Article publié dans l'édition été 2016 de Gestion

Quel est le point commun entre Fujitsu, une grande entreprise japonaise du monde des technologies de l’information, et TechShop, une jeune PME californienne ? La volonté de cultiver les communautés locales d’inventeurs et d’entrepreneurs. Comment les leaders qui souhaitent mener des projets collaboratifs susceptibles de dépasser leurs frontières organisationnelles peuvent-ils s’inspirer de leur expérience ?

De nombreuses collaborations entre les grandes organisations et les entreprises en démarrage échouent parce que le processus de construction des équipes (teaming) n’est pas pris en compte. Faire équipe représente une activité dynamique qui repose sur l’état d’esprit et les pratiques de travail des personnes impliquées plutôt que sur les éléments de design (composition, structure, normes et coaching, par exemple) au cœur de la compréhension traditionnelle des équipes performantes. En soutenant la construction des équipes, les leaders peuvent donc favoriser le succès de ces collaborations.


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Un choc des schémas d’interprétation

Former une équipe au-delà des frontières disciplinaires et organisationnelles crée un choc pour les personnes impliquées. En effet, au fur et à mesure que nous œuvrons dans un domaine donné, nous développons de solides schémas d’interprétation qui font en sorte que nos réflexions sont guidées par des référents presque automatiques ou par des hypothèses qui sont tenues pour acquises. Quelque chose d’aussi commun que les mots que nous utilisons au quotidien peuvent avoir des définitions distinctes pour différents groupes. Nos schémas d’interprétation peuvent aussi orienter notre approche face à un problème. Comme les domaines d’expertise, les organisations représentent des institutions qui moulent nos schémas d’interprétation. Toute organisation affiche une culture qui lui est propre, qui oriente la réflexion de ses membres en fonction de certaines valeurs et qui influence ainsi leurs comportements et décisions.

Comment, dès lors, deux organisations différentes aussi bien par leur taille que par leur culture peuvent-elles s’associer dans un projet commun ?

Unir ses forces pour propulser sa capacité créative

La PME TechShop, leader dans son domaine, est une pionnière de ce qu’on appelle la maker culture1. Répondant à la demande grandissante dans le domaine du « faites-le vous-même » (do it yourself), cette entreprise de San Francisco met donc à la disposition de sa clientèle, moyennant un abonnement, des ateliers de fabrication avec des machines très sophistiquées et offre en outre des séances de formation. Fujitsu, la plus grande entreprise japonaise du secteur des technologies de l’information et de la communication, partage donc avec elle certaines valeurs communes, notamment en matière d’innovation.

quatre pratiques

Illustration Istock

Mais ce qui a surtout réuni ces deux organisations, c’est le désir d’explorer cette industrie naissante qui a pour but de cultiver les communautés locales d’inventeurs et d’entrepreneurs et de propulser leur capacité créative. Parmi leurs projets a notamment émergé « TechShop Inside ! – Powered by Fujitsu », qui rend accessibles des outils technologiques, des équipements industriels et des logiciels de développement pour les plus jeunes.

Mais tout cela n’aurait pas été possible sans la constitution, au préalable, d’une nouvelle équipe. Afin de favoriser ses travaux, certaines pratiques de leadership ont émergé dont nous pouvons à notre tour nous inspirer.

1 - Développer la vision partagée

Les participants doivent en arriver à développer une vision partagée afin de motiver l’effort requis pour réaliser un projet. Nous avons ainsi pu observer les leaders de Fujitsu et de TechShop développer une vision étroitement liée à l’identité et à la mission de leur organisation respective. Ils ont proposé des symboles et un historique qui illustrent comment la culture de Fujitsu – et, de façon plus générale, la culture japonaise – rejoint celle de TechShop. Les personnes impliquées ont bien compris comment les deux organisations valorisent le monozukuri, c’est-à-dire, en japonais, la science et l’art de concevoir et de produire des objets techniques. Les leaders ont aussi souligné que leur collaboration leur a permis d’arrimer leurs objectifs d’affaires à leurs projets à caractère social – « bien faire en faisant du bien » – et ont mis ces valeurs à l’avant-plan tout au long de leur collaboration.

2 - Cultiver la sécurité psychologique

Lorsque nous nous trouvons au sein d’un groupe formé d’individus que nous connaissons peu, il est difficile d’adopter des comportements d’apprentissage consistant, par exemple, à exprimer une idée, à soulever un problème ou à discuter des erreurs commises. Personne ne se lève le matin avec l’objectif d’être perçu comme un individu ignorant, incompétent, importun ou négatif. Les leaders de Fujitsu et de TechShop ont réussi à cultiver un climat de sécurité psychologique pour les participants au cœur de leur collaboration. Pour y arriver, ils ont organisé des rencontres en face-à-face dès le lancement du projet ainsi qu’à d’autres moments clés (lors de la préparation d’importants livrables, par exemple). Les hauts dirigeants de chacune des deux organisations ont pris part à ces rencontres et adopté des comportements d’apprentissage en plus d’inviter les personnes présentes à faire de même. Autrement dit, ils se sont assurés de faire un tour de table afin d’offrir l’espace nécessaire aux personnes impliquées pour qu’elles s’expriment librement. Par exemple, on a pris en compte les idées et les avis de tous les participants au projet en les inscrivant sur un tableau lors des rencontres et en les notant dans les comptes rendus qui devaient être distribués ultérieurement.


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3 - Exploiter les capacités collectives

Tirer profit des capacités de chacun des membres d’une équipe nouvellement formée est particulièrement difficile : en effet, ce groupe n’a pas de mémoire transactionnelle qui lui permettrait de bien saisir qui sait quoi. Coordonner les activités des membres de différentes organisations prenant part à un même projet revêt donc un haut degré d’incertitude en ce qui a trait à la gestion et à la réalisation des tâches. Déjà au courant de l’expérience, les leaders ont mis à profit leur compréhension fine du profil des personnes au sein de leur organisation respective afin d’identifier les meilleures d’entre elles pour la réalisation de certaines tâches. Par exemple, un employé de Fujitsu ayant acquis de l’expérience au sein d’entreprises en phase de démarrage à San Francisco a rapidement été mobilisé, de même qu’un employé de TechShop qui avait vécu au Japon et qui en comprenait bien la culture. Ils ont également aménagé des espaces spécifiquement prévus pour la coordination des activités. Ces rencontres ont permis d’accéder rapidement aux ressources des deux organisations, exploitant ainsi leurs capacités collectives.

4 - Soutenir l’exécution agile

L’innovation étant un processus itératif, il était primordial pour Fujitsu et TechShop d’exécuter les projets de manière agile. Planifier l’ensemble d’un projet innovant avant sa réalisation est ardu et parfois contre-productif. Les participants courent le risque de devenir dépendants du cheminement préétabli, même si celui-ci se révèle sous-optimal. Les leaders des deux entreprises ont ainsi opté pour une planification minimale, apprenant des erreurs commises tout au long de la réalisation. Les personnes responsables de l’exécution du projet n’étaient pas que des exécutants : elles pouvaient se montrer créatives et avaient accès aux ressources nécessaires pour prendre rapidement les décisions tactiques requises.


Note

1. Pour plus d’information, voir l’étude de cas suivante : Edmondson, A. C., et Harvey, J.-F., Open Innovation at Fujitsu (A), cas HBS n° 9-616-034, 2016.