Lorsqu’une équipe est constituée de sous-groupes dispersés géographiquement, les conflits ont tendance à se multiplier. Pourquoi ce type de configuration attise-t-il les tensions, et surtout, comment les désamorcer?

Au sein d’une organisation, il arrive que tous les collaborateurs ne se trouvent pas dans un seul et même lieu, mais soient répartis en différents endroits. C’est le cas, par exemple, lorsqu’une organisation possède plusieurs établissements dans une région, un pays ou à l’international. L’équipe est alors divisée en sous-groupes qui se trouvent dans des emplacements différents.

Or, les recherches démontrent que lorsqu’une équipe est constituée de deux ou plusieurs sous-groupes, des problèmes de coordination, de partage des connaissances et de conflits peuvent surgir. Les défis sont également plus nombreux en ce qui concerne l’engagement des employés envers leur organisation et leur implication dans leur travail.

En pareils contextes, les gestionnaires ont un rôle important à jouer pour gérer les contraintes liées à la configuration de l’équipe. Ils peuvent intervenir de différentes manières pour aplanir les difficultés.

Anticiper les contraintes

En quoi l’existence de sous-groupes nuit-elle à l’harmonie? Tout d’abord, les employés auraient tendance à s’identifier à leur propre sous-groupe et non à l’équipe entière. Cela finit par générer des tensions et des conflits entre les sous-groupes, notamment parce qu’ils ne connaissent pas forcément leurs coéquipiers qui travaillent à distance.

Si on ajoute à cette dispersion spatiale des différences temporelles, en raison du décalage horaire, par exemple, la complexité de la situation s’en trouve accrue, ce qui exerce des contraintes importantes sur la coordination du travail à accomplir, et l’efficacité en pâtit.

Le nombre de personnes constituant les sous-groupes est également un facteur à surveiller. Si l’un d’eux compte davantage de membres que l’autre, cela peut accroître les risques de tensions. Les membres du groupe minoritaire auront le sentiment que leur opinion n’est pas prise en compte et que les décisions leur sont imposées par la majorité. La recherche montre d’ailleurs que la configuration en sous-groupes de tailles différentes pose des défis supplémentaires liés à l’influence de la majorité.

Au sein d’une équipe, d’autres regroupements peuvent se former, notamment selon les affinités des personnes, les genres et les origines ethniques. Les efforts et l’investissement de chacun dans le travail d’équipe peuvent aussi varier, ce qui est susceptible de générer une certaine frustration entre coéquipiers et de cristalliser les tensions liées à la distance entre les sous-groupes.

Paradoxalement, alors que la pandémie a vu émerger des groupes de travail éclatés dont les membres étaient isolés et œuvraient à distance, les conflits ont été moins nombreux, car on n’était pas en présence de sous-groupes. Dans ce cas, on a observé l’émergence d’une nouvelle forme de configuration caractérisée par l’isolement de certains membres.

Les avantages de la distance géographique

La configuration d’une équipe constituée de sous-groupes dispersés géographiquement présente toutefois des avantages. Les équipes ainsi formées feraient preuve, par exemple, de plus de créativité. Ce type de configuration serait donc plus fréquent dans le cadre de projets d’innovation ou de recherche et développement dans les entreprises. En gérant adéquatement les difficultés, les gestionnaires pourraient tirer parti de cette créativité accrue.

Ces différents constats sur l’organisation du travail soulèvent aussi une réflexion plus profonde sur le travail à distance et la façon optimale de créer une culture qui dépasse les murs de l’entreprise. Plus que jamais, les gestionnaires devront se questionner sur les meilleures pratiques pour créer un esprit de corps et un sentiment d’appartenance au sein de leurs équipes, et ce, quelle que soit la configuration de celles-ci.

Trois astuces pour éviter les conflits

Lorsque leurs équipes sont constituées de sous-groupes séparés géographiquement, les gestionnaires doivent relever différents défis. Pour mieux contrôler et réduire les sources de conflits, ils doivent demeurer attentifs à certains éléments spécifiques.

