de freiner son développement.

Les bienfaits du sport pour les employés

Dans cette partie, nous décrivons les avantages que peuvent retirer les employés de la pratique du sport.

L’amélioration de la santé mentale

Essentiellement pratiqué à l’heure du midi, le sport est susceptible d’améliorer la santé mentale des employés. Lorsqu’ils s’y adonnent régulièrement et de façon modérée sur les lieux de travail, le sport contribue à limiter leur stress.

Des employés conçoivent aussi l’activité sportive comme un soutien moral, un outil nécessaire à la réussite professionnelle. D’autres employés insistent sur l’effet «régénérateur» et sur l’aspect «exutoire» ou «échappatoire» de la pratique du sport : «Lorsque je sors à midi gonflée à bloc à cause des choses qui me stressent, je cours et je reviens en pleine forme. Ça me fait oublier mes soucis et je peux reprendre mes dossiers d’une manière plus sereine.»

«Les effets du sport se ressentent si l’on a eu une matinée chargée. Ça nous amène à adopter une autre démarche qui est tout à fait constructive pour l’entreprise et pour l’ambiance de travail. On peut alors repartir et subir à nouveau de la pression jusqu’à la fin de la journée.»

«Le sport fait évacuer la pression. Ça a des répercussions sur mon bien-être. Je me sens bien quand j’ai couru, ça m’aère l’esprit.»

«Je l’ai ressenti lorsque j’ai commencé à faire du tennis l’année dernière. À ce moment-là, je travaillais sur un projet qui me prenait beaucoup de temps et me stressait énormément. Je n’étais pas très expérimenté et mon moral en a pris un coup. Le tennis m’a réellement aidé.»

«Le sport me fait un grand bien. C’est de l’oxygène en plus. Je repars du bon pied, de bonne humeur. Je suis plus détendue.»

Un cadre souligne le «défoulement que permet le sport, qui aide à gérer le stress quotidien». Convaincue qu’elle a été «sauvée» de la dépression en «se mettant au sport entre midi et deux heures», une employée explique comment elle est parvenue à «canaliser [ses] pulsions négatives» : «Quand j’étais à la piscine, à chaque mouvement de brasse, je pensais à mon patron en me disant : «Tu vas voir, je t’aurai bien!» Ça me permettait de me calmer, et c’est vrai qu’après je voyais un peu plus la vie en rose.»

À l’appui des témoignages recueillis dans le cadre de nos entretiens, d’autres études ont montré que le sport peut améliorer la santé mentale en augmentant le goût de vivre, en réduisant le stress, l’anxiété et la dépression légère, mais aussi en accroissant l’estime de soi et l’équilibre psychologique et émotionnel (INSERM, 2008).

Une meilleure Intégration sociale des employés

Le sport a aussi un impact social en facilitant l’intégration des employés et en permettant de tisser des liens et des réseaux de communication qui peuvent être exploités par la suite dans les activités liées au travail. Il offre également aux employés la possibilité de dévoiler une facette de leur personnalité et ainsi de décloisonner certains rapports hiérarchiques. Les rapprochements facilités par le sport peuvent parfois même donner une autre image des salariés, leur permettre de se découvrir sous un autre angle.

«J’ai discuté récemment avec un salarié qui arrivait de l’étranger. Il a débarqué ici, à Strasbourg, et on a fait le point sur son intégration. Il m’a dit (je l’ai noté) : "L’association sportive a été pour moi le meilleur facteur d’intégration." Le fait de faire du tennis, ça lui a permis de rencontrer des gens en dehors du travail, de se socialiser avec ses collègues.»

«Le sport présente l’intérêt de mélanger des gens sans que ça se voie. Une fois qu’on est en short, on a enlevé l’uniforme.»

«Le mélange des personnes qu’on trouve dans le sport permet d’enlever cette espèce de masque que tout le monde peut avoir au travail. Ça désinhibe un petit peu.»

«À l’usine, un des directeurs venait courir à midi avec nous. On courait à trois ou quatre. Ça lançait un message très fort aux gens : «Je ne suis pas que le directeur, que celui qui prend les décisions, bonnes ou mauvaises. Je suis avant tout un homme, je suis comme vous, je ne parle pas que du travail, je prends ma douche avec vous.» Ça démystifie les gens et ça donne d’eux une image plus sympathique.»

Les bienfaits du sport pour les employeurs

La pratique d’un sport au travail peut s’avérer bénéfique non seulement pour les employés, mais aussi pour les employeurs.

