Article publié dans l'édition automne 2018 de Gestion

Au Québec, les soins de santé sont généralement prodigués par une multitude de services, ce qui occasionne des délais et parfois un manque de cohérence. On a ainsi élaboré, notamment pour mieux traiter les maladies chroniques, une organisation « par processus » afin de dispenser les soins de manière plus fluide et mieux coordonnée autour des besoins des patients. Il reste néanmoins beaucoup de chemin à parcourir. État des lieux.

Le réseau de la santé est un système vaste et complexe. Les gouvernements qui se sont succédé à Québec depuis environ quatre décennies ont tenté de le rendre plus performant et plus efficient, avec un succès relatif.

En règle générale, ce n’est pas la qualité des soins et des services offerts par le réseau qui est en cause. La compétence des professionnels n’est pas remise en question elle non plus. Le principal défi réside plutôt dans la coordination de toutes les composantes du système. Bien souvent, le fonctionnement en silo nuit au déploiement d’un véritable suivi clinique dit transversal, c’est-à-dire centré sur l’état de santé des patients.

Pour relever ce défi, une des voies porteuses consiste à élaborer une organisation transversale des soins entre les divers établissements ou groupes d’intervenants concernés par un problème de santé spécifique qui peut toucher plusieurs patients. C’est ce qu’on nomme généralement les « trajectoires de soins ».


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Les trajectoires : paramètres de réussite

Le secret du succès de la gestion des soins par processus repose sur quelques conditions essentielles qui, toutefois, peuvent bouleverser les pratiques établies de longue date.

1-      Le patient au cœur du processus

Certes, le patient est au cœur de l’activité de tout clinicien. Cependant, au-delà de l’effort individuel, les trajectoires de soins ont pour but d’organiser le travail clinique de façon à ce que les efforts de tous les intervenants soient coordonnés et centrés sur les besoins et sur le mieux-être du patient. En d’autres termes, est-il possible de mieux concevoir et de mieux planifier les services afin d’éviter les longues périodes d’attente et, de cette façon, d’accroître la fluidité des soins et des services ? Peut-on constituer un dossier véritablement partagé afin d’éviter, par exemple, que le patient doive répéter son historique médical à chaque intervention ? Est-il possible de mettre fin aux duplications inutiles de services et aux réévaluations constantes de l’état de santé du patient ?

2-      Une compréhension commune du processus

Les différents acteurs cliniques ont toutes les compétences requises pour effectuer adéquatement les activités dont ils sont responsables. Cependant, plusieurs d’entre eux ne comprennent pas bien le processus global auquel ils contribuent, c’est-à-dire qu’ils sont peu au courant de ce qui a été fait avant eux et de ce qui sera fait par la suite auprès d’un même patient.

À l’inverse, au sein d’une équipe bien rodée à l’exécution d’un processus de soins, chacun connaît parfaitement la contribution attendue des autres intervenants. Cette compréhension partagée accroît l’efficience, la valeur et la pertinence du travail de tous les professionnels impliqués.

3-      Les mécanismes de coordination

En 2015, afin d’améliorer la coordination et la performance du réseau, on a fusionné des établissements de santé, faisant passer leur nombre de 182 à 34. Toutefois, la création de ces mégastructures n’a pas produit l’effet de synergie escompté. Cette concentration a accentué la complexité du système en plus de mener à l’abolition d’environ 1 700 postes de cadres qui agissaient souvent comme points de jonction essentiels dans le réseau.

De manière générale, peu de mécanismes formels de collaboration ont été mis en place afin de pallier ces départs. Lorsqu’on souhaite rendre un processus de soins plus collaboratif, il faut : 1- avoir une plateforme pour partager l’information ; 2- formaliser et normaliser les rapports entre les divers intervenants pour favoriser la fluidité de l’activité ; 3- standardiser les pratiques afin d’accroître la fiabilité des diverses mesures de performance relatives aux soins donnés. Même si de telles mesures, absolument essentielles, peuvent être perçues comme de l’ingérence dans l’autonomie professionnelle des cliniciens, la cohérence du processus de soins en dépend.

4-      Les bons indicateurs de performance

On doit tenir compte d’indicateurs plus diversifiés que la seule qualité des actes cliniques individuels. Il faut surtout chercher à établir la véritable valeur du processus global que doit suivre chaque patient. Il s’agit non pas de mesurer la seule performance des établissements, des services et des groupes professionnels impliqués dans les processus de soins mais bien d’en évaluer la valeur ajoutée pour l’état de santé des patients. Ces indicateurs doivent jauger non seulement l’efficience du processus, notamment grâce à l’évaluation de la satisfaction du patient, mais aussi l’efficacité du processus destiné à améliorer l’état de santé du patient. Quand on aborde ces questions sous l’angle des trajectoires de soins, l’efficacité du système de santé ne doit donc pas se mesurer par rapport à chacun des silos qui le composent mais plutôt en fonction de l’expérience globale des usagers.


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Pour des processus de soins et des services performants

L’adoption de paramètres de réussite requiert un effort considérable et sou- tenu. La difficulté ici vient du fait qu’il s’agit davantage d’un changement de culture que d’un changement de structure. En effet, il faut définir les meilleures façons d’améliorer la coordination et l’arrimage entre les différents services, acteurs et institutions du réseau de la santé. Dans les établissements eux-mêmes, on tente depuis de nombreuses années de trouver une solution.

Au départ, on y avait élaboré ce qu’on a appelé les « programmes clientèle » en regroupant dans une même structure tous les intervenants concernés par un problème de santé particulier. Constat à la suite de cet effort : un tel regroupement était trop vaste pour qu’on puisse vraiment comprendre les besoins de ces usagers. Aujourd’hui, on explore plutôt la création de trajectoires de soins en ciblant des clientèles beaucoup plus spécifiques.

Les plus récents travaux menés par le Pôle santé HEC Montréal dans ce domaine permettent de croire que la gestion transversale ne serait réaliste qu’à échelle restreinte. Le ciblage d’une population bien précise qui nécessite des soins spécifiques apparaît essentiel. Par conséquent, il serait irréaliste de concevoir des trajectoires pour des personnes âgées, pour des femmes enceintes ou pour des diabétiques, par exemple, parce que chacun de ces groupes comprend un trop grand nombre de particularités pour y imposer des processus standardisés efficaces. Si on veut mettre en œuvre ces changements d’envergure, mieux vaut d’abord viser quelques sous-groupes formés de clientèles vulnérables au sein d’un même établissement. C’est en créant progressivement ces trajectoires spécifiques et personnalisées que les établissements réussiront à intégrer dans leur culture de véritables valeurs de performance et de collaboration.