Dossier Les vrais défis de la diversité - La diversité commence au sommet
2021-09-10
French
https://www.revuegestion.ca/dossier-les-vrais-defis-de-la-diversite-la-diversite-commence-au-sommet
2024-01-12
Dossier Les vrais défis de la diversité - La diversité commence au sommet
Stratégie , Ressources humaines , Dossier
Article publié dans l'édition Automne 2021 de Gestion
Si la parité des genres progresse au sein des conseils d’administration, plusieurs groupes de la population y restent largement sous-représentés. Pourtant, la diversité des administrateurs apporte de nombreux bienfaits aux entreprises.
Pour Michel Magnan, professeur à l’Université Concordia et titulaire de la chaire de gouvernance d’entreprise Stephen-A.-Jarislowsky, la diversité aide les conseils d’administration (CA) à jouer leur rôle fondamental. «Un conseil doit être crédible, légitime et compétent pour assumer ses fonctions de surveillance et d’orientation stratégique», rappelle-t-il. La représentativité des personnes qui le constituent contribue à cela.
18,3%des sièges d’administrateur au Canada étaient occupés par des femmes en 2018. Source: «Représentation des femmes au sein des conseils d’administration, 2018», le Quotidien, Statistique Canada, 13 mars 2021. |
Des conseils plus démocratiques
Au départ, la promotion de la diversité visait à corriger la sous-représentation de plusieurs populations qui avaient longtemps subi des discriminations basées sur le genre, sur l’origine ethnique et sur l’orientation sexuelle. Elle s’ancre donc dans le constat d’un déficit démocratique.
«Auparavant, les administrateurs de nos entreprises étaient presque tous des hommes blancs d’un certain âge, alors que les femmes représentent 50 % de la population et que d’autres groupes sous-représentés existent aussi en nombre significatif», souligne Hélène Lee-Gosselin, professeure associée au Département de management de l’Université Laval.
Les décisions prises par les conseils affectent positivement ou négativement l’ensemble des parties prenantes. Or, si tous les membres d’un conseil ont le même profil, ils risquent de faire fi des retombées potentiellement négatives pour certaines d’entre elles. Pour éviter cela, celles-ci doivent avoir voix au chapitre.
Cette diversification pose des défis. Les débats peuvent s’allonger, s’intensifier et porter sur des sujets délicats autrefois négligés. Par exemple, avant que des femmes deviennent membres de conseils d’administration, on y parlait peu des comportements inappropriés en milieu de travail. La gestion d’un conseil plus hétérogène exige donc un certain doigté.
«C’est comme une équipe pour laquelle on doit créer une culture, avance Michel Magnan. Les membres doivent se compléter, adopter un mode de fonctionnement commun et œuvrer vers un même but. Les points de vue variés enrichissent les discussions, mais ils peuvent causer des différends.»
Des bienfaits tangibles
Par ailleurs, la diversité d’un conseil améliore les processus décisionnels. «Les administrateurs doivent prendre des décisions dans des contextes d’incertitude, comprendre des situations et déceler des possibilités dans des environnements complexes, rappelle Hélène Lee-Gosselin. Or, la diversité aide à mieux y arriver.»
En effet, nos points de vue sont conditionnés par notre parcours, par notre formation, par notre statut social, etc. Réunir des administrateurs aux profils variés permet d’éviter les angles morts, de poser des diagnostics plus justes, d’analyser plus finement les risques et d’aboutir à de meilleures décisions. De cette façon, un conseil devient plus efficace. Pour cette raison, la diversité s’élargit de plus en plus afin d’inclure des caractéristiques non seulement innées mais aussi acquises, notamment l’éducation et le parcours professionnel.
Taïeb Hafsi, titulaire de la Chaire de management – stratégie et société de HEC Montréal, a mené plusieurs études sur les effets d’une plus grande diversité, notamment au sein des conseils d’administration. Il constate des gains en ce qui a trait aux performances sociales et financières des firmes. Cet effet reste toutefois négligeable si on se contente de nommer une femme par-ci et un représentant des minorités visibles par là.
37%des entreprises privées (non cotées en bourse) au Canada comprenaient au moins une femme au sein de leur conseil d’administration en 2018. Source: Statistique Canada, ibid. |
«On doit atteindre une masse critique pour que les bienfaits se concrétisent, note M. Hafsi. Un taux moyen de présence, par exemple 40% de femmes, a un effet significatif sur la performance d’une entreprise. Mais ces gains diminuent quand on dépasse un certain seuil. Cela démontre que c’est justement l’équilibre entre les profils qui est fructueux.»