La réduction des absences et des accidents de travail ainsi que l’amélioration des performances

La pratique sportive régulière de la part des employés contribue directement à diminuer le taux d’absentéisme; elle a donc un effet sur la performance de l’entreprise. En s’appuyant sur l’enquête intitulée Stress, pratiques sportives et monde du travail menée par un groupe de médecins du travail, la Fédération française du sport d’entreprise (FFSE, 2006) a pu faire la preuve que les employés sportifs ont moins d’accidents du travail et moins d’arrêts de maladie que les employés sédentaires, et qu’en outre la durée moyenne de l’incapacité ou des absences est plus courte, et cela d’autant plus que l’activité physique est pratiquée régulièrement. Le sport peut ainsi avoir tout aussi bien un rôle préventif qu’une fonction curative.

Notre enquête montre aussi que le sport peut agir sur la santé mentale des employés sédentaires, dont une grande majorité trouvent qu’il est important que l’entreprise propose des services variés, même s’ils n’en bénéficient pas directement.

«J’aime autant que les installations soient ici, car on sait que cette initiative est rentabilisée; elles existent et on ne se demande pas où est passé l’argent!»

«C’est très bien que cela convienne à un certain type de personnes. Les gens qui pratiquent des sports sont contents; au moins, pour ceux-là, je suis satisfaite.»

L’amélioration de l’attraction, de l’engagement et de la mobilisation des employés

Dans l’ensemble, les salariés – qu’ils pratiquent ou non des sports – se déclarent «fiers» d’appartenir à une entreprise qui «prend soin» d’eux. Ils sont nombreux à parler de «chance» lorsqu’ils évoquent leur environnement de travail.

D’ailleurs, faire partie d’une entreprise aussi «prestigieuse» est déjà un élément constitutif de ce sentiment de privilège qui les habite, et qui pousse certains à dire que tout le monde envie les gens qui travaillent dans leur entreprise. Cette impression d’être des «élus» de l’entreprise est renforcée par l’existence d’une offre diversifiée de services, à commencer par le sport.

«C’est formidable qu’une entreprise fasse quelque chose pour que le personnel se sente bien», avance un autre employé. Précisons que les membres de la direction nourrissent aussi ce sentiment de privilège.

Par exemple, une directrice déclare que «le sport contribue à la création d’images positives de l’entreprise et de l’employeur et renforce la fierté qu’on peut ressentir : «Moi, je fais partie d’une boîte où il y a des gens qui courent, où l’on fait des actions positives.» Qu’il soit pratiqué ou non, le sport contribue ainsi à renforcer l’attrait des entreprises qui le promeuvent à l’interne.

Outre la création d’images positives grâce au sport – et des sentiments de fierté et d’appartenance à l’entreprise –, de nombreux employés interprètent l’offre sportive proposée comme une rétribution symbolique. Cette rétribution a, d’après eux, deux fonctions majeures.

D’une part, elle leur donnerait davantage envie de s’engager dans l’entreprise et pour elle : «C’est fou, tout ce qu’ils nous offrent! Il y a plein de petits avantages comme le sport, et moi ça me donne envie d’être efficace pour l’entreprise.» L’environnement de travail «luxueux» qui leur est fourni favoriserait ainsi leur mobilisation.

D’autre part, l’offre sportive, associée à d’autres services destinés aux employés, est susceptible de compenser une charge de travail ou un stress excessifs tout en contribuant à renforcer la proactivité des salariés. Cette perception de l’offre sportive comme un don contribue à faire naître chez les salariés le sentiment qu’ils sont redevables à l’entreprise des efforts qu’elle consent.

Ainsi, même s’ils ne pratiquent pas de sport dans le milieu de travail, l’offre de services qui leur est proposée les incite à «être à la hauteur» de ce que réalise pour eux l’entreprise.

«C’est donnant-donnant. D’un côté, on accepte le fait que la charge de travail va augmenter et, de l’autre, des services et des activités sportives leur sont offerts, ce qui allège un peu leur fardeau quotidien.»

«Sans même avoir à l’exprimer, il y a une pression et on a envie d’être à la hauteur de l’entreprise. Notre firme est exigeante parce qu’elle nous met dans un environnement exceptionnel de facilité, de créativité.»

Comment augmenter la pratique du sport dans l’entreprise?

La diversité des activités sportives ainsi que des participants nous amène à distinguer différentes «actions sportives» menées dans l’entreprise qui n’ont assurément pas les mêmes propriétés ni les mêmes bénéfices pour la santé des salariés en fonction de leur intensité, de leur fréquence et du lieu de la pratique du sport.

