Article publié dans l'édition Été 2021 de Gestion

Jean-Guy Côté est directeur général du Conseil québécois du commerce de détail (CQCD).

Jean-Guy Côté est directeur général du Conseil québécois du commerce de détail (CQCD).

En mars 2020, quand la pandémie de COVID-19 nous a pour ainsi dire assignés à résidence, les rangées et les vitrines des détaillants se sont vidées. Si, comme commerçant, vous aviez la malchance de vendre des produits non essentiels, votre magasin (s’il était ouvert) ne recevait la visite d’aucun client. Mais votre site transactionnel, lui, roulait à fond. Les contraintes auxquelles certaines régions sont toujours soumises à l’heure actuelle ont créé un choc dans le secteur du commerce de détail, qui emploie plus de 400 000 personnes au Québec.

Depuis près de deux décennies, les détaillants sont en perpétuelle transformation. Leurs clients fréquentent de plus en plus les recoins du commerce en ligne et de moins en moins les rues commerçantes. La pandémie, comme un tsunami, a tout simplement fait passer cette transformation à une vitesse rarement vue. Les derniers chiffres de Statistique Canada confirment cette tendance : lors des premiers mois de la pandémie, les ventes en ligne ont presque doublé au pays1. Les géants de la vente en ligne sont devenus des incontournables : même les gens les plus récalcitrants à acheter numériquement ont fréquenté leurs sites. La valse des camions de livraison est devenue le spectacle quotidien des rues autrefois peu achalandées en semaine.

Est-ce que 2020 a pour autant été catastrophique pour les ventes en général au Québec? Selon Statistique Canada, les ventes totales dans le commerce de détail en 2020 ont seulement diminué de 0,2% par rapport à 2019, un taux nettement plus modeste que la baisse observée en Ontario. En excluant l’automobile, l’alimentation et les stations-service, les ventes ont augmenté de 3,8% en 2020, et ce, en partie grâce au commerce en ligne, qui a maintenu le lien entre l’acheteur et le détaillant. Les Québécois sont donc des consommateurs assidus en période de confinement.

Les revenus des Québécois ont été soutenus grâce aux subventions salariales et à la prestation canadienne d’urgence (PCU), notamment. Conséquence : les taux d’épargne ont explosé. Malgré la crise, plusieurs de nos concitoyens ont encore de bons revenus, mais ils ont moins de possibilités de dépenser. Les fonds consacrés aux voyages sont allés dans la rénovation de la terrasse.

Cette réalité n’a pas frappé tous les types de commerces. Si les magasins de vêtements et de chaussures ont souffert, a contrario, les achats en quincaillerie et dans les magasins d’appareils électroniques ont explosé. Mais les détaillants s’adaptent : certaines boutiques vendent maintenant des «hauts pour le télétravail». La capacité de dépenser des consommateurs devrait appuyer un retour à la normale pour plusieurs commerces au cours des prochains mois.

Quels seront les changements permanents?

La pandémie redéfinit plusieurs tâches et en accélère la transformation au sein de l’industrie. Les employés sont donc appelés à élargir la gamme des fonctions qu’ils remplissent : certains pourraient par exemple devenir des vendeurs le matin et des gestionnaires d’inventaire l’après-midi. Par ailleurs, les commerces des centres-villes seront achalandés à des périodes différentes de la journée. Avec le maintien de certains travailleurs en télétravail, l’avenir des rues commerçantes sera sans doute plus rose que celui qu’on leur annonçait il y a quelque temps.

Et l’achat local demeurera central. Le CQCD interroge 1 000 personnes par mois pour comprendre les grandes tendances en matière d’intentions de consommation des Québécois (ce que nous appelons le baromètre CQCD-Orama). En mars 2020, 53 % des répondants à notre sondage ont souligné qu’il était important pour eux que les entreprises dont ils achètent les produits en ligne soient québécoises mais que leur repérage sur Internet demeurait difficile. Bref, les Québécois veulent acheter local mais ne trouvent pas facilement sur le Web les détaillants qu’ils souhaitent encourager. Les commerçants devront donc très bientôt faire en sorte que leurs sites transactionnels soient accessibles aisément et rapidement.

Et il y aura un après. En mars dernier, quand j’ai accepté le poste de directeur général du CQCD, je savais que l’industrie avait subi plusieurs chocs et que la pandémie n’était en fait que le dernier d’une longue série. C’est ce qui rend le défi intéressant et nécessaire. Et je suis confiant que la reprise sera porteuse d’innovations et verra émerger de nouveaux modèles d’affaires. Entre-temps, la résilience des détaillants québécois témoigne une fois de plus de la force entrepreneuriale du Québec. Un jour, les clients rempliront de nouveau les rangées des commerces, et les files d’attente pour y entrer ne seront plus qu’un mauvais souvenir.


Note

1 Aston, J., Vipond, O., Virgin, K., et Youssouf, O., «Le commerce de détail électronique et la COVID-19 : comment le magasinage en ligne a ouvert des portes pendant que beaucoup se fermaient» (article en ligne), Statistique Canada, 24 juillet 2020.