Depuis le début de la pandémie, en mars 2020, les centres-villes du Canada souffrent. Moins fréquentés par les travailleurs et les étudiants, ces moteurs économiques des grandes métropoles cherchent à se réinventer.

Après la crise sanitaire, ce sont maintenant le télétravail et la pénurie de main-d’œuvre qui expliquent les taux d’inoccupation élevés des locaux commerciaux dans les centres-villes. Ces deux facteurs bouleversent les anciens calculs concernant l’espace de bureaux dont les entreprises ont besoin.

Les données sur les taux d’inoccupation au quatrième trimestre de 2022 en témoignent. Le marché national de l’immobilier de bureaux affichait ses pires résultats trimestriels : une absorption nette négative de 2,1 millions de pieds carrés, selon CBRE. Pas moins de 90% de ces pertes de pieds carrés ont été enregistrées à Toronto. Le taux d’inoccupation s’élevait à 13,6% dans son centre-ville, ce qui le plaçait au troisième rang, derrière Vancouver et Ottawa.

«Les étudiants sont revenus après la pandémie, mais bien que nous assistions à la renaissance de certains quartiers autour de l’Université de Toronto et de la rue Harbord, la réalité des grandes tours de bureaux est bien différente», souligne John Kiru, directeur général de la Toronto Association of Business Improvement Areas (TABIA).

John Kiru explique que le télétravail, la circulation ardue entre Toronto et sa banlieue de même que l’insécurité dans les transports en commun nuisent à la relance du centre-ville. Il s’inquiète des décisions que prendront les entreprises au cours des deux ou trois prochaines années. «C’est difficile de savoir lesquelles renouvelleront leur bail, quitte à sous-louer une partie de leur espace, et lesquelles quitteront le centre-ville», admet-il.

Déjà, Shopify a renoncé à un espace de 254 000 pieds carrés qu’elle devait occuper dans une nouvelle construction. Selon John Kiru, Toronto doit s’efforcer d’attirer de nouveaux types d’entreprises dans le centre-ville et, surtout, se montrer imaginative. Certains espaces de garage pourraient par exemple se transformer en petits centres de distribution. Des camions pourraient y livrer leurs colis la nuit, puis les entreprises les distribueraient le jour avec des livreurs à vélo. Cela aiderait aussi à fluidifier la circulation.

Il croit surtout que les centres-villes doivent devenir des milieux où les gens ont envie de vivre, de travailler et de se divertir. La ville et les promoteurs immobiliers doivent offrir des projets qui répondent à ces besoins.

Calgary à la recherche de diversification 

Toujours durant le quatrième trimestre de 2022, la situation était encore plus difficile à Calgary, où le taux d’inoccupation dans le centre-ville s’élevait à 32,6%. Cette augmentation s’est amorcée vers 2015, avec l’effondrement des prix de l’énergie qui a fait mal aux entreprises installées dans cette ville albertaine. La pandémie en a amplifié les effets négatifs.

«Nous voyons actuellement deux réalités sur le marché, fait remarquer Deborah Yedlin, présidente et cheffe de la direction de la Chambre de commerce de Calgary. Il y a une demande assez forte pour les bureaux dans les immeubles de grande qualité, mais beaucoup moins pour les édifices plus âgés ou de moindre qualité.»

Certains propriétaires d’immeubles ont donc entrepris des rénovations ou apporté des améliorations afin de répondre aux attentes du marché. La Ville de Calgary a également mis sur pied un programme pour encourager la transformation de certains immeubles de bureaux en immeubles résidentiels ou en logements abordables. La Chambre de commerce milite en outre pour que les établissements d’enseignement postsecondaire s’installent au centre-ville. Elle aimerait notamment y voir des résidences étudiantes.

Le centre-ville pourrait également profiter des efforts de la province pour diversifier son économie. Rien n’est rejeté du revers de la main. L’entreprise Agriplay, par exemple, construit des fermes verticales dans des espaces commerciaux inoccupés des centres-villes. «Nous devons regarder toutes les options et avoir l’esprit ouvert», assure Deborah Yedlin.