Comme l’illustre le schéma 1, ces actions sportives peuvent être distinguées en fonction de leur localisation (dans le cadre même de l’entreprise ou en dehors de celui-ci) et de leur récurrence (pratiques internes proposées en permanence versus stages sportifs ponctuels), mais aussi en fonction de l’engagement physique qu’elles réclament (pratique du sport versus valeur symbolique), même si certaines modalités de la pratique du sport englobent plusieurs de ces dimensions simultanément.

Le sport sur les lieux ou pendant le temps de travail

L’offre sportive provenant des employeurs peut se caractériser par la présence d’infrastructures sportives. Ces dernières se composent la plupart du temps d’une salle d’entraînement comprenant des appareils de musculation (utilisés surtout par des hommes) et d’une salle dédiée à la pratique du conditionnement physique et de ses activités dérivées (gymnastique, danse, yoga, etc.) qui, traditionnellement, attire davantage de femmes.

Notons que la majorité des sièges sociaux des grandes entreprises2 possèdent actuellement ce type de structures. Par exemple, au siège social de Generali France, les employés peuvent pratiquer des activités de conditionnement physique et de musculation, mais aussi se détendre au sauna ou au hammam.

Les cadres et les ingénieurs de Ferrari, en Italie, disposent d’une salle équipée de multiples appareils de musculation. Enfin, aux États-Unis, un des emblèmes de cette offre plurielle de services sportifs reste le Googleplex, où les salariés du siège international peuvent jouer au volley de plage, se détendre dans deux piscines privées ou profiter des espaces de remise en forme mis à leur disposition.

Les employeurs peuvent également encourager quelques sportifs assidus à créer une association sportive. En France, quelque 2 000 clubs sont recensés (dont 663 étaient affiliés à la Fédération française du sport d’entreprise en 2008). L’intérêt de ces compétitions pour les dirigeants est que les employés peuvent assouvir leurs besoins sur les lieux de travail tout en constituant les porte-drapeaux de l’entreprise. Ce type d’actions sportives facilite également l’établissement d’un réseau de relations, même si certains discours restent parfois mystificateurs3.

L’avènement du sport virtuel est plus original. En effet, la présentation du logiciel informatique fit@work, littéralement «gym au bureau», expose le principe de cet usage atypique du sport – ou plutôt de l’exercice physique – dans l’entreprise : «Sans bouger de votre siège, Kim, une superbe prof de conditionnement physique, va vous aider à entretenir votre forme grâce à quelques exercices dont elle seule a le secret.»

Développée en 2001 dans le but d’atténuer la fatigue des salariés générée par une station assise prolongée devant leur ordinateur, cette animation par ordinateur permet de faire du sport sans sortir du bureau et sans même requérir les compétences ni même la présence d’un animateur diplômé. Cette pratique, relativement marginale, se prolonge par l’arrivée massive au sein des entreprises de consoles de jeu qui imposent une mise en mouvement du corps.

Le sport en dehors des lieux ou du temps de travail

La pratique sportive peut également répondre à une stratégie de gestion visant la cohésion des équipes. Pour cela, certains employeurs organisent des stages de motivation et de consolidation d’équipe (souvent animés par des consultants) pour inciter les cadres à adopter certains comportements de gestion : esprit d’équipe, coopération, entraide, gestion du stress et du temps, etc.

Les formateurs jouent sur les images, les symboles, les connotations et les rites inspirés du monde du sport pour susciter chez les participants des schèmes mentaux et encourager ainsi un transfert des réactions qu’ils adoptent pour faire face aux situations artificielles du stage vers des situations professionnelles.

Les stages de motivation et de consolidation d’équipe sont davantage destinés à créer des synergies entre les groupes sociaux de l’entreprise; ils influent davantage sur un fonctionnement plus fluide des réseaux de communication interne que sur la santé mentale du personnel (Burlot et Pichot, 2004).

Les employeurs peuvent également organiser des rencontres ou des tournois sportifs entre employés d’une même organisation (intra-entreprise), avec les employés d’autres entreprises (interentreprises) mais aussi se livrer à des matchs contre des étudiants des grandes écoles.

À titre d’exemple, Danone organise chaque année la Danone Nations Cup, une coupe du monde de soccer qui rassemble 10 000 employés du groupe qui, après des phases de qualification, peuvent se retrouver dans un même emplacement (à Miami en 2009) pour s’affronter à l’occasion des phases finales (ils étaient plus de 1 000 à avoir fait le déplacement).


