Article publié dans l'édition été 2016 de Gestion

En créant un lien avec les communautés d’entrepreneurs, les incubateurs et les accélérateurs deviennent des lieux d’exploration. Mais comment les grandes entreprises peuvent-elles véritablement tirer profit de cette proximité et exploiter ces structures à leur plein potentiel ?

Les entreprises s’ouvrent désormais aux communautés d’entrepreneurs en mettant en place des incubateurs et des accélérateurs internes. Leur enjeu principal consiste à apprendre à se servir de ces structures non seulement pour assurer une veille stratégique sur les nouvelles tendances portées par des entrepreneurs mais surtout pour associer les forces de la grande entreprise à la créativité de ces communautés d’entrepreneurs dans une démarche structurée de cocréation. En réalisant des entrevues auprès d’une dizaine d’incubateurs et d’accélérateurs dans différents pays et divers secteurs d’activité, nous sommes parvenus à déterminer comment les entreprises dont les initiatives d’incubation et d’accélération ont produit des résultats sont parvenues à maximiser leurs partenariats avec les communautés d’entrepreneurs.


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Des programmes d’accompagnement différents

Les incubateurs et les accélérateurs sont des programmes d’accompagnement d’entreprises en phase de démarrage. L’incubateur a pour mission d’accompagner un entrepreneur dans le processus de validation d’une nouvelle idée d’affaires. L’accélérateur, pour sa part, accueille des entreprises en phase de pré-commercialisation et les accompagne dans la formalisation des opérations et des canaux de ventes, en plus de mobiliser un réseau pour accélérer leur processus de mise en marché. L’incubateur est donc un outil d’exploration tandis que l’accélérateur appuie surtout l’exploitation de l’entreprise en démarrage.

Alors que les incubateurs et les accélérateurs se propagent dans le monde entier sous l’impulsion d’universités ou d’organismes tels que le Founder Institute ou Tech Stars, les entreprises leur ont emboîté le pas. Selon un rapport du Boston Consulting Group paru en 2014, les organisations les plus importantes dans divers secteurs d’activité ont commencé à se doter d’incubateurs etd’accélérateurs à un rythme soutenu au cours des huit dernières années. Dans le domaine des télécommunications, par exemple, aucune des 30 entreprises possédant la plus grosse valeur marchande n’en était dotée en 2008. Six ans plus tard, c’était le cas de 47 % de ces entreprises.

Des enjeux communs

Les entrepreneurs intègrent ces programmes avec un bagage de connaissances, avec des objectifs qui leur sont propres et avec des attentes envers le programme auquel ils participent. Pour eux, il est essentiel que leur projet soit appuyé par les ressources de l’organisation, que ce soit au moyen d’une expertise technologique ou réglementaire ou encore grâce à des conseils d’affaires. Or, les grandes entreprises accueillent pour leur part des entrepreneurs ou des entreprises en démarrage dans l’espoir de cibler un produit ou une technologie susceptible de contribuer à la diversification de leurs activités ou à l’amélioration de leur proposition actuelle de valeur.

Si ces deux objectifs semblent incompatibles, plusieurs exemples démontrent que l’entreprise et les communautés d’entrepreneurs parviennent souvent à définir des enjeux communs dans le cadre desquels elles pourront collaborer, et ce, à leur avantage mutuel. Pour ce faire, la clé réside dans l’établissement de mécanismes de socialisation, que ce soit par l’entremise de rencontres bilatérales, de dîners-conférences, d’occasions de réseautage, etc. Ce n’est qu’en échangeant sur les enjeux qui leur sont propres que les deux parties parviennent à comprendre leurs compétences respectives, de même que les complémentarités qu’elles pourraient utiliser comme leviers dans la création d’un produit, d’un service ou d’un modèle d’affaires inédit. Ces trois règles simples maximisent le potentiel des initiatives d’incubation et d’accélération mises en œuvre par des entreprises.

1 - Recruter pour atteindre un but

Que ce soit pour renforcer les compétences clés d’une entreprise ou pour s’inspirer de modèles d’affaires émergents, la mise en place d’un incubateur ou d’un accélérateur doit être réalisée afin d’atteindre un objectif clair, sans quoi les efforts de repérage et de recrutement seront trop diffus.

L’enjeu, ici, consiste à attirer le plus rapidement possible les communautés les plus pertinentes pour l’entreprise et à intensifier ses relations avec elles en maintenant le message véhiculé dans les écosystèmes entrepreneuriaux.

