Article publié dans l'édition Hiver 2020 de Gestion

La recherche en gestion a démontré qu’une des caractéristiques fondamentales des systèmes de santé performants est l’existence d’une gouvernance clinique efficace.

Ce constat tire son origine du fait que les médecins doivent s’engager non seulement dans l’activité clinique elle-même mais aussi dans la gestion de tout le processus de soins. Aperçu des conditions nécessaires pour atteindre un fonctionnement optimal.


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La gouvernance clinique est un effort d’exploration concertée qui vise à orienter l’activité clinique en fonction de la valeur ajoutée pour les patients en favorisant la collaboration des multiples acteurs et pouvoirs en présence (corporatifs, syndicaux, gouvernementaux) qui déterminent les processus cliniques1.

Voué à l’amélioration marquée et stable de l’état de santé des patients2, ce type de gouvernance clinique se développe grâce à l’engagement des principaux intervenants concernés, qui forment des équipes souples et matricielles, ce qui les distingue des structures formelles de l’organisation. La gouvernance clinique cherche à combiner trois champs de connaissance spécifiques : la gestion d’équipes, la gestion de projets et la recherche-action.

Un processus au bénéfice des patients

En gouvernance clinique, la meilleure motivation à collaborer au sein d’une équipe vient du partage d’un objectif supérieur, c’est-à-dire d’un but qui dépasse l’intérêt particulier de chaque acteur. L’équipe centre alors son action sur un patient précis, pour lequel on a établi des indicateurs sûrs quant à l’amélioration recherchée de son état de santé.

Il peut s’agir entre autres d’indicateurs de qualité ou de continuité de services, ces indicateurs devant être associés le plus rigoureusement possible à l’état de santé des patients.

Le principe de la gouvernance clinique reconnaît l’importance du caractère transversal de l’activité clinique. La qualité du travail d’équipe est d’autant plus significative lorsque tous ses membres comprennent le processus auquel ils contribuent.

Ainsi, il s’agit non pas d’une simple collaboration à des activités d’envergure restreinte où chacun a un rôle défini et limité mais plutôt d’une préoccupation partagée de contribuer de façon distinctive à l’obtention en commun d’un résultat supérieur pour les patients.

Toutefois, pour qu’une équipe adhère entièrement à un processus de soins, il importe d’en limiter la variabilité. Il est ainsi souhaitable que l’équipe travaille auprès de patients pour lesquels on a établi un processus de soins qui a obtenu un large consensus.

On agit donc ici dans un cadre qui permet de conserver une souplesse d’action et qui s’avère un terreau fertile à l’élaboration d’un projet-pilote où les professionnels travailleront ensemble pour définir la portée de leurs actions.

Une équipe interdisciplinaire et autonome

Les processus de soins étant souvent complexes, le principe de gouvernance clinique s’appuie aussi sur la multiplicité des expertises requises pour en permettre le déploiement. Il s’agit non pas d’une simple combinaison d’expertises mais d’un véritable travail interdisciplinaire.

Ce principe conçoit l’équipe comme une plateforme d’expérimentation destinée à faire émerger de nouvelles connaissances et à en favoriser le partage. Au bout du compte, cela se traduit par de nouvelles normes de pratique à disséminer dans l’organisation.

De plus, le caractère unique de chaque processus de soins milite en faveur d’une gestion de type « projet » décentralisée, qui peut bénéficier d’une certaine autonomie d’action et d’une marge de manœuvre décisionnelle.

Cette forme d’organisation des soins pose évidemment la question de l’exercice du leadership au sein d’une telle équipe. Les membres auront à tour de rôle l’occasion d’influencer le déroulement du processus de soins selon leurs compétences respectives.

Toutefois, il semble souhaitable que l’ensemble du processus soit confié à un responsable, celui-ci devenant en quelque sorte un gardien du sens. Cette personne met en œuvre les initiatives et les rattache aux résultats visés auprès des patients concernés. Cette responsabilité envers les patients confère ainsi une grande légitimité au processus, ce qui permet à l’équipe de demeurer concentrée sur l’objectif défini.

Le soutien de la haute direction est une condition sine qua non, à la fois pour stimuler l’équipe et pour affirmer la légitimité du responsable du processus. La clé du succès? L’équipe doit proposer une vision focalisée sur la valeur ajoutée pour les patients. De son côté, la direction doit exprimer son intérêt à être constamment informée des résultats obtenus par l’équipe.

Ces deux éléments contribueront à centrer les efforts de chacun sur les résultats souhaités tout en permettant à l’équipe de bénéficier d’un soutien particulier, la direction reconnaissant par le fait même le caractère unique du processus de soins dans lequel son équipe est engagée.

Apprentissage et partage des résultats

Au départ, une équipe rassemble tous les contributeurs nécessaires au déploiement d’un processus de soins particulier, mais on peut en modifier la composition si elle estime avoir besoin de nouveaux experts.

Cette façon de faire correspond à ce qu’il est convenu d’appeler un « cycle apprenant3 » (voir l’encadré ci-dessus), où un ensemble de caractéristiques (type de gouvernance, données probantes, résultats de recherche, culture organisationnelle, etc.) s’emboîtent pour permettre l’amélioration et l’innovation en continu4.

Afin de bien s’approprier le principe de la gouvernance clinique et d’intégrer les composantes du cycle apprenant, quelques contributeurs organisationnels (gestionnaires, professionnels, cliniciens et patients-partenaires) s’avèrent essentiels pour concevoir adéquatement le processus de soins optimal et, surtout, pour le mettre en œuvre avec succès.


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Toutefois, la véritable valeur de ce travail d’équipe apparaîtra dans l’institutionnalisation des nouvelles pratiques. L’objectif ultime de l’apprentissage organisationnel consiste à documenter les processus de soins et à former les équipes afin qu’elles comprennent bien leur rôle et leurs objectifs.

Ainsi, les processus de soins élaborés par une équipe ne doivent pas être le simple fruit de la collaboration entre divers acteurs. Ils constituent plutôt une nouvelle façon d’enrichir les connaissances, transférables et éventuellement adaptables à d’autres processus de soins.


Notes

1 Pomey, M.-P., Denis, J.-L., et Contandriopoulos, A.-P., « Un cadre conceptuel d’analyse de la gouvernance clinique dans les établissements de santé », Pratiques et organisation des soins, vol. 39, n° 3, juillet-septembre 2008, p. 183-194.

2 Veenstra, G. L., Ahaus, K., Welker, G. A. , et al., « Rethinking clinical governance : healthcare professionals’ views – A Delphi study », BMJ [British Medical Journal] Open, vol. 7, n°1, janvier 2017.

3 Roy, D. A., Galdin, M., et Barrette, R., « Créer de la valeur en santé et services sociaux : quels défis pour les gestionnaires? », présentation faite dans le cadre du Programme national de développement des leaders en santé des services sociaux, ministère de la Santé et des Services sociaux du Québec, 17 avril 2019.

4 Lavis, J. N., Gauvin, F.-P., Reid, R., Bullock, H., Wodchis, W., et Hayes, A., Rapid Synthesis – Creating A Rapid-Learning Health System in Ontario (document en ligne), Hamilton (ON), McMaster Health Forum, 2018, 62 pages.

5 Belrhiti, Z., Nebot Giralt, A., et Marchal, B., « Complex leadership in healthcare: a scoping review », International Journal of Health Policy and Management, vol. 7, n° 12, décembre 2018, p. 1073-1084.