LIRE AUSSI : « Que faut-il pour favoriser la santé psychologique de ses employés ? »


Comme le précise Franck Riboud, le P.D.G., l’objectif est que «les salariés prennent conscience qu’ils appartiennent à un groupe international». Une enquête interne réalisée par la suite révèle que pour plus de 50 % des participants, les matchs permettent de «mieux connaître les collègues d’autres entités du groupe et les valeurs de l’entreprise» (Entreprise & Carrières, 2006 : 23). Précisons sur ce point que des travaux (Wann et Pierce, 2005; Wann et Weaver, 2009) ont souligné la relation étroite existant entre l’identification à une équipe sportive et un certain bien- être mental.

Les employeurs peuvent enfin, au moyen du comité d’entreprise, contribuer au financement d’un abonnement à un gymnase extérieur à l’entreprise. On estime que la quasi-totalité des grandes entreprises propose actuellement, en France, ce type de service.

On retiendra que si les modalités de pratiques sportives externes à l’entreprise demeurent variées, il est plus difficile d’évaluer leur impact sur la santé mentale des employés; toutefois, on a pu déterminer qu’elles influent davantage sur le lien social les unissant ainsi que sur leur mobilisation au travail.

La pratique sportive auto-organisée

Si nous avons souligné différentes modalités de pratiques sportives dans l’entreprise, on aurait tort de croire que ces dernières sont toujours organisées par l’employeur. Il faut savoir qu’une majorité de salariés sportifs s’y adonnent en toute autonomie et, en France, le sport dans l’entreprise consiste essentiellement en des pratiques individuelles ou collectives auto-organisées.

Certains employés se regroupent pour créer des sections sportives qu’ils engagent çà et là dans des championnats dits «corporatifs». D’autres s’arrangent pour faire de la course à pied entre collègues le midi. Restreintes aux activités ne nécessitant pas particulièrement d’infrastructures (course à pied versus natation), les pratiques concernées sont celles qui peuvent être exercées grâce à l’entreprise (un terrain ou du matériel mis à la disposition du personnel, des vestiaires, des douches, etc.).

C’est là que les employeurs ont un rôle à jouer : ils doivent mettre en place différents dispositifs qui facilitent, voire encouragent, la pratique sportive auto-organisée. Ainsi, l’installation de vestiaires et de douches semble être un investissement minimal pour promouvoir la pratique sportive à l’interne.

Les disciplines les plus populaires sont certes les activités de remise en forme, mais aussi la course à pied, le vélo de montagne et le soccer. Précisons que les pratiques sportives qui sont les moins tributaires de structures, de matériel et du nombre de participants (comme les sports collectifs) demeurent les plus prisées. Cela est d’autant plus vrai lorsque les sports sont, comme le badminton ou le patin à roues alignées, parfaitement mixtes (Muller, 2005).

Il est à noter que les femmes sont proportionnellement plus attirées que les hommes par des disciplines comme le conditionnement physique, le yoga, la danse et la natation. À l’inverse, les hommes privilégient les sports collectifs, la musculation, la pétanque et la plupart des sports de raquette (notamment le squash et le tennis).

Dans l’ensemble, les employés préfèrent faire du sport le midi (60 %), tandis qu’ils sont 34 % à s’adonner à une activité sportive dans l’entreprise après leur journée de travail (entre 17 et 20 heures), les 6 % restants commençant leur journée par une séance de sport (Pierre, 2009).

Symboles, commandites, recrutement et conférenciers promouvant le sport

Les usages sportifs dans l’entreprise peuvent aussi prendre une dimension symbolique. C’est le cas lorsqu’une entreprise parraine un athlète, une équipe ou un événement sportif et qu’elle associe ses employés à son action de parrainage à l’interne en organisant par exemple des jeux-concours4.

La commandite sportive, utilisée pour motiver les employés, est alors susceptible de favoriser la conduite du changement, ce qui a été observé chez Nike, Visa ou encore au Crédit Lyonnais (Farrelly et Greyser, 2007). En parrainant une équipe de football, les dirigeants se donnent la possibilité de communiquer, par exemple, sur la variation des tactiques en fonction de l’adversaire de même que sur le nécessaire changement des acteurs (qui peuvent être tantôt titulaires, tantôt remplaçants).

