Les hautes directions et les conseils d’administration (CA) restent trop souvent la chasse gardée d’hommes blancs hétérosexuels, au détriment des femmes et des membres de groupes minoritaires tels les personnes racisées ou celles de la communauté LGBTQ+. Pas facile de céder du pouvoir!

Les premiers efforts de diversité ont visé la parité hommes-femmes. Pourtant, les hautes directions d’entreprises et les CA en restent loin, constate Louise Champoux-Paillé, administratrice et chargée de cours à l’École des sciences de la gestion de l’UQAM. «Les femmes occupaient environ 6% des postes des CA à la fin des années 1980, contre un peu plus de 25% maintenant, donc on voit une amélioration, mais très lente», déplore-t-elle.

Les hautes directions n’offrent pas un portrait plus reluisant. Dans un récent rapport sur 610 sociétés cotées en Bourse au Canada, les Autorités canadiennes en valeurs mobilières (ACVM) notaient qu’un tiers d’entre elles n’affichait aucune femme dans leurs fonctions de direction et qu’un autre tiers en comptait une seule. En 2017, le McKinsey Global Institute alertait qu’aucun progrès notable n’avait été effectué au Canada en matière de parité en vingt ans et que combler l’écart entre les sexes risquait de nécessiter jusqu’à 180 ans.

«Les femmes sont très diplômées et présentes en nombre et en qualité sur le marché du travail, mais continuent de se voir sous-représentées au sommet de la pyramide», s’attriste Louise Champoux-Paillé.

Plusieurs barrières entravent leur carrière. «Elles prennent souvent du retard lorsqu’elles s’absentent pour avoir des enfants et restent plus accaparées par les tâches ménagères et les soins aux enfants et aux aînés», note Caroline Codsi, présidente et fondatrice de l’association La Gouvernance au Féminin. En 2015, les femmes au Canada passaient en moyenne 1,5 heure par jour de plus que les hommes à effectuer une tâche non rémunérée comme activité principale, selon Statistique Canada.

Par ailleurs, certaines attitudes dans les milieux de travail entravent l’avancement des femmes. Caroline Codsi en cite quelques-uns. «Dans les réunions, elles sont confrontées à des hommes qui leur coupent constamment la parole (manterrupting), qui prétendent leur expliquer quelque chose qu’elles savent déjà (mansplaining) ou qui reprennent leurs idées sans leur en donner le crédit (hepeating), ce qui leur nuit», illustre-t-elle.

Course à obstacles

D’autres groupes minoritaires se heurtent aussi à des freins. Une récente étude de l’IGOPP indique que les CA des sociétés incorporées selon la loi fédérale et inscrites en Bourse comptent 4,47 % de personnes issues de minorités visibles, 0,60 % venant de nations autochtones et 0,49 % de personnes handicapées. Un autre rapport, publié en 2020 par le cabinet d’avocats Osler, montre que 5,5 % des postes de haute direction des 205 entreprises examinées étaient occupés par des membres des minorités visibles, sept par des Autochtones et six par des personnes handicapées.

«Les processus de recrutement et de promotion souffrent de biais», déplore Caroline Codsi. Avec Nicole Piggott, chef de l’exploitation de La Gouvernance au Féminin, elle lance d’ailleurs l’initiative Synclusive cette année, afin de favoriser non seulement la parité des genres, mais aussi l’inclusion de l’ensemble des membres de la diversité

Gabriela Zuniga, consultante principale en gestion de la diversité, de l’équité et de l’inclusion à Inclusive Kind et professeure associée en relation de travail à l’Université Queen’s de Toronto, ajoute que certaines personnes subissent simultanément plusieurs formes de discrimination. Les femmes PANDC (personnes autochtones, noires et de couleur), par exemple, peuvent être victimes à la fois de racisme et de sexisme.

Elle compare l’avancement de la carrière à un voyage en avion. «Les hommes blancs profitent d’un vent arrière, qui les propulse, soutient-elle. Les minorités visibles subissent plutôt un vent de face, qui ralentit leur progression et exige plus d’efforts. C’est pire pour les femmes PANDC, et encore pire pour les personnes non binaires ou autres.»

Pour assurer une meilleure diversité à la tête des sociétés, plusieurs femmes réclament des quotas. Louise Champoux-Paillé y voit trois avantages : éviter le risque de biais inconscients; favoriser le recrutement dans des réseaux plus étendus; et créer des modèles. «Plus ils verront de femmes et de membres de la diversité dans les hautes directions et les CA, plus les jeunes femmes et jeunes membres de la diversité auront espoir d’avancer dans les entreprises», affirme-t-elle.

De son côté, Gabriela Zuniga estime que sans buts clairs et contraignants, les firmes n’accéléreront pas la cadence. D’accord avec l’idée des quotas, Caroline Codsi insiste sur l’importance de créer des comités d’embauche plus diversifiés et d’intensifier les formations sur les biais. «On doit modifier les cultures organisationnelles pour accorder de la place à tous et à toutes, y compris à la tête des sociétés», conclut-elle.