Repenser le coeur de Montréal

Le centre-ville de Montréal, pour sa part, arrivait au cinquième rang avec un taux d’inoccupation de 16% au cours de ce même trimestre de 2022. Les données de CBRE montrent que ce taux a diminué pour ce qui concerne les immeubles de qualité supérieure (catégorie A), alors qu’il a augmenté significativement du côté des édifices de catégorie B. Les bureaux en sous-location deviennent aussi très populaires.

«Nous constatons également une diversification des entreprises qui souhaitent s’installer au centre-ville, notamment de jeunes pousses technologiques et des sociétés de jeux vidéo, explique Michel Leblanc, président et chef de la direction de la Chambre de commerce du Montréal métropolitain (CCMM). Cela pourrait créer une nouvelle dynamique dans ce quartier.»

La CCMM garde évidemment un œil sur l’évolution du retour des travailleurs au bureau. Elle évaluait que 81% d’entre eux s’y rendaient en septembre 2022, mais surtout à temps partiel. «Nous estimons qu’environ 90% des employés reviendront, mais que 10% ne reviendront pas, parce que leur poste ou même leur entreprise seront entièrement en télétravail, avance Michel Leblanc. Cependant, beaucoup de ceux qui fréquenteront ces lieux de travail le feront à temps partiel.»

En juillet 2022, la CCMM proposait cinq axes d’intervention pour soutenir la relance du centre-ville : le renforcement de son attractivité, le maintien relatif de son abordabilité pour les résidents et les entreprises, l’excellence de l’architecture et du design, l’amélioration du transport ainsi que le verdissement et la densification des espaces. «Ce doit être plaisant d’y habiter, d’y travailler et de s’y divertir», affirme Michel Leblanc.

Le président et chef de la direction de la CCMM estime aussi que la grande concentration d’universités au cœur de Montréal constitue un bel avantage. Il croit par ailleurs que les employeurs peuvent contribuer à la revitalisation du centre-ville en offrant à leur personnel des horaires qui permettent d’éviter les bouchons de circulation, en absorbant certains coûts, comme le remboursement des titres de transport en commun, et en aménageant des espaces agréables à fréquenter.

Avantage Rive-Sud?

La Rive-Sud de Montréal pourrait-elle profiter de la désaffection des travailleurs pour le centre-ville de la métropole? «Bien sûr, plusieurs organisations dont les employés ne souhaitent plus se rendre au centre-ville de Montréal s’intéressent à nos espaces, mais des entreprises déjà situées sur la Rive-Sud revoient aussi à la baisse la superficie des bureaux dont elles ont besoin», note Julie Ethier, directrice générale de Développement économique de l’agglomération de Longueuil (DEL). Au quatrième trimestre de 2022, le taux d’inoccupation des bureaux de la Rive-Sud restait, à 15,7%, comparable à celui du centre-ville de Montréal.

Une étude réalisée pendant la pandémie par la firme Aviseo Conseil indique toutefois que la Rive-Sud connaît un certain engouement depuis plusieurs années. «L’étude montre une croissance annuelle de près de 7% de la demande de bureaux depuis 2012, souligne Julie Ethier. C’est la plus forte augmentation dans le grand Montréal.»

DEL a élaboré une stratégie d’attraction qui vise cinq secteurs d’activité : l’industrie 4.0 ; le génie logiciel et les TI ; les jeux vidéo ; l’assurance, l’assurtech et la finance ; ainsi que les soins virtuels et les soins de santé. «L’idée est de miser sur nos forces, sans bien sûr écarter d’autres options qui pourraient se présenter, explique Marie-Élaine Beaudoin, directrice de l’exportation et de l’attraction chez DEL. Par exemple, nous trouvons plusieurs parcs industriels sur la Rive-Sud, c’est donc un bon endroit pour développer l’industrie 4.0.»

Le développement des centres-villes se concentre beaucoup autour des principaux axes de transport en commun, que ce soit le métro de Longueuil ou les stations du REM à Brossard. Les municipalités développent des projets résidentiels à haute densité dans ces quartiers afin de créer des centres-villes dynamiques. Reste à voir l’impact que ces nouveaux quartiers auront sur le cœur de Montréal.

Article publié dans l'édition Été 2023 de Gestion