La dimension symbolique du sport prime également au cours de l’intervention de figures renommées du sport. Des conférenciers sportifs interviennent parfois dans l’entreprise pour construire des ponts entre l’univers du sport et celui de l’entreprise et de transmettre à des salariés – souvent des gestionnaires, des cadres ou des représentants commerciaux – des recettes de management, des savoir-faire (anticipation, préparation, investissement, etc.), des savoir-dire et des savoir- penser (analyse réflexive).

Ces «modèles» sportifs, qui sont souvent d’anciens entraîneurs et sportifs de haut niveau, ont pour fonction, en raison de l’expertise et de la légitimité que leur confère leur carrière, de «faire faire» à d’autres (Féménias et Evrard, 2008). Ces savoirs partagent la caractéristique d’être avant tout pragmatiques, c’est-à-dire fondés sur des expériences sportives issues du terrain (Burlot et al., 2010).

Ils donnent également le sentiment aux employés d’entrer dans l’intimité de «vedettes» réputées intouchables. S’ajoute alors un sentiment de reconnaissance vis-à-vis de l’entreprise qui permet cette rencontre inédite et inattendue.

Par ailleurs, la souplesse symbolique du sport est telle que, pratiqué dans l’entreprise, il offre un dédoublement du regard sur le monde social : par exemple, les jeux mondiaux d’entreprise renvoient à de nombreuses significations, comme le sentiment de représenter son pays, de jouer pour son entreprise, la cohésion d’un groupe de salariés ou la disparition des frontières hiérarchiques.

Les dirigeants peuvent alors puiser dans le réservoir métaphorique du sport toute une rhétorique dédiée à la mobilisation des employés. Culte de la performance, esprit de compétition, rendement, productivité, combativité, abnégation, classement, esprit d’équipe : certaines notions généralement attribuées à l’univers du sport peuvent se transformer en de véritables valeurs. Les métaphores sportives dans le discours des dirigeants sont également susceptibles de faciliter la diffusion de messages internes, comme c’est le cas pour ce directeur, qui déclare :

«C’est comme un coach et une équipe au début du championnat. On se fixe des objectifs, puis on se donne des moyens. Si on veut jouer à la Coupe d’Europe l’année prochaine, il faut qu’on soit dans les six premiers au classement. On peut aussi simplement vouloir jouer au soccer entre copains. Mais si on est dans l’élite, ce qui est intéressant, c’est d’être le premier.

Le coach s’engage donc à recruter des éléments qui formeront une équipe forte. Ensuite, on donne les conditions de travail (entraînements à fond, etc.). La personne qui a sué sang et eau toute la saison et qui va pouvoir jouer à un niveau très élevé se dit, elle, gagnante.»

La Promotion du sport dans l’entreprise : sur qui repose-t-elle?

En France, la promotion du sport sur les lieux de travail est du ressort du comité d’entreprise, du moins dans les entreprises comptant plus de 50 salariés. Si l’engagement de ce comité peut être patent (création et gestion d’associations, de manifestations et de sorties sportives), il n’est pas rare qu’il se limite à un investissement financier pour prendre en charge en tout ou en partie les frais d’inscription à l’espace sportif de l’entreprise ou à un club extérieur.

Cependant, notre enquête révèle que deux autres acteurs, physiques ou moraux, interviennent régulièrement et de façon importante dans la promotion du sport : les dirigeants et les salariés sportifs.

En effet, il arrive que des dirigeants, convaincus des bienfaits de l’exercice physique, décident de valoriser la pratique et d’élaborer une offre adaptée. Or, il est intéressant de constater que cette volonté, tout comme le choix des sports promus, se justifie souvent par leur propre capital à la fois entrepreneurial et sportif.

Ainsi, l’ex-directeur des ressources humaines d’Adidas avait mis au point au début des années 1980 une offre de basket-ball. Or, son récit de vie laisse apparaître qu’il est président d’un grand club de basketball local.

Au-delà de l’influence directe de patrons passionnés de sport, un des secrets de la réussite est d’avoir des relais internes, c’est-à-dire de confier une partie de l’organisation, de la promotion et de l’animation à un ou plusieurs salariés sportifs. Dans toutes les entreprises étudiées, nous avons rencontré des salariés de la base qui prenaient des initiatives.

Chez Steelcase, par exemple, l’offre sportive se compose d’une association comprenant deux sections (course à pied et tennis). Or, l’actuelle section «course à pied» est née du regroupement de trois coureurs assidus qui ont souhaité s’entraîner dans le cadre de l’entreprise.