Alors que plusieurs entreprises affirment mettre en place des incubateurs pour diversifier leurs sources de revenus sur un horizon défini, nous suggérons plutôt que les entreprises soient plus transparentes quant à la vision qu’elles tentent de réaliser. Ainsi, mieux vaut communiquer ses besoins que ses intentions. Les entreprises veulent-elles capitaliser sur l’émergence de l’imprimerie 3D ? Sur l’exploitation de mégadonnées ? Sur la miniaturisation de plusieurs technologies ? Les signaux doivent être clairs auprès des entrepreneurs afin de les motiver et de les convaincre.

Cela dit, les objectifs énoncés lors de l’élaboration risquent d’évoluer en raison de l’exposition aux idées de différentes communautés dont les entreprises sont proches. Il demeure donc pertinent de se rapprocher de communautés dont les caractéristiques ne sont pas parfaitement cohérentes avec la stratégie initiale mais qui pourraient l’être avec la vision future de l’entreprise.


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2 - Établir des canaux de communication bien définis

Une fois recrutées, les communautés accueillies doivent absolument être intégrées convenablement. Pour fertiliser les entreprises avec de nouvelles connaissances, les incubateurs et les accélérateurs doivent générer des interactions entre les employés d’une entreprise et les communautés d’entrepreneurs qu’elles accueillent. Sans nuire à l’agilité des incubés en leur imposant les processus d’innovation stricts et souvent contraignants des grandes entreprises, ces dernières peuvent néanmoins avoir recours à de bonnes pratiques pour tirer profit de leur proximité avec des communautés d’entrepreneurs.

Les frontières politiques, structurelles et cognitives comptent parmi les principaux facteurs qui freinent le partage d’idées et de connaissances au sein des entreprises. En formalisant des canaux et des activités concrètes de communication, les entreprises se dotent d’outils essentiels pour collaborer avec les entrepreneurs.

L’intensification des relations entre les communautés et avec les employés de l’entreprise d’accueil permet de favoriser l’établissement d’une confiance mutuelle essentielle au partage de connaissances et d’informations.

Une meilleure connaissance des participants entre eux aura pour effet d’accélérer l’apprentissage et la compréhension des connaissances partagées au sein de l’incubateur par les différents acteurs. Ces échanges favorisent, par exemple, la diffusion d’un esprit entrepreneurial dans la grande entreprise, la mobilisation du savoir organisationnel et des connaissances à caractère technologique ainsi que le partage de connaissances à propos d’un secteur d’activité en particulier.

En systématisant des activités de partage, l’entreprise qui met en place un incubateur ou un accélérateur conscientisera ses employés aux contributions potentielles des communautés externes d’entrepreneurs à l’entreprise et, en retour, à celles de ses employés aux projets des communautés entrepreneuriales. Il s’agit d’un moyen de formaliser une dynamique de partage sans inhiber la créativité des participants.

3 - Le gestionnaire de l’incubateur doit être un facilitateur

Le gestionnaire d’incubateur ou d’accélérateur joue un rôle fondamental favorable au maintien de la perméabilité des frontières de l’entreprise et à la collaboration avec les communautés d’entrepreneurs.

À cette fin, il doit être parfaitement au fait des intentions stratégiques du dirigeant et des cadres de l’entreprise, en plus d’entretenir un important réseau tant à l’intérieur de l’entreprise qu’au sein d’écosystèmes réunissant des fonds d’investissement, des communautés de pratiques, des entrepreneurs, etc.

Grâce à sa position de relais et de transmetteur de connaissances, ce gestionnaire peut influencer les projets en fonction de sa lecture de l’environnement, et ce, en actionnant les bons mécanismes ou en communiquant avec des individus clés au sein de l’entreprise d’accueil. Le gestionnaire d’incubateur ou d’accélérateur est également un facilitateur en ce sens qu’il aide à surmonter l’enjeu de la rareté des ressources pour les communautés d’entrepreneurs – en mobilisant au besoin des ressources de la grande entreprise – tout en supervisant la création, le partage et l’utilisation des connaissances.

Le gestionnaire d’incubateur ou d’accélérateur joue un rôle de transmission, de coordination et d’ajustement entre différentes perspectives dans le but d’atteindre un objectif commun.

Par la cocréation de projets communs, autant les entreprises que les communautés d’entrepreneurs parviennent à repousser leurs propres limites et à créer de nouvelles connaissances en combinant leurs savoirs respectifs dans la résolution d’un problème permettant de créer de la valeur autrement, d’enrichir les bases de connaissances de l’entreprise et de soutenir le projet de l’entrepreneur dans sa concrétisation et sa mise en œuvre.

En mettant en place des incubateurs et des accélérateurs, les entreprises s’offrent une vitrine sur les tendances émergentes, un laboratoire pour expérimenter autour de thèmes porteurs pour leur pérennité et une structure ayant la capacité de propager chez leurs employés un esprit entrepreneurial.