Cette diversité permet également de créer des liens positifs avec des parties prenantes à l’extérieur de l’entreprise. Plusieurs clients jugeront ainsi l’organisation plus responsable et lui accorderont leur préférence. Les investisseurs attachent de plus en plus d’importance aux critères environnementaux, sociaux et de gouvernance (ESG), donc à la diversité des conseils d’administration, pour prendre leurs décisions. La présence d’administrateurs aux origines ethnoculturelles variées peut aussi favoriser les occasions de fusions et d’acquisitions avec des sociétés étrangères ainsi que les possibilités d’entrée sur les marchés extérieurs.
De lents progrès
Malgré ces avantages reconnus, la diversité des conseils d’administration progresse lentement, comme l’a démontré une récente étude de l’Institut sur la gouvernance d’organisations privées et publiques (IGOPP), basée sur la divulgation obligatoire des sociétés incorporées selon la loi fédérale et inscrites en Bourse1. Les données révèlent qu’en moyenne, les CA sont composés de 29,43% de femmes, de 4,47% de personnes issues de minorités visibles, de 0,6% de représentants de groupes autochtones et de 0,49% de personnes handicapées.
«Le rythme de renouvellement généralement assez poussif des CA peut expliquer cela en partie», avance François Dauphin, président-directeur général de l’IGOPP. «Mais la cadence doit s’accélérer. Les exigences des gouvernements et des investisseurs augmentent rapidement; en plus, on se prive de talents.»
Faudrait-il imposer des quotas? Hélène Lee-Gosselin en est convaincue: «c’est un mal nécessaire pour vaincre certaines résistances, affirme la professeure. Plusieurs pays procèdent ainsi et les résultats montrent un effet positif.» Des quotas en ce qui a trait au nombre de femmes au sein des CA existent par exemple en Allemagne, en Australie, en Espagne, en France, en Italie et en Suède. Ils varient entre 30% et 40%.
«Les quotas permettent d’atteindre les cibles plus rapidement mais parfois avec moins d’engagement des firmes, qui s’arrêtent au minimum requis, prévient François Dauphin. En l’absence de quotas, les progrès sont plus lents, mais les entreprises agissent davantage par conviction et les administrateurs savent que personne n’est nommé uniquement pour se conformer à une norme.»
Les bons candidats
La lente diversification des conseils peut aussi s’expliquer par le fait qu’un CA plus homogène risque de miser sur des réseaux plus restreints pour recruter de nouveaux administrateurs.
Certains organismes s’attellent à surmonter ce problème. «À un certain moment, nous en avons eu assez d’entendre dire qu’il manquait d’administrateurs potentiels issus de la diversité, alors nous avons créé une banque de candidatures en 2018 pour faire connaître les talents de ces communautés», raconte la directrice générale de Concertation Montréal, Marie-Claire Dumas.
En plus des instances de la Ville de Montréal, des organisations comme le Musée d’art contemporain, la Société de transport de Montréal, Bixi et Urgences-santé ont pigé dans cette banque. Concertation Montréal pilote aussi le Groupe des Trente et le Réseau jeunes femmes leaders, qui font rayonner des talents, en plus d’organiser des activités de maillage entre les candidats et certaines organisations. «L’an dernier, 100 de nos candidats ont obtenu des postes d’administrateur», précise la directrice générale. Le Regroupement des jeunes chambres de commerce du Québec offre pour sa part un programme de formation d’administrateurs de la relève depuis 2013 pour les 18-40 ans. Il compte déjà plus de 1 000 finissants issus de toutes les régions du Québec, dont 32% proviennent de la diversité et dont 51% sont des femmes.
«Appuyer la relève et la diversité, c’est dans notre ADN, assure le président-directeur général de cet organisme, Pierre Graff. Nous comptons d’ailleurs parmi nos membres 15 organisations issues de communautés culturelles, par exemple la Jeune Chambre tunisienne du Québec, la Jeune Chambre de commerce haïtienne et la Chambre de commerce LGBT du Québec.»
Pour François Dauphin, il n’y a aucun doute que les candidats intéressants existent tant du côté des femmes que de celui des membres de la diversité. «Pour les trouver, les conseils ont intérêt à professionnaliser leur recrutement et à sortir de leurs réseaux immédiats», croit-il.
Quant à Hélène Lee-Gosselin, elle rappelle qu’on ne dénichera pas toujours des personnes dotées d’une grande expérience mais que devenir administrateur, ça s’apprend. À l’inverse, ces candidats disposent de savoirs propres à leurs communautés ou à leur parcours, ce qui est parfois irremplaçable. «Les administrateurs ont tendance à remarquer ce qui manque aux gens au lieu de voir ce qu’ils peuvent apporter, et ils doivent surmonter cette tendance», conclut-elle.
Note
1. Dauphin, F., et Allaire, Y., avec la collaboration de Mantote Sambiani, «Les enjeux de la diversité à la direction et aux conseils d’administration des sociétés ouvertes» (document en ligne), Institut sur la gouvernance d’organisations privées et publiques (IGOPP), 12 février 2021, 46 pages.
Stratégie , Ressources humaines , Dossier