Quelques années plus tard, le groupe rassemblait 39 adhérents qui se lançaient régulièrement des défis, ce qui a séduit les dirigeants, à commencer par la directrice de la communication : «En 2006, ils étaient une vingtaine à vouloir participer au marathon de Berlin. Ils ont souhaité le faire pour une noble cause et ont cherché eux-mêmes des commanditaires qui seraient prêts à leur payer les kilomètres parcourus. Au final, en plus des 20 000 euros récoltés pour une association caritative, nous avons pu largement relayer leur initiative à l’interne. C’est génial que certains prennent ce type d’initiative! Le projet a concerné toute l’entreprise, et ça a été un franc succès.»

La promotion du sport dans l’entreprise : quelques exemples

Pour promouvoir la pratique du sport dans une entreprise, il convient tout d’abord de faciliter l’installation de structures annexes (vestiaires et douches), qui, sans nécessiter un investissement important, permettront tout au moins à l’en- semble des salariés de s’adonner, de manière autonome, à des disciplines nécessitant peu de matériel et d’infrastructures (comme la course à pied).

À défaut de disposer de suffisamment de place pour installer une salle d’entraînement, par exemple (la pratique la plus en vogue actuellement), on peut, comme chez Cortal (groupe BNP Paribas), installer des appareils dans une salle le temps d’une séance. Souvent aussi, des entreprises d’un même secteur géographique répartissent leurs investissements pour faire construire un espace commun.

C’est le cas du complexe Capital 8 : édifié par le Club Med Gym Corporate, il regroupe les cadres de plusieurs entreprises dans un espace de conditionnement physique de 300 mètres carrés à Paris. Ainsi, 16 appareils d’entraînement cardiovasculaire sont à la disposition des employés, qui peuvent également bénéficier de cours collectifs donnés par un professeur venant de l’extérieur.

Quels que soient le budget et les modalités de la pratique du sport, il est préférable que l’offre sportive s’accompagne d’une communication «douce», c’est-à-dire d’une invitation à la pratique du sport qui soit dosée pour éviter de faire naître un sentiment de culpabilité chez les employés sédentaires.

Différents canaux peuvent être utilisés pour cela : un intranet, des dépliants professionnels, le courrier électronique, la diffusion de messages incitatifs sur des écrans plasma, etc. Le cas de Be-Wizz, un programme de santé et de bien-être mis en œuvre par PepsiCo France, peut être cité en exemple.

La société primée possède une salle de conditionnement physique et de musculation et a publié un guide pratique qui dresse une synthèse des principes à adopter pour maintenir une hygiène de vie et bien pratiquer des sports. Elle organise également un cycle de conférences en faisant appel à des personnalités connues dans le monde du sport, mais aussi à des spécialistes de la nutrition et du sommeil.

La légitimité sportive ou scientifique de ces consultants rend leurs conseils À titre d’illustration, le tableau 1 compare les offres sportives d’Adidas, de Nestlé et de Steelcase, les deux premières sociétés étant équipées d’espaces multipratiques (conditionnement physique et musculation).

L’entreprise peut aussi simplement encourager les salariés à reprendre une activité ou à améliorer leur pratique régulière du sport. Pour cela, elle a la possibilité de financer les frais d’inscription à des événements sportifs extérieurs à l’entreprise.

Par exemple, les salariés de Steelcase, s’ils portent un tee-shirt estampillé par les couleurs de l’entreprise, se voient rembourser leurs frais d’inscription aux courses locales. D’autres entreprises, comme PepsiCo, proposent un examen médical complet et gratuit tous les deux ans permettant de faire un bilan de santé physique et mentale.

L’idée est de faciliter la vie des salariés au travail et en dehors du travail, en considérant une prise en charge globale de la personne. Des entreprises peuvent aussi offrir du temps propice à la pratique du sport, par exemple en libérant les salariés de leurs obligations pour qu’ils puissent faire du sport durant les heures de travail5. Il est également conseillé d’organiser (ou de faire organiser par des salariés motivés) des «moments forts», comme ces «foulées du vendredi» où quelques salariés de PepsiCo se retrouvent à heure fixe et courent ensemble.

Quoi qu’il en soit, il convient de mettre en œuvre une politique concertée : plus les salariés sont engagés au départ dans le processus de décision, plus ils ont de chances de pratiquer un sport assidûment par la suite et d’assurer la durabilité de l’offre sportive.

D’autres techniques, plus draconiennes, peuvent aussi être utilisées pour inviter les employés à pratiquer le sport sur place. Le cabinet américain de conseil en management George Group a eu une initiative pour le moins originale. Il payait les employés prêts à s’adonner régulièrement à une activité dans l’entreprise : «Nous encourageons financièrement les initiatives destinées à réduire le stress et à améliorer la santé à travers un programme innovateur de bonification.