1 - Comprendre et gérer «l’effet millefeuille»

Tout d’abord, il faut choisir quels médias seront utilisés pour communiquer au sein de l’équipe et dans quelles circonstances. Force est de constater qu’au cours des dernières années, les outils de communication se sont multipliés, auxquels il faut encore ajouter les réseaux internes propres à chaque organisation. Or, l’utilisation de ces réseaux internes ne permet pas d’éliminer l’usage du courrier électronique1. On observe donc un effet d’empilement des différents moyens de communication qu’on appelle «l’effet millefeuille»2.

Ce dernier n’est pas nécessairement associé à une surcharge. En effet, les résultats d’une étude menée chez un constructeur automobile3 mettent en évidence que l’effet millefeuille peut prendre différentes formes. Il peut notamment être planifié par les gestionnaires pour une meilleure intégration des divers moyens de communication.

Des mesures peuvent cependant être prises afin de réduire la superposition des messages envoyés sur les différents médias. Pour y arriver, les organisations doivent mettre en place une charte définissant l’usage des divers moyens de communication afin d’éviter le risque de redondance et la duplication des messages. En l’absence d’une telle réflexion, la confusion risque de régner, accentuant ainsi les problèmes d’interprétation des messages et le risque de tensions.

2 - Créer un contexte de coprésence en dépit de la distance

Il faut aussi tenter de recréer un contexte équivalent à celui du mode présentiel pour réduire au maximum le sentiment de distance et de manque de cohésion. L’une des solutions proposées consiste à créer un espace virtuel où l’on pourra renouer les conversations de façon naturelle, comme on le faisait au bureau autour de la machine à café…

Parfois, un simple coup de fil suffirait à dissiper un malentendu, mais bien souvent, on préférera envoyer un courriel, augmentant ainsi le risque des problèmes d’interprétation de la communication écrite et l’escalade des conflits. En choisissant des moyens de communication qui permettent de recréer les conditions de la communication face à face, une équipe réduit les contraintes liées à la distance entre les sous-groupes. En effet, les réseaux internes sont des plateformes collaboratives qui facilitent les échanges entre les membres susceptibles de s’y rencontrer, de se voir, de se parler et de s’écrire. Ces outils réduisent donc les contraintes imposées généralement par la communication écrite.

3 - Gérer l’influence de la majorité

Pour éviter de s’éparpiller et optimiser la communication, il est également nécessaire de coordonner le travail entre les sous-groupes. À cet égard, le fait de désigner au sein de chacun d’entre eux un représentant qui sera chargé de communiquer avec son vis-à-vis dans les autres sous-groupes facilite la coordination entre les membres qui travaillent à distance et réduit les risques de conflit.

En outre, il est nécessaire que les gestionnaires soient conscients des problèmes qui peuvent se poser si les sous-groupes ne sont pas tous de la même taille. Il faut alors surveiller la naissance de conflits découlant de l’influence de la majorité. Il importe aussi de s’assurer d’inclure les membres des différents sous-groupes dans le processus de décision pour éviter tout sentiment de frustration. Pour y parvenir, on peut, par exemple, solliciter leur avis de façon systématique, les inclure dans les discussions et les inciter à agir de façon proactive.

Article publié dans l’édition Hiver 2024 de Gestion


Notes

1- Boukef, N., et Charki, M. H., «The millefeuille theory revisited: New theoretical lenses to understand the millefeuille effect», Systèmes d’Information et Management, vol. 24, n° 2, 2019, p. 47-83.
2- Kalika, M., Charki, N. B., et Isaac, H., «La théorie du millefeuille et l’usage des TIC dans l’entreprise», Revue française de gestion, n° 172, 2007, p. 117-129.
3- Boukef, N., et Kalika, M., «La théorie du millefeuille, le rôle du contexte», Systèmes d’Information et Management, vol. 11, n° 4, 2006, p. 29-54.