Pour chaque session d’exercice (jusqu’à 4 fois par semaine) où la fréquence cardiaque du salarié atteint son seuil aérobie pendant 20 minutes, nos collaborateurs gagnent 10 $. Ce programme est administré sur la base d’une déclaration sur l’honneur» (http://www.georgegroup.com/careers_benefits.php; consulté en 2006, traduction libre).

La chaîne d’hôpitaux Clarian Health Partner pénalise, depuis 2009, les employés «trop gros» en leur faisant débourser jusqu’à 30 $ en cas d’objectif pondéral non atteint, et ce, toutes les deux semaines (Jasor, 2007). Si cette décision alimente de vifs débats dans la mesure où les salariés qui prennent de l’embonpoint font déjà l’objet d’une discrimination, elle enjoint clairement à ces derniers de s’adonner à une activité sportive.

Toutefois, la meilleure promotion reste la volonté individuelle, l’envie de chacun de «s’y mettre». La motivation intrinsèque sera vraisemblablement plus durable, les systèmes de motivation extrinsèque (la carotte et le bâton) ne tenant pas longtemps pour des personnes dont la motivation personnelle n’est pas vraiment ancrée. Le cas de Luc, un coach, est instructif à cet égard (voir l’encadré 2).

Les défis à relever

Il serait naïf de croire que tous les programmes de promotion du sport suscitent nécessairement un enthousiasme collectif. Différents freins ralentissent traditionnellement l’implantation et la promotion du sport : au-delà du traditionnel manque de temps, certaines entreprises, notamment celles implantées au centre de grandes villes, souffrent d’un manque de place.

Dans certains cas, les directeurs des ressources humaines confient que les ressources financières sont limitées et qu’ils peinent à inciter les salariés à s’adonner au sport. Parfois, la crainte des effets soporifiques du sport est avancée. Un cadre de Nestlé (un ex-athlète de très haut niveau) note qu’«après une séance de sport on a tendance à s’endormir et l’après-midi on a du mal à se concentrer».

Toutefois, le principal frein observé est le manque de connaissance et de sensibilité de certains dirigeants. Une dirigeante de Steelcase affirmait sans ambages : «Je n’ai pas que ça à faire, réunir les cadres pour parler de sport.» Trop occupée à gérer des «problèmes plus sérieux» et indifférente aux bienfaits potentiels de la pratique, elle ne veut pas prendre le temps d’y réfléchir.

Conclusion

Certains auteurs, comme Sonnentag et Jelden (2009), ont montré à quel point l’exercice d’une activité stressante au quotidien s’avère difficilement compatible avec la pratique assidue d’un sport après les heures de travail.

Or, notre enquête montre que près des trois quarts des employés des grandes entreprises du secteur tertiaire se déclarent prêts à pratiquer une activité sportive sur leurs lieux de travail (Pierre, 2009). De là vient la nécessité pour les entreprises de mettre au point une offre sportive sur les lieux de l’entreprise, au moment où la pression exercée sur les employés s’accroît et où la dégradation de la santé génère souvent des coûts à la fois visibles (frais médicaux, roulement, absentéisme) et cachés (performance insuffisante, mauvaise image, faible attractivité, souffrance au travail).


LIRE AUSSI : « Comment améliorer le bien-être psychologique au travail ? »


Outre un certain nombre d’effets directs (et attendus) comme l’augmentation du bien-être physique et mental, le sport génère des effets diffus. On a ainsi pu voir que le taux d’absentéisme était corrélé avec la fréquence de la pratique sportive.

De même, pour les salariés qui s’y adonnent, le sport permet aussi bien de réduire le stress que d’accroître l’estime de soi ou de renforcer la sociabilité. Plus surprenant encore, le sport est également susceptible d’agir sur les salariés sédentaires, en ce sens qu’il est perçu comme une rétribution symbolique donnant envie aux employés de s’investir, au nom des efforts que réalise pour eux leur entreprise.

Enfin, on peut émettre l’hypothèse que la promotion et la pratique du sport contribuent pour l’ensemble des salariés à un meilleur apprentissage des nouveaux usages au travail.

Cela joue le rôle d’«amortisseur» social, en soulageant la souffrance au travail née d’une compétition excessive, des exigences d’autonomie et d’autoévaluation ainsi que de la nouvelle répartition des rôles entre vie au travail et vie en dehors du travail.


Notes

1 La santé mentale est définie par l’Organisation mondiale de la santé comme «un état complet de bien-être mental et social» propice à l’accomplissement d’un «travail productif et fructueux». Nous proposons de compléter cette définition avec celle de ryff et Keyes (1995), pour qui le bien-être mental est constitué :

  • d’une bonne estime de soi et d’une évaluation positive de sa vie;
  • de bonnes relations avec les autres;
  • d’une sensation de maîtrise de sa vie et de son environnement;
  • de la sensation de pouvoir prendre ses propres décisions et d’être autonome;
  • de la capacité de donner un sens à sa vie;
  • de la possibilité de se sentir dans la continuité de son développement personnel.

2 En France, on estime que les trois quarts des sièges sociaux des plus grandes entreprises (de plus de 500 salariés) proposent à leurs salariés de pratiquer une activité sportive sur place (Pierre, 2009).

3 «Alors qu’on échange traditionnellement les fanions entre deux équipes, ici ce sont les cartes de visite qui circulent, le rite se concrétisant même parfois par une embauche!» (http://www.ffse.fr, consulté en mars 2008).

4 Les représentants commerciaux de Champion qui réalisaient les meilleurs chiffres d’affaires gagnaient une journée au cœur de la caravane du tour du France lorsque la marque était partenaire de l’événement.

5 Cette technique, parfois qualifiée de «bénévolat d’entreprise», est observée de plus en plus souvent : dans le cadre de sa poli- tique de responsabilité sociale, l’entreprise offre aux salariés, de façon plus ou moins contrainte, la possibilité d’être bénévoles au profit d’associations extérieures préalablement sélectionnées (Bory, 2008).

Références

Bory, a. (2008), «syndicaliste et/ou bénévole : mécénat d’entreprise et engagement dans le monde de l’entreprise», Revue de l’IRES, n° 57-2, p. 141-167.

Burlot, F., Pichot, l. (2004), «l’événement sportif et la cohésion des salariés en entreprise», dans Desbordes, M. (dir.), Stratégies des entreprises dans le sport, economica, p. 221-248.

Burlot, F., Pierre, J., Pichot, l. (2010), «la construction d’un savoir légitime en entreprise : le recours aux managers sportifs et la fabrication de croyances collectives», Sciences de la société, à paraître.

Entreprise & Carrières (2006), no 817, 27 juin – 3 juillet, p. 23.

Farrelly, F.J., Greyser, s.a. (2007), «sport sponsorship to rally the home team», Harvard Business Review, n° 85-89, septembre, p. 22-24.

Féménias, d. Evrard, B. (2008), «des livres des entraîneurs. Éléments de sociologie du récit», Médiatiques – Revue de l’observatoire du récit médiatique, n° 42, p. 29-36.

FFSE (Fédération française du sport d’entreprise) (2006), Stress, pratiques sportives et monde du travail, enquête nationale épidémiologique menée auprès de 2 436 salariés par des médecins du travail et du sport, 9 pages.

Fox, K.r. (1999), «the influence of physical activity on mental well- being», Public Health Nutrition, n° 2, p. 411-418.

INSERM (2008), Activité physique : contextes et effets sur la santé, les éditions inserm.

Jasor, M. (2007), «les entreprises veulent des salariés en forme», Les Échos, 20 août, p. 12.

Muller, l. (2005), La pratique des activités physiques et sportives en France, Ministère des sports et INSEP.

Penedo, F.J., dahn, J.r. (2005), «exercise and well-being: a review of mental and physical health benefits associated with physical activity», Current Opinion in Psychiatry, n° 18, p. 189-193.

Pierre, J. (2009), S’investir corps et âme en entreprise. Contribution à une sociologie de la mobilisation des cadres par le sport, thèse en sciences et techniques des activités physiques et sportives (STAPS), université de strasbourg.

Ryff, C.d., Keyes, C.l.M. (1995), «the structure of psychological well-being revisited», Personality and Social Psychology Review, n° 69, p. 719-727.

Sonnentag, s., Jelden, s. (2009), «Job stressors and the pursuit of sport activities: a day-level perspective», Journal of Occupational Health Psychology, n° 14, p. 165-181.

Wann, d.l., Pierce, s. (2005), «the relationship between sport team identification and social well-being: additional evidence supporting the team identification social-psychological health model», North American Journal of Psychology, n° 7, p. 117-124.

Wann, d.l., Weaver, s. (2009), «understanding the relationship between sport team identification and dimensions of social well-being», North American Journal of Psychology, n° 11, p. 219-230.